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Petites pratiques germanopratines

 

Saint-Germain-des-pres!?… Je sais ce que vous allez me dire: "Mon Dieu, mais c'est d'un commun ma cherie, Sagan l'a fait bien avant toi et tellement mieux! "

Je sais.

Mais qu'est-ce que vous voulez… je ne.suis pas sure que tout cela me serait arrive sur le boulevard de Clichy, c'est comme ca. C'est la vie.

Mais gardez vos reflexions pour vous et ecoutez-moi car mon petit doigt me dit que cette histoire va vous amuser.

Vous adorez les petites bluettes. Quand on vous titille le c?ur avec ces soirees prometteuses, ces hommes qui vous font croire qu'ils sont celibataires et un peu malheureux.

Je sais que vous adorez ca. C'est normal, vous ne pouvez quand meme pas lire des romans Harlequin attable chez Lipp ou aux Deux-Magots. Evidemment que non, vous ne pouvez pas.

 

Donc, ce matin, j'ai croise un homme sur le boulevard Saint-Germain.

Je remontais le boulevard et lui le descendait. Nous etions du cote pair, le plus elegant.

Je l'ai vu arriver de loin. Je ne sais pas, sa demarche peut-etre, un peu nonchalante ou les pans de son manteau qui prenaient de l'aisance devant lui… Bref, j'etais a vingt metres de lui et je savais deja que je ne le raterai pas.

Ca n'a pas loupe, arrive a ma hauteur, je le vois me regarder. Je lui decoche un sourire mutin, genre fleche de Cupidon mais en plus reserve.

Il me sourit aussi.

En passant mon chemin, je continue de sourire, je pense a La Passante de Baudelaire (deja avec Sagan tout a l'heure, vous aurez compris que j'ai ce qu'on appelle des references litteraires!!!). Je marche moins vite car j'essaye de me souvenir… Longue, mince, en grand deuil… apres je ne sais plus… apres… Une femme passa, d'une main fastueuse, soulevant, balancant le feston et l'ourlet…, et a la fin… O toi que j'eusse aimee, o toi qui le savais.

A chaque fois, ca m'acheve.

Et pendant ce temps-la, divine candeur, je sens le regard de mon saint Sebastien (rapport a la fleche, eh! il faut suivre hein!?) toujours dans mon dos. Ca me chauffe delicieusement les omoplates mais plutot crever que de me retourner, ca gacherait le poeme.

 

J'etais arretee au bord du trottoir a guetter le flot des voitures pour traverser a la hauteur de la rue des Saints-Peres.

Precision: une Parisienne qui se respecte sur le boulevard Saint-Germain ne traverse jamais sur les lignes blanches quand le feu est rouge. Une Parisienne qui se respecte guette le flot des voitures et s'elance tout en sachant qu'elle prend un risque.

Mourir pour la vitrine de chez Paule Ka. C'est delicieux.

Je m'elance enfin quand une voix me retient. Je ne vais pas vous dire "une voix chaude et virile" pour vous faire plaisir, car ce n'etait pas le cas. Juste une voix.

 

– Pardon…

Je me retourne. Oh, mais qui est la ma jolie proie de tout a l'heure.

Autant vous le dire tout de suite, a partir de ce moment-la, pour Baudelaire, c'est foutu.

 

– Je me demandais si vous accepteriez de diner avec moi ce soir…



Dans ma tete, je pense "Comme c'est romantique…" mais je reponds:

– C'est un peu rapide, non?

 

Le voila qui me repond du tac au tac et je vous promets que c'est vrai:

– Je vous l'accorde, c'est rapide. Mais en vous regardant vous eloigner, je me suis dit: c'est trop bete, voila une femme que je croise dans la rue, je lui souris, elle me sourit, nous nous frolons et nous allons nous perdre… C'est trop bete, non vraiment, c'est meme absurde.

– Qu'est-ce que vous en pensez? Ca vous parait completement idiot ce que je vous dis la?

– Non, non, pas du tout.

Je commencais a me sentir un peu mal, moi…

– Alors Qu'en dites-vous? Ici, la, ce soir, tout a l'heure, a neuf heures, a cet endroit exactement?

