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Poids toujours important de l’aristocratie

 

En termes de richesse les hommes d’affaires pèsent de plus en plus dans la société britannique (Cassis, 1997, p. 191 et sq.), tandis que décroît la part des grands propriétaires terriens (seulement 27% des plus grandes fortunes en 1900-1919 (W. Rubinstein, 1993). Les plus grandes fortunes atteignent environ 10 millions de livres (comme en Allemagne ou en France) : le seul à dépasser vraiment ce niveau est l’armateur et financier John Ellerman (55 millions de livres en 1915). Les banquiers apparaissent très bien représentés parmi les plus grandes fortunes. Il semble que le nombre de ces très grandes fortunes soit plus élevé en Grande-Bretagne qu’en Allemagne ou en France. Les dirigeants des très grandes compagnies apparaissent aussi plus riches en Grande-Bretagne (21% de millionnaires contre 10% en Allemagnes et 8% en France).

 

L’aristocratie britannique demeure la plus importante en Europe. La fortune des landlords est souvent investie en actions et parts de sociétés. Même le déclin de la Chambre des Lords ne peut empêcher la pérennisation de la puissance des landlords (20% des membres de la chambre des communes ont des liens avec les landlords. L’aristocratie impose en outre son genre de vie, mais aussi son rôle politique : entre 1900 et 1991, seuls 7,7% des membres des cabinets conservateurs sont fils d’hommes d’affaires, contre 50% de landlords. De plus, une très forte proportion des dirigeants des principales compagnies sortent d’une public school majeure (Eton, Harrow, Rugby, Winchester, etc.). Néanmoins, le groupe n’est pas homogène : entre 1905 et 1925, 74% des banquiers en sont issus contre 31% des sidérurgistes. Si Londres constitue le centre de la vie politique, économique et sociale, seuls 53% des hommes d’affaires y résident. En fait, Londres a moins de signification pour la classe supérieure britannique que Paris pour son homologue française.

 

Le pouvoir politique de ces hommes d’affaires n’est pas négligeable, en particulier en Grande-Bretagne : en 1907, 22% des dirigeants des principales entreprises du pays sont ou ont été membres du Parlement, contre 17% en France et 4% en Allemagne. Il est vrai que le patronat est mieux organisé en groupe de pression dans ce dernier pays : la Federation of British Industries date seulement de 1916 alors que le Central Verband Deutscher Industrieller (CVDI) a été établi dès 1876. Le modèle allemand de capitalisme organisé diffère avec le modèle libéral britannique. Les Britanniques rechignent devant les institutions patronales : il est vrai qu’au moment où se créent le Comité des Forges (1864) en France et le CVDI, les sidérurgistes britanniques ne réclament pas de tarifs protecteurs. En revanche, ces organisations, quand elles naissent, visent plutôt les relations du travail : tel est le cas pour l’Engineering Employers’ Federation, fondée en 1896 pour faire face aux syndicats du secteur sur la semaine de 48 heures, ou la Federation of Master Cotton Spinners Association (1891), qui y ajoute, de façon exceptionnelle, la régulation de la concurrence.



 

Alfred D. Marshall (1842-1924)

 

Né en 1842 à Bermondsey au milieu des tanneries de Londres, Alfred D. Marshall était destiné par son père, dure de la Banque d’Angleterre, à devenir pasteur. Soumis à une éducation très dure, passionné par les mathématiques, il met vingt-cinq ans à découvrir l’économie politique. Bien épaulé par son épouse Mary Paley (1850-1924), il écrit avec elle, en 1879 sur premier ouvrage Economy of Industrie. Il connaît dès lors une carrière brillante : fellow à Oxford, directeur d’école à Bristol, Professeur à Cambridge en 1884. Il y exerce une influence majeure, notamment sur Leynes (« nous sommes tous els élèves d’Alfred Marshall »). Auteur des Principes of Political Economy, 1890), il y innove en relèguant en annexes les mathématiques. Cette volonté de pédagogie assure à son ouvrage un succès mondial. Jusqu’en 1930, il devient le manuel de référence pour tous les étudiants d’économie politique anglo-saxons.

 

Alfred Marshall constitue un trait d’union entre les classiques (Smith, Ricardo, Mill) et les néo-classiques (Cournot, Jevons, Menger, Walras). A travers sa théorie du prix d’offre, il jette un pont entre le théorie de valeur-travail des premiers et celle de la valeur-utilité des seconds. Il s’impose par l’originalité de sa méthode, qui prend en compte le temps historique, par sa théorie de l’équilibre partiel sur un marché, son analyse du monopole et de l’intervention de l’Etat, sa théorie moderne de la consommation. En 1919, il écrit Industry and Trade, ouvrage de vulgarisation qui connaît un grand succès, puis, en 1923, Monnaie, Crédit et Commerce, où il reprend la théorie des avantages comparatifs de Ricardo.

 

 

Un leadersphip maritime renforcé

 

 

La Grande-Bretagne reste à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle une puissance maritime inégalée, voire inégalable tant du fait de sa puissance navale que de l’ampleur de sa flotte commerciale. Cependant, des concurrents nouveaux apparaissent et l’hégémonie britannique sur mer, sans être remise en cause, est érodée à la veille de la première guerre mondiale.

 

 

La puissance navale britannique

La Royal Navy

La Royal Navy constitue la plus grande force navale du monde et de loin. En 1897, à Spithead, le jubilé de diamant de Victoria est l’occasion d’une revue navale impressionnante et le Times, qui évoque alors le défilé de 165 grands navires, dont 24 de première classe et 54 croiseurs, parle de « la plus formidable force quantitativement et qualitativement… qui ait jamais été rassemblée et avec laquelle ne pourrait rivaliser aucune flotte coalisée d’autres puissances… Le monde n’a jamais vu cela ! ». En effet, six longues files de plus de 8 km de long auraient atteint mises bout à bout 48 km.

 

Le tableau suivant met en évidence le fort développement de la Royal Navy, qui totalise à elle seule la puissance réunie des deux flottes classées derrière elle. La Navy l’emporte en effet par le nombre et son développement obéit, en principe, à la règle d’or des « Two Power Standard » qui exige que la flotte britannique constitue l’équivalent de l’addition des deux plus puissantes classées après elle. En ce qui concerne les grands bâtiments, la flotte anglaise doit disposer d’une marge de supériorité de 10% sur les deux flottes qui la précèdent immédiatement.

