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La grammaire est une chanson douce

Par exemple, la toute petite tribu des articles. Son rôle est simple et assez inutile, avouons-le. Les articles marchent devant les noms, en agitant une clochette: attention, le nom qui me suit est un masculin, attention, c’est un féminin! Le tigre, la vache.

Les noms et les articles se promènent ensemble, du matin jusqu’au soir. Et du matin jusqu’au soir, leur occupation favorite est de trouver des habits ou des déguisements. A croire qu’ils se sentent tout nus, à marcher comme ça dans les rues. Peut-être qu’ils ont froid, même sous le soleil. Alors ils passent leur temps dans les magasins.

Les magasins sont tenus par la tribu des adjectifs.

Observons la scène… Le nom féminin « maison » pousse la porte, précédé de « la », son article à clochette.

- Bonjour, je me trouve un peu simple, j’aimerais m’étoffer.

- Nous avons tout ce qu’il vous faut dans nos rayons, dit le directeur en se frottant déjà les mains à l’idée de la bonne affaire.

Le nom « maison » commence ses essayages. Que de perplexité! Comme la décision est difficile! Cet adjectif-là plutôt que celui-ci ? La maison se tâte. Le choix est si vaste. Maison « bleue », maison « haute », maison « fortifiée », maison « alsacienne », maison « familiale », maison « fleurie » ? Les adjectifs tournent autour de la maison avec des mines de séducteurs pour se faire adopter.

Après des heures de cette drôle de danse, la maison ressortit avec le qualificatif qui lui plaisait le mieux : « hanté ». Ravie de son achat, elle répétait à son valet article :

- « Hanté », tu imagines, moi qui aime tant les fantômes, je ne serai plus jamais seule. « Maison », c’est banal. « Maison » et « Hanté », tu te rends compte ? Je suis désormais le bâtiment le plus intéressant de la ville, je vais faire peur aux enfants, oh comme je suis heureuse !

- Attends, l’interrompit l’adjectif, tu vas trop vite en besogne. Nous ne sommes pas encore accordés.

- Accordés ? Que veux-tu dire ?


Émile Zola est né à Paris en 1840. Il fait de bonnes études mais n’obtient pas le baccalauréat. Il entre en contact avec Lois Hachette qui l’embauche dans sa librairie. Travaillant avec acharnement pendant ses loisirs, il arrive à faire publier ses premiers articles et son premier livre, les Contes a Ninon. Il devient journaliste et démontre ainsi ses qualités d’écrivain à un large public. Zola publie dans la presse une centaine de contes et certains romans en feuilletons, mais c’est avec Les Rougon-Macquart qu’il va signer un véritable monument littéraire : il conçoit le projet d’écrire « l’histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second empire ». Il meurt en 1902.



Simplice, conte écrit en 22 ans, raconte l’histoire d’un amour entre un homme et la nature. Quand un fils de roi refuse la violence, les honneurs, la richesse pour aller vivre dans la forêt, tout le monde le prend pour un idiot.

Simplice

Ce fut à vingt ans que Simplice devint complètement idiot. Il rencontra une forêt et tomba amoureux.

Dans ces temps anciens, on n’embellissait point encore les arbres à coups de ciseaux, et la mode n’était pas de semer le gazon ni de sabler les allées. Les branches poussaient comme elles l’entendaient ; Dieu seul se chargeait de modérer les ronces et de ménager les sentiers. La forêt que Simplice rencontra était un immense nid de verdure, des feuilles et encore des feuilles, des charmilles impénétrables coupées par de majestueuses avenues.

La mousse, ivre de rosée, s’y livrait à une débauche de croissance ; les églantiers, allongeant leurs bras flexibles, se cherchaient dans les clairières pour exécuter des danses folles autour des grands arbres ; les grands arbres eux-mêmes, tout en restant calmes et sereins, tordaient leur pied dans l’ombre et montaient en tumulte baiser les rayons d’été. L’herbe verte croissait au hasard, sur les branches comme sur le sol ; la feuille embrassait le bois, tandis que, dans leur hâte de s’épanouir, pâquerettes et myosotis, se trompant parfois, fleurissaient sur les vieux troncs abattus. Et toutes ces branches, toutes ces herbes, toutes ces fleurs chantaient ; toutes se mêlaient, se pressaient, pour babiller plus à l’aise, pour se dire tout bas les mystérieuses amours des corolles… C’était la fête immense du feuillage. Les bêtes à bon Dieu, les scarabées, les libellules, les papillons, tous les beaux amoureux des haies fleuries, se donnaient rendez-vous aux quatre coins du bois. Ils y avaient établi leur petite république ; les sentiers étaient leurs sentiers ; les ruisseaux, leurs ruisseaux ; la forêt, leur forêt. Ils se logeaient commodément au pied des arbres, sur les branches basses, dans les feuilles sèches, vivaient là comme chez eux, tranquillement et par droit de conquête.