 

On se ressaisit ma fille, si tu dois diner avec tous les hommes auxquels tu souris, tu n'es pas sortie de l'auberge…

– Donnez-moi une seule raison d'accepter votre invitation.

– Une seule raison… mon Dieu… que c'est difficile… Je le regarde, amusee.

Et puis sans prevenir, il me prend la main:

– Je crois que j'ai trouve une raison a peu pres convenable… Il passe ma main sur sa joue pas rasee.

– Une seule raison. La voila: dites oui, que j'aie l'occasion de me raser… Sincerement, je crois que je suis beaucoup mieux quand je suis rase.

Et il me rend mon bras.

– Oui, dis-je.

– A la bonne heure! Traversons ensemble, je vous prie, je ne voudrais pas vous perdre maintenant.

Cette fois c'est moi qui le regarde partir dans l'autre sens, il doit se frotter les joues comme un gars qui aurait conclu une bonne affaire…

Je suis sure qu'il est drolement content de lui. Il a raison.

 

Fin d'apres-midi un petit peu nerveuse, il faut l'avouer. L'arroseuse arrosee ne sait pas comment s'habiller. Le cire s'impose.

Un peu nerveuse comme une debutante qui sait que son brushing est rate.

Un peu nerveuse comme au seuil d'une histoire d'amour.

Je travaille, je reponds au telephone, j'envoie des fax, je termine une maquette pour l'iconographe (attendez, forcement… Une fille mignonne et vive qui envoie des fax du cote de Saint-Germain-des-Pres travaille dans l'edition, forcement…).

Les dernieres phalanges de mes doigts sont glacees et je me fais repeter tout ce qu'on me dit.

Respire, ma fille, respire…

 

Entre chien et loup, le boulevard s'est apaise et les voitures sont en veilleuse.

On rentre les tables des cafes, des gens s'attendent sur le parvis de l'eglise, d'autres font la queue au Beauregard pour voir le dernier Woody Allen.

Je ne peux pas decemment arriver la premiere. Non. Et meme, j'arriverai un peu en retard. Me faire un tout petit peu desirer ce serait mieux.

Je vais donc prendre un petit remontant pour me remettre du sang dans les doigts.

Pas aux Deux-Magots, c'est legerement plouc le soir, il n'y a que des gosses Americaines qui guettent l'esprit de Simone de

Beauvoir. Je vais rue Saint-Benoit. Le Chiquito fera tres bien l'affaire.

 

Je pousse la porte et tout de suite c'est l'odeur de la biere melangee a celle du tabac froid, le ding, ding du flipper, la patronne hieratique avec ses cheveux colores et son chemisier en nylon qui laisse voir son soutien-gorge a gosses armatures, la nocturne de Vincennes en bruit de fond, quelques macons dans leurs cottes tachees qui repoussent encore un peu l'heure de la solitude ou de la bobonne, et des vieux habitues aux doigts jaunis qui emmerdent tout le monde avec leur loyer de 48. Le bonheur.

 

Ceux du zinc se retournent de temps en temps et pouffent entre eux comme des collegiens. Mes jambes sont dans l'allee et elles sont tres longues. L'allee est assez etroite et ma jupe est tres courte. Je vois leur dos voute se secouer par saccades.

 

Je fume une cigarette en envoyant la fumee tres loin devant moi. J'ai les yeux dans le vague. Je sais maintenant que c'est Beautiful Day, cote dix contre un qui l'a emporte dans la derniere ligne droite.

 

Je me rappelle que j'ai Kennedy et moi dans mon sac et je me demande si je ne ferais pas mieux de rester la.

Un petit sale aux lentilles et un demi-pichet de rose… Qu'est-ce que je serais bien…

Mais je me ressaisis. Vous etes la, derriere mon epaule a esperer l'amour (ou moins? ou plus? ou pas tout a fait?) avec moi et je ne vais pas vous laisser en rade avec la patronne du Chiquito. Ce serait un peu raide.

Je sors de la les joues roses et le froid me fouette les jambes.