 

Tableau 8 - Tonnage des navires de guerre des grandes puissances[3]

 

En milliers de tonnes
Angleterre
France
Russie
Etats-Unis
Italie
Allemagne
Autriche-Hongrie
Japon

 

Mais la supériorité est aussi qualitative[4]. Depuis le Naval Defense Act de 1889, la Royal Navy dispose d’escadres homogènes, puissantes, dont le navire de ligne, le cuirassé, constitue le fer de lance. Le cuirassé procède du rendez-vous de la vapeur, de l’artillerie rayée tirant des obus explosifs et du blindage. Vient ensuite le croiseur qui a une triple mission : l’éclairage (la reconnaissance) des escadres ; la conduite des flottilles de torpilleurs ; la défense des convois commerciaux. Le torpilleur et surtout le destroyer constituent le dernier volet de la puissance navale britannique. Il fait son entrée sur la scène maritime vers 1875. A la fin du XIXe s. le torpilleur est devenu un navire de 80 à 150 tonnes, file 25 nœuds, est armée de quelques pièces légères, mais surtout de deux ou trois tubes….Ses qualités d’invisibilité surtout la nuit en font l’ennemi du cuirassé. Or, la Grande Bretagne possède une centaine de ces bâtiments au début du XXe siècle.

 

Au début du XXe siècle, la marine britannique constitue un remarquable instrument de combat et surclasse par l’homogénéité et l’entraînement toutes les marines secondaires. La puissance navale britannique repose encore sur un réseau de bases et de communications sous-marines.

Un réseau sans égal de bases et de lignes télégraphiques dans le monde entier

 

Cette flotte dispose partout dans le monde de ports d’attache et de ravitaillement (indispensables avec la généralisation des navires à vapeur), du contrôle des grandes routes maritimes et « passages » de la Manche (Douvres), de la Méditerranée (Gibraltar), de l’Atlantique à l’Océan Indien (Le Cap), des mers orientales (Singapour) et aussi bien entendu à partir d’Alexandrie, du canal de Suez. En 1904, cinq escadres appuyées sur cinq bases « verrouillent le monde » suivant l’expression de Fisher, premier Lord de l’Amirauté de 1904 à 1910 : la Channel Fleet ou Home Fleet basée à Douvres, la Mediterranean Fleet à Alexandrie, l’Atlantic Fleet à Gibraltar, l’Eastern Fleet à Singapour et l’escadre du Cap. Les meilleures unités sont regroupées dans les mers d’Europe, l’Amirauté considérant depuis 1901-1902 la flotte allemande comme l’adversaire potentiel de la Royal Navy.

 

Elle peut être mise en alerte et concentrée dans les délais les plus brefs grâce au réseau des câbles sous-marins qui font du télégramme un quasi-monopole britannique lorsqu’il s’agit de transmissions intercontinentales. En effet, à la fin XIXe siècle, pour renforcer ses liens avec ses possessions d’outremer, dominions et colonies, en cas de troubles locaux, ou encore si la politique exigeait des décisions rapides, la Grande Bretagne décida la mise en place un réseau mondial de câbles sous-marins capable de relier les points les plus reculés de l’Empire britannique : il s’agit d’un système global intégré reliant uniquement les colonies et les dépendances de l’Empire britannique, ce que les militaires britanniques appelaient un système « étanche ».

 

Carte issue de l’Atlas Vidal de La Blache, 1909 indiquant la situation géographique des colonies anglaises, avec les communications télégraphiques entre l’Angleterre et ses colonies ainsi que les points fortifiés et dépôts de charbon[5].

 

 

En 1911, les Britanniques possédaient plus de 60% du réseau mondial de câbles, ainsi que de nombreux navires câbliers : 28 navires câbliers britanniques contre 5 français, 2 américains, 2 danois, 1 allemand, 1 italien, 1 japonais et 1 chinois en 1904. Les autres pays avaient donc besoin des Britanniques pour poser des câbles et pour les réparer, quand ce n’était pas pour assurer leurs propres liaisons.

 

 

En 1870, l’Eastern Telegraph Company mit en place un câble sous-marin qui évitait le contact avec l’Europe et pour lequel le gouvernement britannique lui consentit une subvention durant 20 ans. Ce câble fut posé dès 1870 par le Great Eastern, depuis Londres, jusqu’à Lisbonne et de là à Gibraltar, Malte et Alexandrie ; ensuite par terre, il gagnait Suez ; de là Aden, puis à travers l’Océan Indien, Bombay. C’était le premier élément d’un système qui se voulait étanche, c’est-à-dire d’un réseau de câbles qui reliait toutes les parties de l’empire sans toucher la terre étrangère. A partir des Indes, des prolongements atteignaient Singapour, et de la Hong-Kong ; de Singapour, un câble fut posé vers l’Australie et la Nouvelle Zélande. Aden, une station très importante, permettait de relier Zanzibar, au Mozambique et à Durban, d’où les lignes terrestres touchaient Le Cap. Les possessions britanniques et les ports où les navires faisaient leurs soutes, si largement répartis à la surface du globe, étaient évidemment utilisés pour créer un tel réseau.

 

 

La création d’un réseau britannique de câbles au cours de la période 1870-1914, s’étendant comme un filet sur tout le globe, permettant de relier les diverses parties de l’empire et constituant un monopole, offrit aux Britanniques de réels avantages stratégiques. Ce réseau avait de plus aidé au progrès et contribué à la croissance du commerce et à la prospérité ; les financiers, les hommes d’affaires en furent les principaux bénéficiaires comme l’observe en 1900 le projet de loi du gouvernement français relatif à un programme intensif de pose de câbles visant à échapper au monopole britannique : « l’influence qu’exerce l’Angleterre dans

le monde est peut-être due davantage à ses câbles qu’à sa marine. Elle contrôle les nouvelles et s’en sert d’une manière extraordinaire pour promouvoir sa politique et son commerce ».

La flotte de commerce

Place écrasante de la flotte marchande britannique.

 

En 1900, la supériorité de la flotte marchande britannique apparaît comme écrasante puisqu’elle possède, à elle seule, plus de la moitié du tonnage total du globe. Depuis, le milieu du XIXe siècle, l’hégémonie britannique s’est renforcée. En 1842, sur 6,7 millions de tonnes que comptait l’ensemble des flottes commerciales, le Royaume Uni en possédait 2,7 millions de tonnes sans compter ses colonies, 3,3 millions de tonnes en les comptant. Les Etats-Unis pouvaient mettre en ligne un tonnage de 2,1 millions de tonnes. La flotte marchande britannique récolte les dividendes de l’abrogation de l’Acte de navigation en 1849 et ses progrès sont constants ou réguliers : elle atteint 5 millions de tonnes en 1861, 13 en 1895 et 19 millions de tonnes en 1914.

