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Les contraintes de l’explication

Le discours journalistique ne peut se contenter de rapporter des faits et des dits, son rôle est également d’en expliquer le pourquoi et le comment, afin d’éclairer le citoyen. D’où une activité discursive qui consiste à proposer un questionnement, élucider différentes positions et tenter d’évaluer chacune de celles-ci [12]. Une fois de plus, l’enjeu de crédibilité exige que le journaliste énonciateur —souvent spécialisé ou chroniqueur— ne prenne pas lui-même parti, qu’il explique sans esprit partisan et sans volonté d’influencer son lecteur. Mais on verra plus loin pour quelles raisons il s’agit là d’un exercice quasi impossible, ce discours ne pouvant être ni vraiment didactique, ni vraiment démonstratif, ni vraiment persuasif. Sans compter que l’enjeu de captation tire parfois ces explications vers des prises de positions et des explications plus dramatisantes qu’éclairantes.

Ici, comme précédemment, on peut se demander pourquoi l’explication journalistique ne peut être savante . Le discours savant a cette double caractéristique d’être à la fois démonstratif et ouvert à la discussion. Démonstratif, cela veut dire —mais de façon variable selon les disciplines scientifiques— qu’il participe d’un raisonnement à la fois empirique, inductif et hypothético-déductif qui s’appuie sur des observations raisonnées ou sur des expérimentations : il s’inscrit dans un certain cadre théorique, suit une certaine méthodologie, manipule des notions et des concepts préalablement définis pour établir une certaine vérité. Mais comme celle-ci est soumise à discussion, l’établissement de cette vérité est présenté sur le mode hypothétique, et son énonciateur, tout en s’effaçant derrière un sujet analysant, le sujet de la science —ce qui est marqué par l’emploi de pronoms indéterminés ("on"), ou d’un pronom "je" qui représente un sujet pensant—, ce sujet émaille son discours de prudence énonciative, ce qui se manifeste par des verbes et adverbes de modalités (« il est probable que.. », « on peut dire que… », « vraisemblablement »). Rien de tel dans le discours journalistique. Celui-ci ne peut se référer à aucun cadre d’explication théorique, ne suit aucune méthodologie particulière, ne manipule aucun concept, ce qui s’explique par la supposition qu’en font les journalistes, à savoir que le public indéfini auquel ils s’adressent ne serait pas en mesure de comprendre des commentaires renvoyant à un cadre de référence qu’il ne possède pas. En outre, et paradoxalement, si l’énonciateur journalistique cherche à s’effacer derrière un sujet expliquant indéterminé, il n’emploie guère de marques de modalisation du discours, car, aux dires du milieu journalistique elles risqueraient de produire un effet d’incertitude, de doute, contradictoire avec les attentes (une fois de plus supposées) [13] des lecteurs. C’est pourquoi le discours explicatif journalistique se présente sous la modalité de l’affirmation : modaliser serait une preuve de faiblesse au regard de la visée de crédibilité de la machine informative. En cela le discours de commentaire journalistique s’apparente davantage à un discours de vulgarisation, sans en avoir la prétention car ce pourrait être contre-productif.



Dès lors, qu’est-ce qu’une explication journalistique ? Quelle est son lieu de pertinence ? Quels sont ses outils d’analyse ? A la première question, on pourrait répondre qu’il faut clarifier, au moins de façon minimale, des relations de cause à conséquence entre les faits pour un lectorat peu au su de ce qui se passe dans le domaine traité. A la seconde, on peut répondre que le discours journalistique tire sa pertinence du fait que l’on peut supposer que son énonciateur a une connaissance de la nouvelle traitée par la fréquentation, l’observation et l’investigation, mais le plus souvent il s’agit d’une sorte de connaissance empirique. Quant à ses outils, ne pouvant être disciplinaires pour les raisons que l’on a déjà données, ils sont une certaine manière de raisonner en fonction de la connaissance du terrain, de certaines lectures et des renseignements tirés de témoignages et d’interviews de spécialistes.


Date: 2015-12-11; view: 633


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