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Thérèse Desqueyroux

L'avocat ouvrit une porte. Thérèse Desqueyroux, dans ce couloir dérobé du palais de justice, sentit sur sa face la brume et, profondément, l'aspira. Elle avait peur d'être attendue, hésitait à sortir. Un homme, dont le col était relevé, se détacha d'un platane, elle reconnut son père.

L'avocat cria :

– « Non-lieu » et, se retournant vers Thérèse :

- Vous pouvez sortir, il n'y a personne.

Elle descendit des marches mouillées. Oui, la petite place semblait déserte. Son père ne l'embrassa pas, ne lui donna pas même un regard ; il interrogeait l'avocat Duros qui répondait à mi-voix, comme s'ils eussent été épiés. Elle entendait confusément leurs propos :

- Je recevrai demain l'avis officiel du non-lieu.

- Il ne peut plus y avoir de surprise ?

- Non : les carottes sont cuites, comme on dit.

- Après la déposition de mon gendre, c'était couru.

- Couru... couru... On ne sait jamais.

- Du moment que, de son propre aveu il ne comptait jamais les gouttes...

- Vous savez, Larroque, dans ces sortes d'affaires, le témoignage de la victime...

La voix de Thérèse s'éleva : - Il n'y a pas eu de victime.

- J'ai voulu dire : victime de son imprudence, madame.

Les deux hommes, un instant, observèrent la jeune femme immobile, serrée dans son manteau, et ce blême visage, qui n'exprimait rien. Elle demanda où était la voiture ; son père l'avait fait attendre sur la route de Budos, en dehors de la ville, pour ne pas attirer l'attention. Ils traversèrent la place : des feuilles de platane étaient collées aux bancs trempés de pluie. Heureusement, les jours avaient bien diminué. D'ailleurs, pour rejoindre la route de Budos, on peut suivre les rues les plus désertes de la sous-préfecture. Thérèse marchait entre les deux hommes qu'elle dominait du front et qui de nouveau discutaient comme si elle n'eût pas été présente ; mais, gênés par ce corps de femme qui les séparait, ils le poussaient du coude. Alors elle demeura un peu en arrière, déganta sa main gauche pour arracher de la mousse aux vieilles pierres qu'elle longeait. Parfois un ouvrier à bicyclette la dépassait, ou une carriole ; la boue jaillie l'obligeait à se tapir contre le mur. Mais le crépuscule recouvrait Thérèse, empêchait que les hommes la reconnussent. L'odeur de fournil et de brouillard n'était plus seulement pour elle l'odeur du soir dans une petite ville : elle y retrouvait le parfum de la vie qui lui était rendue enfin; elle fermait les yeux au souffle de la terre endormie, herbeuse et mouillée ; s'efforçait de ne pas entendre les propos du petit homme aux courtes jambes arquées qui, pas une fois, ne se retourna vers sa fille ; elle aurait pu choir au bord de ce chemin : ni lui, ni Duros ne s'en fussent aperçus. Ils n'avaient plus peur d'élever la voix.



- La déposition de M. Desqueyroux était excellente, oui. Mais il y avait cette ordonnance: en somme, il s'agissait d'un faux... Et c'était le docteur Pédemay qui avait porté plainte...


Colette – est une femme écrivain française du XX siècle, première moitie. Elle appartient au courant réaliste. Elle est surtout connue par la série de romans Claudine, plus ou moins autobiographiques. Colette peint avec tendresse et beaucoup de sympathie son enfance, ses parents, sa maison paternelle. Le fragment du texte est tiré de son roman La maison de Claudine dont l’idée principale est la nostalgie de l’enfance.