 

Tableau 9 - Les principales flottes commerciales mondiales en 1899-1900[6]

Pour les vapeurs

Pavillons Nombre Tonnage brut
Anglais 11 093 807
Allemand 1 873 388
Français 985 968
Américain 970 881

Pour les voiliers

Pavillons Nombre Tonnage net
Anglais 2 662 168
Américain 1 291 954
Norvégien 996 678
Allemand 548 053

 

De plus les armateurs britanniques ont su par un effort vigoureux qui se place surtout dans les années 1860 et 1870, époque marquée par le développement des moteurs à vapeur et par la disparition des entraves artificielles à la liberté du commerce, arrêter l’envahissement du pavillon étranger et restituer au pavillon national le plus clair du trafic maritime de leur pays.

La proportion des navires étrangers dans les ports britanniques était de 32% en 1870, mais seulement de 27,3% en 1890.

 

Conséquence logique de l’hégémonie de la marine marchande britannique, la Grande Bretagne reste depuis 1869, la première utilisatrice du canal de Suez. Les années 1880 marquent l’apogée du trafic britannique par le canal.

 

Tableau 10 - Répartition du tonnage des six premières puissances maritimes transitant par le canal maritime de Suez de 1870 à 1900[7]

rang 1870-1880 1881-1890 1891-1900
1er Grande-Bretagne (76,1%) Grande Bretagne (78%) Grande Bretagne (70%)
2e France (8,3%) France (7%) Allemagne (9,5%)
3e Pays Bas (4,1%) Pays Bas (3,8%) France (6,3%)
4e Italie (2,4%) Allemagne (3,6%) Pays Bas (4,3%)
5e Allemagne (1,2%) Italie (2,7%) Italie (1,9%)
6e Norvège (0,5%) Norvège (0,6%) Japon (1%)

 

 

La supériorité de la flotte marchande britannique est encore plus forte qu’il n’y paraît si l’on tient compte des caractéristiques techniques des unités. La plupart des navires anglais sont récents, avec un port en lourd élevé, une vitesse de rotation rapide et la proportion de voiliers y est inférieure à la moyenne mondiale : les perfectionnements techniques ont été remarquables du point de vue de la dimension, de la puissance, de la vitesse… L’Angleterre compte parmi les chantiers navals les plus importants du monde, de la Clyde à la Tamise. La flotte britannique est pionnière dans toutes les innovations : passage de la voile à la vapeur, de la construction en bois à la construction en fer, puis en acier, mise en place de machines marines plus économiques et plus performantes, en attendant l’adoption de la turbine Parsons dès 1906, tant sur les navires de guerre que sur les plus grands paquebots de l’Atlantique Nord. L’Angleterre a pris sur les nations concurrentes une avance si énorme que sa primauté maritime semble pour longtemps à l’abri des révolutions économiques.

 

Tableau 11 - Nombre de navires à vapeur d’après la vitesse en 1899-1900

(tableau établi d’après d’après le Lloyd ‘s Register)

  Plus de 20 noeuds >19 >18,5 >18
RU
Belgique    
France  
Allemagne

« Liners » et « tramps »

La flotte marchande britannique est constituée de deux types de navires : les « liners », qui désignent des navires effectuant des liaisons régulières, selon un itinéraire fixe, des horaires et une périodicité fixés à l’avance, et les « tramps », « vagabonds des mers », qui desservent les ports selon les besoins et les opportunités du commerce. En 1914, dans l’Ocean Carrying System, c’est-à-dire la grande navigation, on compte, 1200 liners de 5800 tonnes en moyenne, soit 7 millions de tonnes - c’est le groupe le plus puissant qui existe dans aucune marine – et 2400 tramps, de 4000 tonneaux en moyenne, soit 9,6 millions de tonnes. A la veille de la guerre, les « vagabonds » représentent 60% du tonnage global.

 

Le développement des lignes régulières, rendu possible par la généralisation du navire à vapeur, s’est accompagné de l’émergence de puissantes entreprises d’armements maritimes, qui éprouvent encore le besoin de se regrouper sous une direction unique. Le groupe de Lord Inchape est constitué de la British India, la Peninsular and Oriental, la Federal Steamship C°, la Main Steamship Company, la New Zealand Steamship Company et l’Union Company of New Zealand. Sur l’Atlantique Nord, on trouve encore les groupes de la White Star, de la Cunard… Ces lignes régulières enserrent dans leur filet l’ensemble des mers du globe.

 

Prenons l’exemple de la desserte de l’Extrême-Orient : depuis 1842, la Peninsular and Oriental assurait le service maritime postal et le service des passagers, moyennant une subvention du Post Office, entre l’Angleterre, l’Inde et l’Extrême Orient. Mais de nombreuses autres compagnies libres mettent en place des lignes de paquebots mixtes ou de cargos, comme la compagnie des frères Holt de Liverpool, l’Ocean Steam Ship Company, dite Blue Funnel, qui organise dès octobre 1871 un service hebdomadaire entre Liverpool et Shanghai[8]. Après 1873, se joignent sur cette desserte la Glen Line, la Castle Line et Watts Milburn & Company. Toutes ces compagnies envoient en Chine des navires de grande capacité adaptés au transit par le canal de Suez.

 

Mais l’originalité de la marine anglaise réside également dans la prépondérance des « tramps ». Ceci est lié à la spécificité du commerce britannique qui exige l’importation de produits lourds : minerais, céréales, coton, laine, bois et qui a la chance de disposer d’un remarquable fret de retour : le charbon. Les navires britanniques disposent grâce à leur fret de sortie d’un avantage par rapport aux autres nations : ils peuvent, à tout moment et pour des ports dispersés sur l’ensemble du globe, se charger d’une cargaison complète. Ils accomplissent ainsi à pleine charge un voyage de sortie normal, susceptible de donner un bénéfice, et se trouvent par suite en mesure d’accepter des frets de retour inférieurs à ceux dont aurait besoin un navire venu dans le même port à demi charge ou sur lest. Cette flotte de tramping participe pour plus de la moitié au grand négoce international par mer. Dès 1832, Tocqueville écrivait : « il ne faut pas croire que les vaisseaux anglais soient uniquement occupés à transporter en Angleterre les produits étrangers ou à transporter chez les étrangers les produits anglais ; de nos jours, la marine marchande anglaise forme une grande entreprise de voitures publiques, prête à servir tous les producteurs du monde et à faire communiquer tous les peuples entre eux ».

