Home Random Page


CATEGORIES:

BiologyChemistryConstructionCultureEcologyEconomyElectronicsFinanceGeographyHistoryInformaticsLawMathematicsMechanicsMedicineOtherPedagogyPhilosophyPhysicsPolicyPsychologySociologySportTourism






Les responsabilités de la machine médiatique

C’est au niveau de cette machine que se font un certain nombre d’opérations : sélection des événements à transformer en nouvelle, détermination des sources d’information, recherche des moyens de donner une certaine fiabilité aux commentaires parmi lesquels se trouvent le recours aux sondages et la sollicitation d’experts.

La sélection des événements

Pour ce qui concerne la sélection des événements, on aura remarqué la propension à choisir ceux qui sont le plus inattendus, insolites et à forte teneur dramatique. Ainsi verra-t-on traité avec une certaine délectation médiatique les révoltes des banlieues en France, les catastrophes naturelles telles le Tsunami, les cyclones, les tremblements de terre, les grandes affaires de corruptions, les cas de dysfonctionnement de la Justice (Outreau).

A ouvrir les journaux télévisés avec ces événements, à les placer en Unes des journaux et à la répéter en boucle, il se produit un effet de focalisation et de grossissement de la nouvelle qui envahit le champ de l’information donnant l’impression qu’elle est la seule digne d’intérêt, et assignant le téléspectateur de la télévision, l’auditeur de la radio ou le lecteur du journal à devoir s’intéresser, s’émouvoir, voire compatir. La répétition en boucle d’une catastrophe, d’une prise d’otages, d’un attentat, de quelques cas d’affection virale, d’actes de révolte, etc. finit par essentialiser ces nouvelles, supprimant la possibilité de les recevoir avec esprit critique.

L’imposition d’un agenda événementiel et la récurrence essentialisante d’une même nouvelle dramatique produisent ce que l’on appellera une « suractualisation » événementielle, effet de formatage du réel qui tend à faire croire que ce qui apparaît sur la scène publique est phénomène essentiel.

Un des exemples les plus emblématiques de ce phénomène de suractualité fut le passage en boucle par les différentes chaînes de télévision, durant plusieurs jours, de l’attentat du 11 septembre 2001 sur les Twin sisters de New York. Mais ce fut aussi la surexposition de petites agressions de tous ordres et des émeutes de banlieue créant une véritable psychose auprès d’une population qui, en France, s’apprêtait à élire son président de la république en 2002, psychose qui fut l’une des causes de l’élimination, au premier tour, du candidat Lionel Jospin au profit de Jean-Marie Le Pen [14]. De même la suractualisation des événements relevant de la justice pénale dont ne sont retenus que les plus dramatiques, laissant croire que la Justice reste impuissante devant la petite et la grande délinquance. Comme le rappel le procureur Barel : Chaque année en France, se commettent grosso modo dix millions d’infractions. La moitié d’entre elles 5.400 000 sont transmises aux parquets. De cette masse, seuls quelques faits divers symboliques sont portés à la connaissance du public. Certains sont montés en épingle, scénarisés, dramatisés, souvent sans aucune précaution. On l’a vu par exemple, à l’occasion de l’affaire d’Outreau. On surévalue certains dossiers sans craindre d’alimenter la peur » [15]. Effet déformant de la machine médiatique qui prédispose l’opinion à demander sans discernement des sanctions drastiques.



Les sources

Pour ce qui concerne les sources de l’information, la question est difficile à traiter car il existe pour le journaliste et l’organe d’information un droit à protéger ses sources. Le monde des médias tient à défendre ce droit et on le comprend car celui-ci assure à l’information une certaine efficacité.

Cependant, on peut se demander s’il n’y a pas une certaine contradiction si on regarde les choses du côté de ce que serait une information fiable. Car si d’un côté le fait de ne pas révéler ses sources permet d’obtenir des informations qui ne seraient pas obtenues dans le cas contraire, d’un autre côté, une information pour être crédible doit citer ses sources en gage d’authenticité. Que dirait-on d’un rapport scientifique ou médical sur un cas d’épidémie si les sources d’information n’étaient pas citées ? D’autre part, on peut penser que si obligation était faite aux organes d’information de citer leurs sources, il est probable qu’il y aurait moins de fuites, de fausses rumeurs, voire de lynchages médiatiques.

Mais il faut ajouter que la question des sources se retrouve dans la façon dont les événements sont portés à la connaissance du public. Deux exemples particulièrement significatifs. Lors de notre travail d’analyse sur les événements du conflit en ex-Yougoslavie entre la Serbie et la Bosnie [16], on a mis en évidence la différence d’utilisation des sources d’images par TF1 et Antenne 2 : TF1 avait davantage recours aux images diffusées par la télévision serbe que Antenne 2. Cela n’était pas indiqué sur l’écran, et pourtant cela est important en termes de crédibilité de l’information.

