Il n'y a rien de plus beau qu'un arbre, se plaît à dire Alain Le Goff. Le pauvre homme ne possède aucun arbre à lui, mais tous ceux qu'il peut voir de ses yeux sont ses complices dans le grand jeu de la création. Il y en a certains qu'il aime mieux que les autres. Ce ne sont pas les plus triomphants, mais ceux qui peinent à survivre dans le vent sauvage. Il va les voir en hiver, quand ils sont nus.
« Regardez-les qui travaillent, dit-il.
- Et qu'est-ce qu'ils font, grand-père?
- Ils rattachent la terre au ciel. C'est très difficile mon fils. S'il n'y avait pas d'arbres il nous dirait adieu. Alors, il ne nous resterait plus qu'à mourir. Dieu nous en garde.
- Mais il y a des pays où il ne pousse pas un arbre. Je l'ai appris à l'école. On les appelle déserts.
- Justement mon fils. Il n'y a pas d'hommes par là-bas. Le ciel s'est décroché. »
Je fais semblant de ne pas comprendre… Il frappe le tronc rugueux de sa main ouverte :
« Vous voyez que c'est une grosse corde, le tronc de l'arbre. Il y a même des nœuds dedans, quelquefois. Les torons de la corde se desserrent à chaque bout pour s'accrocher au ciel et à la terre. On les appelle des branches en haut et des racines en bas. Mais c'est la même chose. Les racines cherchent leur chemin dans le sol de la même manière que les branches s'introduisent dans le ciel.
- Mais c'est plus difficile d'entre dans le sol que dans le ciel!
- Hé non! Si c'était vrai, les branches seraient droites. Et voyez comme elles sont tordues sur le pommier que voici! Elles doivent chercher leur chemin, je vous dis. Elles poussent, le ciel résiste, elles changent de direction aussi souvent qu'il le faut. Elles ont bien du mal, vous savez. Peut-être plus de mal que les racines en bas.
- Et qu'est-ce qui leur fait tant de mal, grand-père?
- C'est le vent, le vent pourri. Le vent voudrait séparer le ciel de la terre, il pousse sa langue entre les deux. Et, derrière lui la mer attend pour recouvrir. Mais il y a les arbres qui tiennent bon de part et d'autre. Le soleil béni porte secours aux branches, tandis que la pluie réconforte les racines. Une sacrée bataille, mon fils cela n'arrête pas de se battre, en ce monde… »
Daniel Pennac, né en 1944, est le pseudonyme de Daniel Pennacchioni. Il raconte qu’enfant, il était un mauvais élève et qu’il a mis très longtemps à apprendre à lire. Cependant, cela ne l’empêche pas de devenir professeur de français ! Ensuite il écrit des essais ainsi que des romans, certains même pour les enfants, comme par exemple, L’œil du loup.
L’œil du loup
Pennac raconte l’histoire très émotive : celle d’un loup bleu d’Alaska, vendu à un zoo français, et d’un enfant. Le loup n’aime pas les êtres humains, qu’il trouve violents et cruels, mais aussi stupides et ridicules. Alors, il se méfie de l’enfant et ne fait pas attention à lui. Mais l’enfant insiste : il revient le lendemain et l’observe. Agacé, le loup décide de le défier.
Ça y est. Ils sont face à face, maintenant. Et ça dure.
Pas un visiteur, dans le jardin zoologique. Les vétérinaires ne sont pas encore arrivés. Les lions ne sont pas sortis de leur tanière. Les oiseaux dorment dans leurs plumes. Jour de relâche pour tout le monde. Même les singes ont renoncé à faire les guignols. Ils pendent aux branches comme des chauves-souris endormies.
Il n’y a que ce garçon.
Et ce loup au pelage bleu.
« Tu veux me regarder ? D’accord ! Moi aussi, je vais te regarder ! on verra bien… »
Mais quelque chose gène le loup. Un détail stupide. Il n’a qu’un œil et le garçon en a deux. Du coup, le loup ne sait pas dans quel œil du garçon planter son propre regard. Il hésite. Son œil unique saute : droite-gauche, gauche-droite. Les yeux du garçon, eux, ne bronchent pas. Pas un battement de cils. Le loup est affreusement mal à l’aise. Pour irien au monde, il ne détournerait la tête. Pas question de se remettre à marcher. Résultat, son œil s’affole de plus en plus. Et bientôt, à travers la cicatrice de son œil mort, apparait une larme. Ce n’est pas du chagrin, c’est de l’impuissance, et de la colère.
Alors le garçon fait une chose bizarre. Qui calme le loup, qui le met en confiance. Le garçon ferme un œil.
Et les voilà maintenant qui se regardent, œil dans œil, dans le jardin zoologique désert et silencieux, avec tout le temps devant eux.
Un œil jaune, tout rond, avec, bien au centre, une pupille noire. Un œil qui ne cligne jamais. C’est tout à fait comme si le garçon regardait une bougie allumée dans la nuit ; il ne voit plus que cet œil : les arbres, le zoo, l’enclos, tout a disparu. Il ne reste qu’une seule chose : l’œil du loup.