Les défis du début du XXe siècle : des défis relevés pour l’instant

Dans le domaine militaire

 

Si l’on reprend le tableau des tonnages des flottes de guerre des principales puissances militaires, la supériorité britannique demeure. Cependant, il apparaît aussi que la puissance relative de ses rivaux est bien plus grande, alors que les menaces se développent presque simultanément (..,) Quelle que soit la régularité avec laquelle on augmente le budget de la Royal Navy, celle-ci ne peut plus, face aux cinq ou six flottes étrangères qui se constituent dans les années 1890 « régner sur les flots » comme elle le faisait au milieu du XIXe siècle. L’Amirauté en est consciente, l’Angleterre peut répondre au défi américain dans l’hémisphère Nord, mais c’est à condition de retirer des navires de guerre des eaux européennes ; de même, elle peut augmenter la taille des escadres de la Royal Navy en Extrême-Orient, mais c’est à condition d’affaiblir les escadres de la Méditerranée…. En 1883, la GB possédait presque autant de gros navires de bataille que les cinq puissances classées après elle et qu’en 1897 ces mêmes puissances, compte tenu des programmes en voie d’achèvement, dépassaient les Britanniques d’un tiers. C’est ce que montre le tableau dressé le 1er février 1898 par le ministère allemand de la Marine :

 

Tableau 12 - Bâtiments cuirassés de plus de 6000 tonnes en construction ou disponibles en 1898

  Nombre d’unités Déplacement (en tonnes)
Angleterre 796 000
France 479 000
Russie 280 000
Italie 181 000
Etats-Unis 130 000
Japon 102 000

 

A la fin du XIXe siècle, la supériorité britannique est battue en brèche à la fois par l’industrialisation des pays européens et non européens et par leur accès à une haute technologie[9]. Dans les années 1870-1914, dans le contexte de la montée des impérialismes et du navalisme[10], émergent de nouvelles marines de guerre et de commerce : allemande, italienne, russe, mais aussi japonaise, sans omettre le développement de la flotte américaine remise des effets de la guerre de Sécession. La révolution industrielle et les atouts technologiques vont permettre à certaines puissances de se doter d’une existence sur mer. Dès 1865, l’Italie dispose d’une flotte de cuirassés acquise dans les chantiers navals étrangers. Le Japon sous l’ère Meiji se dote d’une flotte de guerre et de commerce, grâce aux apports européens.

La rivalité anglo-allemande est le fait essentiel des premières années du XXe siècle, et la supériorité technologique y est centrale[11]. Aux lois navales de l’Amiral von Tirpitz (1898) qui visent la création d’une flotte de guerre techniquement et numériquement égale ou supérieure à la Royal Navy[12], l’Angleterre répond par un saut technologique, prenant ainsi l’initiative de l’innovation. Sous l’égide de Lord Fisher, le Dreadnought est lancé en 1905. Ce premier “ all big gun ship ”, qui possède une réelle supériorité par la résistance au feu de l’ennemi, grâce à la construction en fer de la cuirasse, par sa mobilité, donnée par la propulsion mécanique, lui permettant d’atteindre 17 nœuds, par sa puissance de feu monocalibre, composée de dix canons de 305 en tourelles jumelées, déclasse toutes les marines de guerre existantes … y compris la Royal Navy.

Ces innovations technologiques se révèlent alors une aubaine pour l’Allemagne, puisqu’elles remettent les compteurs à zéro. En effet, les Anglais rompent alors, sans doute contraints par l’imminence des initiatives qui pourraient se produire dans les marines américaine et européenne, avec une stratégie séculaire, qui consistait à laisser au plus faible l’initiative de l’innovation, considérant qu’il n’appartenait pas à la Royal Navy de rendre sa propre flotte obsolète[13]. Contrairement à l’hypothèse de Lord Fisher, l’Allemagne et les Etats-Unis, sont assez industrialisés pour suivre, s’engager dans la course aux armements et construire à leur tour des Dreadnought. Si la Grande Bretagne remporte finalement la course aux armements, sa marge de supériorité s’est amoindrie entre 1905 et 1914, d’autant que la guerre met en évidence son essoufflement financier. La Royal Navy conserve la maîtrise de la mer dans le conflit de surface, mais n’est pas préparée à affronter la guerre sous-marine illimitée que les Allemands mettent en œuvre à partir de 1917

 

En définitive, les révolutions technologiques au XIXe siècle ont créé une nouvelle donne, marquée par le déclin relatif de l’Angleterre et l’émergence de puissances maritimes secondaires.

Dans le domaine de la marine marchande.

 

La concurrence des flottes de commerce étrangères se fait également sentir. Le cas le plus spectaculaire est celui de l’Allemagne dont les navires de commerce concurrencent les anciennes puissances maritimes sur toutes les routes commerciales du monde, devenant à la veille de la Première Guerre Mondiale, la deuxième flotte du monde derrière l’Angleterre et devant les Etats-Unis avec plus de cinq millions de tonneaux. La puissance commerciale sur mer de l’Allemagne est corroborée par les chiffres du transit de ses navires par le canal : dans la décennie 1890, les vapeurs allemands sont les deuxièmes utilisateurs du canal de Suez, avec plus de 10% du tonnage total transitant par le canal. Inversement, la Grande Bretagne, si elle reste la première utilisatrice de loin du canal au début du XXe siècle, voit sa part s’éroder au cours de la décennie 1891-1900. Sur le canal de Suez, la part du tonnage britannique est tombée entre 1890 et 1900 de 74,4% à 56,1%, alors que la part de l’Allemagne est passée de 8% à 13,8%. … Dès 1902, une commission de la Chambre des Communes lance un premier cri d’alarme : « Nous étions les premiers sur mer et nous possédions la plus belle marine commerciale du monde. Nous nous trouvons maintenant en présence d’une concurrence plus ardente que nous n’en avons jamais rencontré, et nos efforts doivent, par conséquent, être proportionnellement plus grands, si nous voulons maintenir notre suprématie ».

 

Il s’en suit une véritable course aux performances. C’est sur l’Atlantique Nord que cette course à la performance et au gigantisme se manifeste avec le plus d’éclat. L’échange des nouvelles et surtout l’augmentation considérable du trafic passagers, qu’il s’agisse d’hôtes de luxe ou de vulgaires émigrants, incitent les grandes compagnies à se livrer une lutte de prestige sur une route qui devient la vitrine des activités maritimes et dont témoigne la course au Ruban Bleu : le navire qui réalise la vitesse de traversée la plus élevée, arbore un ruban bleu de longueur équivalente.