 

Il est la, a l'angle de la rue des Saint-Peres, il m'attend, il me voit, il vient vers moi.

– J'ai eu peur. J'ai cru que vous ne viendriez pas. J'ai vu mon reflet dans une vitrine, j'ai admire mes joues toutes lisses et j'ai eu peur.

– Je suis desolee. J'attendais le resultat de la nocturne de Vincennes et j'ai laisse passer l'heure.

 

– Qui a gagne?

– Vous jouez?

– Non.

– C'est Beautiful Day qui a gagne.

– Evidemment, j'aurais du m'en douter, sourit-il en prenant mon bras.

Nous avons marche silencieusement jusqu'a la rue Saint-Jacques. De temps en temps, il me jetait un regard a la derobee, examinait mon profil mais je sais qu'a ce moment-la, il se demandait plutot si je portais un collant ou des bas.

Patience mon bonhomme, patience…

– Je vais vous emmener dans un endroit que j'aime bien.

Je vois le genre… avec des garcons detendus mais obsequieux qui lui sourient d'un air entendu: "Bonssouar monsieur… (voila donc la derniere… tiens j'aimais mieux la brune de la derniere fois…)… la petite table du fond comme d'habitude, monsieur?… petites courbettes, (…mais ou est-ce qu'il les deniche toutes ces nanas?…)… Vous me laissez vos vetements??? Tres biiiiiien."

Il les deniche dans la rue, patate.

Mais pas du tout.

Il m'a laissee passer devant en tenant la porte d'un petit bistrot a vins et un serveur desabuse nous a juste demande si nous fumions. C'est tout.

Il a accroche nos affaires au portemanteau et a sa demi-seconde de des?uvrement quand il a apercu la douceur de mon decollete, j'ai su qu'il ne regrettait pas la petite entaille qu'il s'etait faite sous le menton en se rasant tout a l'heure alors que ses mains le trahissaient.

Nous avons bu du vin extraordinaire dans de gros verres ballon. Nous avons mange des choses assez delicates, precisement concues pour ne pas gater l'arome de nos nectars.

Une bouteille de cote-de-Nuits, Gevray-Chambertin 1986. Petit Jesus en culotte de velours.

 

L'homme qui est assis en face de moi boit en plissant les yeux. Je le connais mieux maintenant.

Il porte un col roule gris en cachemire. Un vieux col roule. Il a des pieces aux coudes et un petit accroc pres du poignet droit. Le cadeau de ses vingt ans peut-etre… Sa maman, troublee par sa moue un peu decue, qui lui dit: "Tu ne le regretteras pas, va…"et elle l'embrasse en lui passant la main dans le dos.

Une veste tres discrete qui n'a l'air de rien d'autre qu'une veste en tweed mais, comme c'est moi et mes yeux de lynx, je sais bien que c'est une veste coupee sur mesure. Chez Old England, les etiquettes sont plus larges quand la marchandise sort directement des ateliers des Capucines et j'ai vu l'etiquette quand il s'est penche pour ramasser sa serviette.

Sa serviette qu'il avait laisse tomber expres pour en avoir le coeur net avec cette histoire de bas, j'imagine.

Il me parle de beaucoup de choses mais jamais de lui. Il a toujours un peu de mal a retrouver le fil de son histoire quand je laisse trainer ma main sur mon cou. Il me dit: "Et vous?" et je ne lui parle jamais de moi non plus.

En attendant le dessert, mon pied touche sa cheville.

Il pose sa main sur la mienne et la retire soudain parce que les sorbets arrivent.

Il dit quelque chose mais ses mots ne font pas de bruit et je n'entends rien.

Nous sommes emus.

C'est horrible. Son telephone portable vient de sonner.

 

Comme un seul homme tous les regards du restaurant sont braques sur lui qui l'eteint prestement. Il vient certainement de gacher beaucoup de tres bon vin. Des gorgees mal passees dans des gosiers irrites. Des gens se sont etrangles, des doigts se sont crispes sur les manches des couteaux ou sur les plis des serviettes amidonnees.

Ces maudits engins, il en faut toujours un, n'importe ou, n'importe quand. Un goujat.