Un autre exemple est donné par la presse : dans un article du journal Le Monde datant du 7-8mai 2006, on apprend que « recevant, vendredi 5 mai, Nicolas Sarkozy, il (Jacques Chirac) a évoqué avec lui les développements de l’affaire judiciaire, mais aussi le sort de Dominique de Villepin à Matignon ». On peut se demander par quelle source le journaliste a obtenu cette information, ce qui lui permet de dire « a évoqué » et « le sort », termes subjectifs dont on ne sait s’ils ont été employés tels quels. Mais la perplexité grandit lorsque l’on lit les titres et sous-titres qui annoncent l’article : « Chirac oblige Sarkozy a envisager Matignon », et : « Crise. Le président et le ministre ont parlé de la situation de Villepin ». Problème de citation de la source et de sa présentation.

Les sondages

Les médias usent et abusent des sondages, et pas seulement à propos d’information politique. Chaque fois qu’est lancé un débat de société, que ce soit à propos de l’environnement, des transports, de la santé, d’affaires judiciaires, etc.), c’est à partir des résultats de sondages, quand ceux-ci ne sont pas réalisés en direct au moment même du débat.

On sait que les sondages posent bien des problèmes pour leur confection et dans leur utilisation : pertinence du panel des sondés, type de questions ouvertes ou fermées qui orientent plus ou moins les réponses, mode de présentation. Tous les sondages n’ont pas la même signification et ne peuvent être interprétés de la même façon. Ils varient selon la nature du problème soumis à enquête et le type de questions. On ne peut interpréter de la même façon une question demandant uneintention d’agir (« Pour qui allez-vous voter ? »), une appréciation (« Êtes-vous satisfait de la politique du gouvernement ? »), ou un pronostic (« Qui, d’après vous, va gagner les élections ? »). quant à la nature du problème, il induit des réactions différentes selon sa teneur morale, le degré de préoccupation sociale ou l’urgence de la solution à apporter. Si l’on demande : « Voulez-vous sauver la planète ? », il est évident que la réponse sera « Oui » sans que celle-ci n’engage une exigence de comportement particulier. Si l’on demande si l’on est pour ou contre les test ADN pour contrôler l’immigration, les réponses seront partagées. Selon la teneur morale, mais aussi selon la teneur émotionnelle : à la question de savoir sir les français sont pour ou contre les test ADN pour les immigrés demandant le regroupement familial, 57% des sondés répondent favorablement, la même proportion que ceux qui dans les année 80 étaient contre l’abolition de la peine de mort.

Enfin, on fera remarquer que les réponses à un sondage ne valent pas nécessairement pour ce que pensent (ou pensent faire) les gens, les mêmes personnes pouvant déclarer qu’elles sont pour réduire la circulation des voitures en ville tout en ne concevant pas de se séparer de leur véhicule. On sait que plus une question a une teneur morale, plus les réponses convergent vers une posture morale sans que cela garantisse un changement d’attitude.

Malgré cela, les médias sont entraînés dans le cercle infernal de la « sondagite » : suscitation de sondages de la part des politiques ou des organes d’information, quand ce ne sont pas les instituts de sondage eux-mêmes qui les proposent > publication simplifiée > réception des sondages qui sont sensés apporter la preuve de quelque chose > appel de nouveaux sondages > etc. De plus, les médias ne publient pas la totalité des paramètres qui ont présidé à la confection des sondages ; seulement quelques uns sont retenus en fonction de leur effet de visibilité et de dramatisation (d’où la bataille des chiffres). Ils ont beau rappeler qu’un sondage, « ce n’est qu’une photo à un moment donné », sans préciser une photo de quoi, le citoyen qui prend connaissance d’un sondage se trouve dans l’incapacité de pouvoir en juger la pertinence. Le sondage tel que présenté par les médias se veut la preuve d’un commentaire ou d’une analyse. Il n’est en réalité qu’un semblant de preuve.

Les experts

On pourrait également citer comme preuve douteuse, ce que les médias font des experts. Tout d’abord en confondant expert, spécialiste scientifique, chroniqueur spécialisé et penseurs qui interviennent à l’occasion de tel ou tel événement. La valeur de la parole de ces différents commentateurs ou analystes ne peut être la même. Pourtant ceux-ci sont souvent présentés sans distinction de rôle. Sans compter que l’on assiste à l’heure actuelle, du moins en France, à une élimination progressive des experts au profit des journalistes spécialisés qui sont donc toujours les mêmes, ou à leur remplacement par des chiffres, des sondages, des micros trottoirs et des mini-témoignages. Et lorsqu’il est fait appel à des penseurs extérieurs, ce sont toujours les mêmes qui sont sollicités en fonction de leur savoir parler de façon médiatique.


Date: 2015-12-11; view: 656


<== previous page | next page ==>
Les contraintes de l’explication | Les responsabilités du discours journalistique
doclecture.net - lectures - 2014-2024 year. Copyright infringement or personal data (0.008 sec.)