 

Depuis 1883, la Grande Bretagne détenait le Ruban Bleu. Mais, elle est dépossédée en 1897 avec l’entrée en service du Kaiser Wilhelm der Grosse (Norddeutscher Lloyd) et du Deutschland de la Hambourg Amerika Linie (1900). La vitesse moyenne de 23 nœuds est atteinte. La Cunard relève le défi et lance coup sur coup deux géants des mers, le Mauretania et le Lusitania. Le gouvernement est même intervenu directement dans une affaire qui a pris des dimensions nationales par un prêt de 2,6 millions de £ sur 20 ans au taux dérisoire de 2,75%. Pour réaliser des vitesses supérieures, la Cunard décide la mise en place de 4 turbines Parsons. En 1907, le Mauretania remporte le ruban bleu avec une moyenne de 23,69 nœuds. C’est la première fois que la traversée tombe à moins de 5 jours. La Cunard conserve le ruban bleu pour près de 20 ans.

 

En 1914, le tonnage commercial britannique ne représente plus que 43% du tonnage mondial, il en représentait plus de 50% en 1900, et 60% en 1890. Certes, l’Angleterre conserve largement sa suprématie avec 19 millions de tonnes, mais la flotte marchande britannique doit désormais compter avec des compétiteurs comme l’Allemagne parvenue au 3e rang avec 5Mt derrière les EU (5,5Mt). La France, 2,2Mt en recul est passée au 5e rang derrière la Norvège (2,5 Mt).

 

Le déclin n’est évidemment que relatif. En 1914, la Grande Bretagne reste la seule nation à disposer véritablement de la « maîtrise de la mer » si l’on considère ce terme au sens ou Mahan l’entend : la maîtrise des routes commerciales et des communications maritimes et aussi la faculté de se défendre contre toutes les opérations portant atteinte à cette maîtrise[14].

 

De la suprématie conservatrice à la prépondérance libérale (1900-1914)

Le règne d’Edouard VII et, après 1910, les débuts de celui de Georges V constituent une charnière, décisive et contrastée, entre la longue ère du victorianisme triomphant qui s’achève en 1901 et le temps des tribulations qui s’ouvre en 1914.

Les Tories au pouvoir (1900-1905)

 

Sur fond de guerre des Boers et de fièvre impérialiste, l’élection « khaki » de 1900 conforte, avec 402 sièges contre 184 aux Libéraux, 82 aux nationalistes irlandais et 2 aux Travaillistes, la majorité conservatrice au pouvoir depuis 1895. Sous la direction de Lord Salisbury puis, après 1902, d’Arthur Balfour, le Cabinet, tout en ramenant la paix en Afrique du Sud (1902), poursuit son œuvre de réformes internes. La législation sociale est améliorée, l’emploi stimulé, la tempérance encouragée, la réforme agraire engagée en Irlande (1903), et l’immigration, perçue comme une menace sur l’emploi ouvrier, mieux contrôlée. En 1902, l’Education Act transfère aux comtés la supervision du système éducatif, accorde un même financement aux écoles publiques et privées et encourage l’enseignement secondaire.

 

Pourtant, en Janvier 1906, les Tories subissent un désastre électoral n’obtenant que 157 sièges contre 400 aux Libéraux, 83 aux Irlandais et 30 au Labour. Même si elle est plus limitée en voix –43,6 contre 49%- cette défaite mérite explication. Il est clair que les Conservateurs ont d’abord payé leurs propres fautes. Ils ont ainsi mécontenté les ouvriers en semblant soutenir l’offensive anti-syndicale du patronat, les non-conformistes par leur politique scolaire trop favorable aux anglicans et aux catholiques et leur refus de « désétablir » l’Eglise d’Angleterre au Pays de Galles, les humanistes en autorisant l’envoi de coolies chinois –« nouveaux esclaves »- en Afrique du Sud. Ils ont surtout subi les effets négatifs de la controverse ouverte en 1903 sur la préférence impériale. En prônant le retour au protectionnisme pour lutter contre la concurrence étrangère et faire émerger une Fédération de l’Empire, J. Chamberlain, Ministre des Colonies, a irrité aussi bien les élites de la finance que les milieux populaires attachés aux bienfaits du libre-échange.

 

L’opinion se passionne et se divise entraînant la démission de Balfour fin 1905 et le succès des Libéraux, fermes soutiens du free trade, au scrutin que ces derniers convoquent dès leur retour au pouvoir. Mais, au delà des clivages qu’ils ont subis ou provoqués, la débâcle des Tories tient surtout à la régénération d’un parti libéral soudé autour des équipes brillantes que dirigeront successivement H. Campbell-Bannerman puis, après 1908, H. Asquith et déterminé à orienter dans un sens radical son programme, soutenu par une large fraction des classes moyennes et populaires et aiguillonné par la vitalité d’un travaillisme qui s’ancre solidement au Parlement où il crée le Labour Party.

Le gouvernement libéral (1905-14)

 

Un seul mot peut qualifier l’œuvre des Libéraux : démocratisation. Celle-ci est d’abord sociale. La gestion du système éducatif est améliorée et la protection des jeunes mieux garantie. Les femmes deviennent éligibles au gouvernement local tandis que l’Old Age Pensions Act de 1908 accorde, sans condition, à tout Britannique un droit à la retraite financé par l’impôt. Parallèlement la loi réduit le temps de travail dans les mines et y instaure un salaire minimum, crée des bureaux de placement, renforce la protection contre les accidents du travail, lutte contre l’exploitation ouvrière, engage une nouvelle politique du logement et de l’urbanisme, rétablit l’immunité juridique des syndicats et les autorise à financer le Labour. Enfin, en 1911, le National Insurance Act instaure un régime obligatoire d’assurance contre la maladie et le chômage, assis sur les cotisations des salariés, du patronat et de l’Etat. Toutes ces dispositions fondent un embryon de Welfare State sur la base contractuelle du partenariat Capital/Travail, de l’interventionnisme de l’Etat et de la solidarité collective. Toutefois elles n’iront pas jusqu’à l’abrogation de la Poor Law de 1834 dont les rigueurs persistent au moment même où sont révélés les drames d’une misère qui frappe près du tiers de la population.