 

Il est confus. Il a un peu chaud tout a coup dans le cachemire de sa maman.

Il fait un signe de tete aux uns et aux autres comme pour exprimer son desarroi. Il me regarde et ses epaules se sont legerement affaissees.

 

– Je suis desole… il me sourit encore mais c'est moins belliqueux on dirait.

Je lui dis:

– Ce n'est pas grave. On n'est pas au cinema. Un jour je tuerai quelqu'un. Un homme ou une femme qui aura repondu au telephone au cinema pendant la seance. Et quand vous lirez ce fait-divers, vous saurez que c'est moi…

– Je le saurai.

– Vous lisez les faits-divers?

– Non. Mais je vais m'y mettre puisque j'ai une chance de vous y trouver.

 

Les sorbets furent, comment dire… delicieux,

Revigore, mon prince charmant est venu s'asseoir pres de moi au moment du cafe.

Si pres que c'est maintenant une certitude. Je porte bien des bas. Il a senti la petite agrafe en haut de mes cuisses.

Je sais qu'a cet instant-la, il ne sait plus ou il habite.

Il souleve mes cheveux et il embrasse ma nuque, dans le petit creux derriere.

Il me chuchote a l'oreille qu'il adore le boulevard Saint-Germain, qu'il adore le bourgogne et les sorbets au cassis.

J'embrasse sa petite entaille. Depuis le temps que j'attendais ce moment, je m'applique.

 

Les cafes, l'addition, le pourboire, nos manteaux, tout cela n'est plus que details, details, details. Details qui nous empetrent. Nos cages thoraciques s'affolent.

 

Il me tend mon manteau noir et la… J'admire le travail de l'artiste, chapeau bas, c'est tres discret, c'est a peine visible, c'est vraiment bien calcule et c'est drolement bien execute: en le deposant sur mes epaules nues, offertes et douces comme de la soie, il trouve la demi-seconde necessaire et l'inclinaison parfaite vers la poche interieure de sa veste pour jeter un coup d'?il a la messagerie de son portable.

 

Je retrouve tous mes esprits. D'un coup. Le traitre. L'ingrat.

Qu'as-tu donc fait la malheureux!!!

De quoi te preoccupais-tu donc quand mes epaules etaient si rondes, si tiedes et ta main si proche!?

Quelle affaire t'a semble plus importante que mes seins qui s'offraient a ta vue?

Par quoi te laisses-tu importuner alors que j'attendais ton souffle sur mon dos?

Ne pouvais-tu donc pas tripoter ton maudit bidule apres, seulement apres m'avoir fait l'amour?

 

Je boutonne mon manteau jusqu'en haut. Dans la rue, j'ai froid, je suis fatiguee et j'ai mal au coeur.

Je lui demande de m'accompagner jusqu'a la premiere borne de taxis.

 

Il est affole.

Appelle S.O.S. mon gars, t'as ce qu'il faut. Mais non. Il reste stoique.

Comme si de rien n'etait. Genre je raccompagne une bonne copine a son taxi, je frotte ses manches pour la rechauffer et je devise sur la nuit a Paris.

La classe presque jusqu'au bout, ca je le reconnais.

 

Avant que je ne monte dans un taxi Mercedes noir immatricule dans le Val-de-Marne, il me dit:

– Mais… on va se revoir, n'est-ce pas? Je ne sais meme pas ou vous habitez… Laissez-moi quelque chose, une adresse, un numero de telephone…

Il arrache un bout de papier de son agenda et griffonne des chiffres.

– Tenez. Le premier numero, c'est chez moi, le deuxieme, c'est mon portable ou vous pouvez me joindre n'importe quand…

Ca, j'avais compris.

 

– Surtout n'hesitez pas, n'importe quand, d'accord?… Je vous attends.

 

Je demande au chauffeur de me deposer en haut du boulevard, j'ai besoin de marcher.

 

Je donne des coups de pied dans des boites de conserve imaginaires.

Je hais les telephones portables, je hais Sagan, je hais Baudelaire et tous ces charlatans. Je hais mon orgueil.

 

 


Date: 2016-03-03; view: 1269


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