Le rire

Elle riait volontiers, d'un rire jeune et aigu qui mouillait ses yeux de larmes, et qu'elle se reprochait après comme un manquement à la dignité d'une mère chargée de quatre enfants et de soucis d'argent. Elle maîtrisait les cascades de son rire, se gourmandait sévèrement : « Allons ! voyons !… » puis cédait à une rechute de rire qui faisait trembler son pince-nez. Nous nous montrions jaloux de déchaîner son rire, surtout quand nous prîmes assez d'âge pour voir grandir d'année en année, sur son visage, le souci du lendemain, une sorte de détresse qui l'assombrissait, lorsqu'elle songeait à notre destin d'enfants sans fortune, à sa santé menacée, à la vieillesse qui ralentissait les pas – une seule jambe et deux béquilles – de son compagnon chéri. Muette, ma mère ressemblait à toutes les mères épouvantées devant la pauvreté et la mort. Mais la parole rallumait sur son visage une jeunesse invincible. Elle put maigrir de chagrin et ne parla jamais tristement. Elle échappait, comme d'un bond, à une rêverie tragique, en s'écriant, l'aiguille à tricot dardée vers son mari :

– Oui ? Eh bien, essaye de mourir avant moi, et tu verras !

– Je l'essaierai, ma chère âme, répondait-il.

Elle le regardait aussi férocement que s'il eût, par distraction, écrasé une bouture de pélargonium ou cassé la petite théière chinoise niellée d'or :

– Je te reconnais bien là ! Tout l'égoïsme des Funel et des Colette est en toi ! Ah ! pourquoi t'ai-je épousé ?

– Ma chère âme, parce que je t'ai menacée, si tu t'y refusais, d'une balle dans la tête.

– C'est vrai. Déjà à cette époque-là, tu vois ? tu ne pensais qu'à toi. Et maintenant, tu ne parles de rien moins que de mourir avant moi. Va, va, essaye seulement !

Il essaya, et réussit du premier coup. Il mourut dans sa soixante-quatorzième année, tenant les mains de sa bien-aimée et rivant à des yeux en pleurs un regard qui perdait sa couleur, devenait d'un bleu vague et laiteux, pâlissait comme un ciel envahi par la brume. Il eut les plus belles funérailles dans un cimetière villageois, un cercueil de bois jaune, nu sous une vieille tunique percée de blessures – sa tunique de capitaine au er zouaves –, et ma mère l'accompagna sans chanceler au bord de la tombe, toute petite et résolue sous ses voiles, et murmurant tout bas, pour lui seul, des paroles d'amour. Nous la ramenâmes à la maison, où elle s'emporta contre son deuil neuf, son crêpe encombrant qu'elle accrochait à toutes les clefs de tiroirs et de portes, sa robe de cachemire qui l'étouffait.


François-René Chateaubriand – est un célèbre écrivain français du XIX siècle qui appartient au courant romantique. Il est surtout connu par ses romans Atala, René, Mémoires d’Outre-Tombe. Cet écrivain était témoin et contemporain des événements importants de son époque – la Révolution, le pouvoir de Napoléon, la Restauration. Il parle de ses événements et de sa vie dans son livre Mémoires d’Outre-Tombe qui a le caractère autobiographique. Le fragment du texte est tiré de ce roman.

Mariage secret

M. de Lavigne eut deux fils : l'un d'eux épousa mademoiselle de La Placelière. Deux filles, nées de ce mariage, restèrent en bas âge, orphelines de père et de mère. L'aînée se maria au comte du Plessis-Parscau, capitaine de vaisseau, fils et petit-fils d'amiraux, aujourd'hui contre-amiral lui-même, cordon rouge et commandant des élèves de la marine à Brest ; la cadette, demeurée chez son grand-père, avait dix-sept ans lorsque, à mon retour d'Amérique j'arrivai à Saint-Malo. Elle était blanche, délicate, mince et fort jolie ; elle laissait pendre, comme un enfant, de beaux cheveux blonds naturellement bouclés. On estimait sa fortune de cinq à six cent mille francs.