 

La démocratisation politique naîtra de la crise constitutionnelle de 1909-10. En effet, désireux d’utiliser l’impôt pour financer leur politique sociale et le réarmement naval, les Libéraux, et notamment leur aile radicale menée par D.Lloyd George, se heurtent, en 1909, au rejet du Budget par la Chambre des Lords, opposée à tout alourdissement de la fiscalité sur les possédants. Il faudra deux élections générales et la menace de création de 500 nouveaux titres pour trancher « la guerre des pairs contre le peuple » : le Parliament Act de 1911 réduit le droit de veto des Lords à 2 ans et le supprime sur tous les textes financiers. Par ailleurs la durée des législatures est ramenée de 7 à 5 ans et l’indemnité parlementaire instaurée. La suprématie des Communes au sein du régime parlementaire est ainsi consacrée et la voie ouverte à la méritocratie. Pour autant la Chambre Haute n’a pas disparu et le suffrage universel n’a pas été instauré : alors que seulement 59% des hommes adultes jouissent du droit de vote, la démocratie n’est pas encore complète.

 

Les autres mesures adoptées entre 1906 et 1914, telles le renforcement de l’armée et de la Navy, le resserrement des liens avec l’empire, l’entrée dans la Triple Entente, voire l’essai de mise en oeuvre du Home Rule, témoignent de la volonté du libéralisme de redéfinir, de défendre et de faire rayonner cette aire de civilisation qu’on appelle la britannité. Mais ces choix n’ont pas réussi à garantir durablement l’objectif fondamental du pays : la paix intérieure et extérieure. En effet le Royaume Uni reste confronté à la Question d’Irlande et, surtout, se trouve engagé dans les crises qui conduiront à la guerre. C’est pourquoi le bilan des Libéraux, malgré ses avancées, s’avère mitigé. Les deux scrutins de 1910 et surtout celui de Décembre qui place Libéraux et Tories à égalité avec 272 élus chacun –l’Irish party en comptant par ailleurs 84 et le Labour 42- ont d’ailleurs bien montré que le parti au pouvoir était concurrencé par la renaissance des Conservateurs, dirigés depuis 1911 par A.Bonar Law, affaibli par les déceptions de la gauche radicale, des autonomiste irlandais et des suffragettes qui depuis 1903 militent avec force pour les droits des femmes, et menacé par la montée des Travaillistes, portés par une forte vague de revendication ouvrière et syndicale, the Great Unrest. Certes Asquith réussira à former une majorité avec le Labour et l’Irish Party mais, faute d’un profond renouvellement doctrinal, l’ère de la prépondérance libérale recule. Pour le Westminster Model, fondé sur un bipartisme consensuel, comme pour l’Elite system, émanant d’une classe dirigeante cohérente, qui le sous-tend, le temps des défis est désormais ouvert.

 

La crise du 3e Home Rule et la question d'Ulster

 

Contesté, le nationalisme parlementaire demeure prépondérant jusqu’à la Première Guerre Mondiale. John Redmond (1856-1918), successeur de Parnell, négocie avec le cabinet Asquith la présentation d’un 3e projet de Home Rule. Sans surprise, le texte est rejeté en 1913 par la très unioniste Chambre des Lords. Toutefois, depuis 1911, le veto de la Chambre Haute n’est plus que suspensif, pour deux ans. À brève échéance, le dernier obstacle constitutionnel à l’autonomie irlandaise sera donc levé.

En Ulster, cette perspective est insupportable pour la communauté unioniste – majoritaire à l’échelle de la province – qui craint de voir ses privilèges se dissoudre et sa prospérité industrielle décliner au sein d’une entité politique hostile et « arriérée ». La campagne de résistance de l’Ulster unioniste se nourrit d’un anticatholicisme virulent et du sentiment d’avoir été trahi par le gouvernement. Elle s’organise sur plusieurs fronts. Le Conseil Unioniste d’Ulster, puissant organe représentatif des intérêts unionistes, coordonne l’action politique. Sur le terrain, des rassemblements de masse encadrés par l’Ordre d’Orange sont organisés pour signifier le refus de toute concession. Le 28 septembre 1912, une spectaculaire pétition en forme de manifeste – l’Ulster Solemn League and Covenant – est signée par plus de la moitié des protestants d’Ulster qui s’engagent, au nom de la Couronne et de l’unité impériale, à user de tous les moyens nécessaires pour faire barrage à l’autonomie. Par la voix de leur chef emblématique, Edward Carson (1854-1935), les unionistes menacent d’établir un gouvernement provisoire en Ulster si le Home Rule devient loi. Dans cette perspective et en toute illégalité, une milice armée, pensée comme loyale et rebelle à la fois, l’Ulster Volunteer Force, est levée en janvier 1913. Le gouvernement et la police laissent faire. Les nationalistes ripostent en créant leur propre force paramilitaire, les Irish Volunteers. La tension est encore accentuée par les mouvements sociaux qui se développent dans toute l’île, coordonnés par le syndicaliste Jim Larkin (1876-1947) et le socialiste James Connolly (1968-1916). Dans le prolongement de la grande grève de l’été 1913, une petite armée populaire, l’Irish Citizen Army, s’organise autour de Connolly qui, bien que marxiste et internationaliste, s’associe à la cause nationaliste et républicaine.

À la veille de la Grande Guerre, alors que la violence redouble en Ulster, le Parlement amende le projet de loi sur l’autonomie. Afin de sortir de l’impasse, il est décidé que les comtés du nord-est auront le choix de rester temporairement hors de son champ d’application. L’idée d’une partition de l’Irlande fait son chemin. Le 4 août 1914, l’entrée en guerre du Royaume-Uni décide le gouvernement à suspendre l’application du Home Rule jusqu’à la fin des hostilités.

 

 

Le redéploiement des alliances : de l’« Entente cordiale » à la « Triple Entente »

 

A l’approche de la fin du siècle, le gouvernement britannique éprouve des difficultés croissantes pour satisfaire les trois principes fondamentaux de sa politique étrangère : sécurité, équilibre européen et protection de l’Empire par la diplomatie et la puissance de la Royal Navy.

 

Le « splendide isolement » : une position difficilement tenable.

 

Jusqu’en 1890, Londres s’efforce de tenir la balance égale entre les différentes puissances européennes, entretenant avec chacune des rapports complexes. Le gouvernement britannique intervient ainsi en 1875 auprès de Bismarck pour le dissuader d’entreprendre une guerre préventive à l’encontre de la France. Parallèlement, les occasions de compromis ne manquent pas tant vis-à-vis de Paris (compensation de l’occupation unilatérale britannique de l’Egypte par la satisfaction des prétentions françaises en Tunisie) que de Berlin (entrée de l’Allemagne dans le conseil du Canal de Suez en 1885).