Ils avaient, d’ailleurs, en bonnes gens, abandonné les hautes branches aux fauvettes et aux rossignols.

La forêt, qui chantait déjà par ses branches, par ses feuilles, par ses fleurs, chantait encore par ses insectes et par ses oiseaux.


Marguerite Duras naît en 1914 à Gia Dinh, près de Saigon en Indochine (aujourd’hui le Viêt-Nam). Elle revient en France pour ses études. En 1940, elle s’installe avec son mari dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. L’appartement devient vite un lieu de rencontres d’intellectuels au l’on discute littérature et politique. Son œuvre se distingue par la diversité de ses activités (romans et récits, pièces de théâtre, scenarios et dialogues de films). En 1984, elle obtient le prix Goncourt pour L’Amant. Elle meurt en 1996.

Dans L’Amant, Marguerite Duras nous raconte son adolescence en Indochine et en particulier, sa rencontre avec un riche Chinois qui deviendra son amant.

L’Amant

L’homme élégant est descendu de la limousine, il fume une cigarette anglaise. Il regarde la jeune fille au feutre d’homme et aux chaussures d’or. Il vient vers elle lentement. C’est visible, il est intimidé. Il ne sourit pas tout d’abord. Tout d’abord il lui offre une cigarette. Sa main tremble. Il y a cette différence de race, il n’est pas blanc, il doit la surmonter, c’est pourquoi il tremble. Elle lui dit qu’elle ne fume pas, non merci. Elle ne dit rien d’autre, elle ne lui dit pas laissez-moi tranquille. Alors il a moins peur. Alors il lui dit qu’il croit rêver. Elle ne répond pas. Ce n’est pas la peine qu’elle réponde, que répondrait-elle. Elle attend. Alors il le lui demande : mais d’où venez-vous ? Elle dit qu’elle est la fille de l’institutrice de l’école de filles de Sadec. Il réfléchit et puis il dit qu’il a entendu parler de cette dame, sa mère, de son manque de chance avec cette concession qu’elle aurait achetée au Cambodge, c’est bien ça n’est-ce pas? Oui c’est ça.

Il répète que c’est tout à fait extraordinaire de la voir sur ce bac. Si tôt le matin, une jeune fille belle comme elle l’est, vous ne vous rendez pas compte, c’est très inattendu, une jeune fille blanche dans un car indigène.

Il lui dit que le chapeau lui va bien, très bien même, que c’est... original... un chapeau d’homme, pourquoi pas ?

Elle est si jolie, elle peut tout se permettre.

Elle le regarde. Elle lui demande qui il est. Il dit qu’il revient de Paris où il a fait ses études, qu’il habite Sadec lui aussi, justement sur le fleuve, la grande maison avec les grandes terrasses aux balustrades de céramique bleue. Elle lui demande ce qu’il est. Il dit qu’il est chinois, que sa famille vient de la Chine du Nord, de Fou-Chouen. Voulez-vous me permettre de vous ramener chez vous à Saigon? Elle est d’accord. Il dit au chauffeur de prendre les bagages de la jeune fille dans le car et de les mettre dans l’auto noire.


Simone de Beauvoir naît en 1908 à Paris. Elle devient professeur de philosophie puis quitte l’enseignement pour écrire son premier roman. Elle fait de nombreux voyages aux États-Unis et en Chine. Sa vie et sa pensée sont liées a celles de Jean-Paul Sartre et elle s’attache aussi au combat pour la condition de la femme. En 1954, elle obtient la reconnaissance littéraire pour Les Mandarins. Elle meurt en 1986 et est enterrée au cimetière du Montparnasse à Paris, aux côtés de Jean-Paul Sartre.

Elle écrit Mémoires d’une jeune fille rangée en 1958. Elle y raconte les vingt premières années de sa vie et décrit son milieu bourgeois rempli de préjugés et les efforts pour en sortir en dépit de sa condition de femme.


Date: 2016-04-22; view: 1073


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