Mes sœurs se mirent en tête de me faire épouser mademoiselle de Lavigne, qui s'était fort attachée à Lucile. L'affaire fut conduite à mon insu. A peine avais-je aperçu trois ou quatre fois mademoiselle de Lavigne ; je la reconnaissais de loin sur le Sillon à sa pelisse rose, sa robe blanche et sa chevelure blonde enflée du vent, lorsque sur la grève je me livrais aux caresses de ma vieille maîtresse, la mer. Je ne me sentais aucune qualité du mari. Toutes mes illusions étaient vivantes, rien n'était épuisé en moi ; l'énergie même de mon existence avait doublé par mes courses. J'étais tourmenté de la muse. Lucile aimait mademoiselle de Lavigne, et voyait dans ce mariage l'indépendance de ma fortune : « Faites donc ! » dis-je. Chez moi l'homme public est inébranlable, l'homme privé est à la merci de quiconque se veut emparer de lui, et pour éviter une tracasserie d'une heure, je me rendrais esclave pendant un siècle.

Le consentement de l'aïeul, de l'oncle paternel et des principaux parents fut facilement obtenu : restait à conquérir un oncle maternel, M. de Vauvert, grand démocrate ; or, il s'opposa au mariage de sa nièce avec un aristocrate comme moi, qui ne l'étais pas du tout. On crut pouvoir passer outre, mais ma pieuse mère exigea que le mariage religieux fût fait par un prêtre non assermenté, ce qui ne pouvait avoir lieu qu'en secret. M. de Vauvert le sut, et lâcha contre nous la magistrature, sous prétexte de rapt, de violation de la loi, et arguant de la prétendue enfance dans laquelle le grand-père M. de Lavigne, était tombé. Mademoiselle de Lavigne, devenue madame de Chateaubriand, sans que j'eusse eu de communication avec elle, fut enlevée au nom de la justice et mise à Saint-Malo, au couvent de la Victoire, en attendant l'arrêt des tribunaux.


Alain Robbe-Grillet – est un romancier et cinéaste français du XX siècle. Dans la littérature française il est considéré comme le chef d’une école littéraire qui a reçu le nom – le Nouveau Roman entre 1950 et 1960. Il propose dans ses œuvres les nouvelles tendances esthétiques littéraires comme cinématographiques. Robbe-Grillet est l’auteur des romans Les Gommes, Le Voyeur, La jalousie et d’autres. Il y a beaucoup de réflexions dans sa prose ayant le caractère psychologique, esthétique, littéraire.

La plage

Trois enfants marchent le long d'une grève. Ils s'avancent, côte à côte, se tenant par la main. Ils ont sensiblement la même taille, et sans doute aussi le même âge: une douzaine d'années. Celui du milieu, cependant, est un peu plus petit que les deux autres.

Hormis ces trois enfants, toute la longue plage est déserte. C'est une bande de sable assez large, uniforme, dépourvue de roches isolées comme de trous d'eau, à peine inclinée entre la falaise abrupte, qui paraît sans issue, et la mer.

Il fait très beau. Le soleil éclaire le sable jaune d'une lumière violente, verticale. Il n'y a pas un nuage dans le ciel. Il n'y a pas non plus de vent. L'eau est bleue, calme sans la moindre ondulation venant du large, bien que la plage soit ouverte sur la mer libre, jusqu'à l'horizon.

Mais à intervalles réguliers, une vague soudaine, toujours la même, née à quelques mètres du bord, s'enfle brusquement et déferle aussitôt, toujours sur la même ligne. On n'a pas alors l'impression que l'eau avance, puis se retire; c'est au contraire, comme si tout ce mouvement s'exécutait sur place. Le gonflement de l'eau produit d'abord une légère dépression, du côté de la grève, et la vague prend un peu de recul, dans un bruissement de graviers roulés, puis elle éclate et se répand laiteuse, mais seulement pour regagner le terrain perdu. C'est à peine si une montée plus forte, ça et là, vient mouiller un instant quelques décimètres supplémentaires.

Et tout reste de nouveau immobile, la mer, plate et bleue, exactement arrêtée à la même hauteur sur le sable jaune de la plage, où marchent côte à côte les trois enfants.