 

A cette époque, la question d’Orient est au cœur des préoccupations britanniques. Déployant la Navy dans la mer de Marmara et regroupant les autres Etats européens, Disraeli contraint, lors du congrès de Berlin de juin-juillet 1878, la Russie victorieuse de l’Empire ottoman (traité de San Stefano) à céder sur la question du libre accès à la Méditerranée. La concession par Istanbul de l’administration de la Bosnie-Herzégovine à Vienne et de Chypre à Londres, la conclusion en 1887 d’un accord avec l’Italie et l’Autriche pour la protection de l’Empire ottoman contre les éventuelles visées russes parachèvent cette stratégie de haut vol. La diplomatie britannique ne s’engage ni seule, ni de manière permanente, et réalise tous ses objectifs sans rien concéder d’essentiel.

 

Le tournant a lieu avec la dernière décennie du XIXe siècle. Si les rivaux et les adversaires ne sont jamais les mêmes selon le point de vue envisagé (économiquement, c’est l’Allemagne, sur le plan colonial ce sont la Russie et la France), les perspectives se clarifient peu à peu. L’Asie offre une solution plus simple que le théâtre européen. Le gouvernement britannique joue résolument le Japon contre l’adversaire russe si encombrant en Perse et en Chine. L’alliance du 30 janvier 1902 signée pour 5 ans stipule une neutralité bienveillante réciproque en cas de guerre de l’une des parties contractantes avec une seule puissance dans un conflit intéressant « l’indépendance de la Chine ou de la Corée », et prévoit une assistance armée en cas de conflit avec deux puissances (en clair, la France liée depuis 1893 par des accords militaires avec l’Empire russe). Cela se traduit à court terme par l’autorisation d’emprunts nippons auprès de syndicats bancaires anglais et, lors de la guerre russo-japonaise de 1904-1905, par l’interdiction pour la flotte russe d’utiliser le canal de Suez.

 

Encore l’avantage incontestable d’être lié à la plus grande puissance maritime du Pacifique occidental est-il compensé par une détérioration des liens avec les Etats-Unis, eux aussi de plus en plus tournés vers cette zone. Le renouvellement du traité le 12 août 1905 étend ses effets dans le cas d’une agression par une seule puissance en contrepartie d’une promesse d’assistance nippone en cas de menaces sur les intérêts britanniques en Asie orientale et aux Indes. Il est renouvelé a minima le 13 juillet 1911 : valable pour dix ans, ne s’appliquant plus à l’Inde, ni aux Etats avec lesquels l’Angleterre était lié par un traité d’arbitrage, il n’est plus qu’une « simple précaution pour l’avenir ».

 

L’alliance allemande: espoirs déçus et illusions perdues.

Au tournant du siècle, la tentation allemande se fait sentir à deux reprises. En 1898, au moment de la grande tension russo-britannique en Extrême Orient et de la rivalité avec la France au Soudan, Chamberlain propose au nom du gouvernement anglais à l’ambassadeur Hatzfeldt la conclusion d’un traité public de défense mutuelle. A nouveau en 1901, en raison de la tension anglo-russe en Mandchourie, le Secrétaire d’Etat au Foreign Office Lansdowne propose un traité préfigurant ce que sera l’alliance anglo-japonaise l’année suivante. A chaque fois, les négociations achoppent devant les exigences allemandes d’un traité secret fondé sur une intervention automatique et englobant l’Autriche-Hongrie. Par cette politique du « tout ou rien », Berlin cherche à intégrer Londres dans une Quadruple Alliance, mais ne parvient qu’à la rejeter vers Paris (mémorandum Salisbury du 29 mai 1901)

 

De plus, l’appui du Kaiser au Président du Transvaal Kruger incommode gravement l’opinion publique britannique (télégramme de janvier 1896 et démarches allemandes auprès de Paris, Saint-Pétersbourg et Lisbonne pour un éventuel soutien à Pretoria au printemps 1896). Cette dernière prend conscience du « péril » allemand économique et stratégique (programme naval allemand de l’amiral Tirpitz en 1896 et invasion possible du territoire). Des opuscules économiques et des ouvrages de politique fiction y contribuent : Made in Germany d’E. E. Williams en 1896 ou Riddle of the Sands d’E. Childer en 1902.

 

Dans les milieux d’affaires et l’Empire, le projet allemand de chemin de fer Berlin-Bagdad provoque un tollé car il met en cause la prospère route des Indes par le canal de Suez, surtout s’il est prolongé jusqu’au Golfe persique : l’offre allemande en 1903 de créer un syndicat bancaire franco-anglo-allemand pour assumer le coût de l’entreprise est rejetée par les défenseurs de la sécurité de l’Empire, quand bien même les Russes en sont écartés ab initio !

Berlin demeure donc inaccessible, en dépit des avertissements de Chamberlain, lui-même germanophile. Les visites des chefs de l’Etat français et allemand à Londres révèlent vite les préférences de l’opinion publique : froide courtoisie, sinon hostilité, envers Guillaume II en 1902, sympathie envers Emile Loubet en juillet 1903 répondant, il est vrai, au triomphe réservé par la population parisienne à Edouard VII en mai. Un nouvel effort financer en faveur de la Navy est consenti par le Parlement au printemps 1903, intégrant l’équipement d’un arsenal sur la côte septentrionale des îles britanniques. Le budget passe d’ailleurs de 46% des dépenses militaires en 1905 à 67 en 1913.

 

L’Entente cordiale avec la France: l’Angleterre choisit ses amis.

Le 8 avril 1904, l’ambassadeur Paul Cambon et lord Lansdowne signent la « convention entre le Royaume Uni et la France concernant Terre-Neuve et l’Afrique centrale et occidentale ». C’est l’apurement de tous les litiges depuis 1713. La France renonce à des droits de pêche sur les côtes de Terre Neuve concédés par le traité d’Utrecht. Les frontières entre le Niger et la Nigéria sont délimitées. Réparti en deux zones d’influence distinctes, le Siam demeure un Etat tampon entre la Birmanie britannique et l’Indochine française. Paris s’efface en Egypte en échange d’une complète liberté d’action au Maroc. La voie est ainsi déblayée pour une coopération renouvelée entre les deux Etats.