Ils sont blonds, presque de la même couleur que le sable: la peau un peu plus foncée, les cheveux un peu plus clairs. Ils sont habillés tous les trois de la même façon, culotte courte et chemisette, l'une et l'autre en grosse toile d'un bleu délavé. Ils marchent côte à côte, se tenant par la main, en ligne droite, parallèlement à la mer et parallèlement à la falaise, presque à égale distance des deux, un peu plus près de l'eau pourtant. Le soleil, au zénith, ne laisse pas d'ombre à leur pied.


Victor Hugoest un célèbre écrivain français du XIX siècle qui appartient au courant romantique. Il est chef du romantisme français. Il est poète, romancier, dramaturge, orateur. Ses romans les plus connus sont Notre-Dame de Paris, Les Misérables, Les Travailleurs de la mer. Le fragment du texte est tiré du roman Les Misérables. La prose de Victor Hugo a les traits psychologiques, elle est très riche en procédés stylistiques différents.

Seule dans la nuit

Cosette a été confiée par sa mère aux Thénardier qui tiennent une auberge à Montfermeil, dans la région parisienne. Elle est traitée comme une servante par la Thénardier qui lui impose les pires corvées. Un soir, elle lui demande d’aller chercher de l’eau à la source qui se trouve dans le bois, loin du village…

Les boutiques illuminées éclairaient le chemin, mais bientôt la dernière lueur de la dernière baraque disparut. La pauvre enfant se trouva dans l’obscurité. Elle s’y enfonça. Seulement, comme une certaine émotion la gagnait, tout en marchant elle agitait le plus qu’elle pouvait l’anse du seau. Cela faisait un bruit qui lui tenait compagnie…

Tant qu’elle eut des maisons et même seulement des murs des deux côtés de son chemin, elle alla assez hardiment. De temps en temps, elle voyait le rayonnement d’une chandelle à travers la fente d’un volet, c’était de la lumière et de la vie, il y avait là des gens, cela la rassurait. Cependant, à mesure qu’elle avançait, sa marche se ralentissait comme machinalement. Quand elle eut passé l’angle de la dernière maison, Cosette s’arrêta. Aller au-delà de la dernière boutique avait été difficile ; aller plus loin que la dernière maison, cela devenait impossible. Elle posa le seau à terre, plongea sa main dans ses cheveux et se mit à se gratter lentement la tête, geste propre aux enfants terrifiés et indécis. Ce n’était plus Montfermeil, c’étaient les champs. L’espace noir et désert était devant elle. Elle regarda avec désespoir cette obscurité où il n’y avait plus personne, où il y avait des bêtes, où il y avait peut-être des revenants. Elle regarda bien, et elle entendit les bêtes qui marchaient dans l’herbe, et elle vit distinctement les revenants qui remuaient dans les arbres. Alors elle ressaisit le seau, la peur lui donnait de l’audace :

« Bah ! dit-elle, je lui dirai qu’il n’y avait plus d’eau ! » Et elle rentra résolument dans Montfermeil.

À peine eut-elle fait cent pas qu’elle s’arrêta encore, et se remit à se gratter la tête. Maintenant, c’était la Thénardier qui lui apparaissait ; la Thénardier hideuse avec sa bouche d’hyène et la colère flamboyante dans les yeux. L’enfant jeta un regard lamentable en avant et en arrière. Que faire ? que devenir ? où aller ? Devant elle le spectre de la Thénardier ; derrière elle tous les fantômes de la nuit et des bois. Ce fut devant la Thénardier qu’elle recula. Elle reprit le chemin de la source et se mit à courir. Elle sortit du village en courant, elle entra dans le bois en courant, ne regardant plus rien, n’écoutant plus rien.

Pierre Hélias – est un écrivain français contemporain. Il est l’auteur des nouvelles et des récits. Le fragment du texte est tiré de son roman Le cheval d’orgueil ou il s’agit des problèmes concernant la place de l’homme dans le monde, des relations de l’homme et la nature. La prose de cet auteur se distingue par l’originalité. Dans l’extrait du roman le grand-père explique à son petit-fils le rôle des arbres dans l’environnement.


Date: 2016-04-22; view: 841


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