 

C’est l’aboutissement d’efforts menés des deux côtés de la Manche. La francophilie d’Edouard VII s’harmonise bien avec la politique du cabinet Balfour et d’une partie du Foreign Office. A Paris, Théophile Delcassé, ministre des Affaires étrangères, et Paul Cambon, Ambassadeur à Londres, sont les chantres de ce rapprochement avec l’adversaire de Fachoda. La partie française nourrit, il est vrai, le dessein de rallier la Grande Bretagne à l’alliance franco-russe, pour équilibrer la Triple Alliance. Aussi Delcassé se fait-il médiateur entre Londres et Moscou après l’incident du Dogger Bank (octobre 1904). Paradoxalement, l’affaiblissement de la France face aux Empires centraux, consécutif aux désastres militaires et navals de son allié russe en Extrême Orient, renforce les liens entre Paris et Londres pour qui une seconde défaite de la France serait hautement préjudiciable aux intérêts britanniques.

Cette entente est scellée par l’épreuve de la première crise marocaine consécutive au discours de Tanger de Guillaume II en mars 1905. Il s’agit pour le Kaiser de rompre l’Entente et de disjoindre l’alliance franco-russe (entrevue germano-russe de Björko, 24 juillet 1905). Grey prévient le 3 janvier 1906 que l’opinion publique britannique ne pourra rester neutre en cas d’agression de la France par l’Allemagne et à la conférence d’Algésiras (janvier-avril 1906) Russes et Britanniques soutiennent les prétentions franco-espagnoles sur le Maroc.

 

Si l’alliance anglo-japonaise de 1902, géographiquement limitée, ne représentait pas une rupture radicale dans la tradition diplomatique britannique, l’Entente cordiale par la nature des parties contractantes et l’étendue mondiale de ses enjeux est un choix irréversible du Royaume Uni. C’est la prise de conscience réaliste de la ruine certaine de l’équilibre des puissances sur le Continent, sans compromission du pays. Elle se conjugue avec la perception de l’aggravation des excédents commerciaux, de la perte de l’avance industrielle, des limites du système libre échangiste dans un monde protectionniste (affaire des droits germano-canadiens en 1903) en dépit d’une forte position bancaire mondiale. Ces inquiétudes s’ajoutent à de nouvelles tensions au sein du monde britannique (Irlande et Inde en 1905) ou des fractures sociales profondes à l’intérieur même de la société victorienne (apparition du Labour Party affilié à la IIème internationale ouvrière en 1906). Tout contribue à un sentiment diffus de déclin.

 

La Triple Entente : un serpent de mer ?

La politique extérieure britannique est fondamentalement conservatrice d’intérêts acquis. Mais en opérant des choix, le gouvernement a non seulement aliéné sa liberté de manœuvre mais il s’est aussi impliqué dans un cycle de tensions qu’il ne peut plus diriger, encore moins dénoncer. L’Entente cordiale n’est pourtant pas exclusive de négociations avec l’Allemagne, notamment lorsque la course aux armements navals menace les équilibres budgétaires fondamentaux. Asquith en tant que chancelier de l’Echiquier s’en déclare partisan en 1907. Devenu Premier ministre en 1912, il laisse son secrétaire d’Etat à la Guerre Haldane aller à Berlin tenter de renouer les fils de la négociation : en vain. Mais, à la veille de la Première Guerre mondiale, Londres parvient à un accord avec Berlin sur le projet du Berlin Bagdad (convention du 15 juin 1914) : toute entente n’est donc pas impossible.

 

Les partisans de l’entente cordiale sont certes nombreux et ont de multiples mobiles. Sir F. Bertie dénonce les ambitions coloniales allemandes quand Eyre Crowe, le chef des services administratifs du Foreign Office, fonde une politique anti germanique et pro française sur le nécessaire équilibre des puissances. Cette opposition transcende les grands partis : le social démocrate Hyndman dénoncé le bellicisme germanique avec virulence au point d’être évincé de la IIème Internationale. Tyrrel, adjoint au secrétaire général du Foreign Office, passe de l’opposition à l’Allemagne en 1907 à la francophilie en 1914. Àiguillonnés par l’amiral Fisher, Lloyd George et Winston Churchill, plus réservés dans leur jugement, rejoignent les idées défendues par Asquith et Grey.

 

Plus que tout, c’est la perspective, pour certains idéologiquement (le travailliste R. MacDonald, l’écrivain G.-B. Shaw) pour d’autres stratégiquement (Lord Minto vice-roi des Indes) insupportable, d’une entente avec la Russie qui freine le gouvernement Grey dans le développement des conclusions de son choix français. Là aussi, l’apurement des litiges est nécessaire. Tel est l’objet de la Convention anglo-russe du 31 août 1907. Favorisée par une tentative allemande pour s’immiscer économiquement en Perse, terrain déjà disputé entre Saint-Pétersbourg et Londres, elle divise ce territoire en zones d’influence, russe au nord et britannique au sud, séparées par un hinterland « neutre » et elle affirme la « position spéciale » de la Grande Bretagne dans le Golfe persique. Le Tibet joue le rôle d’Etat tampon entre les territoires russes et anglais comparable au Siam évoqué plus haut. Le statu quo en Afghanistan est garanti. Allié britannique, le Japon bénéficie en contrepartie de marques d’honneurs spécifiques : la Grande Bretagne s’accorde avec la France pour le placement d’emprunts nippons substantiels à des taux préférentiels en 1907, et la fédération d’Indochine octroie la clause de la nation la plus favorisée à l’Empire du Soleil levant. Le gouvernement russe reconnaît à Tokyo la possession de la Corée contre une zone d’influence en Mongolie (traité du 30 juillet 1907). Mais jamais les Russes ne parviennent à faire évoluer leurs relations avec l’Angleterre dans le sens d’une alliance plus étroite, n’obtenant pas même l’équivalent des conventions d’état-major conclues avec les Français.

 

Celle-ci est désireuse de planifier au plus vite un éventuel effort de guerre commun contre l’Allemagne. Depuis la première crise marocaine et à maintes reprises (comité interallié de 1906, rapport de l’état-major de l’Armée en octobre 1908, propos du général Wilson en août 1911), experts militaires français et britanniques s’accordent sur l’envoi inévitable d’un corps expéditionnaire britannique sur le Continent. Ce à quoi les dirigeants politiques anglais ne veulent pas souscrire (déclarations de Campbell-Bannerman à Clemenceau en avril 1907).

Le tournant a lieu en 1912 sous la double


Date: 2015-12-11; view: 828


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