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La révolution industrielle : quels préalables ?

 

Quatre préalables au moins peuvent être identifiés. Le premier tourne autour des progrès spécifiques de l’agriculture. Certains auteurs (Paul Bairoch, Carlo M. Cipolla) ont défendu l’idée d’une « révolution agricole » préalable à la révolution industrielle. En effet, les progrès de l’agriculture ont permis de nourrir une population active excédentaire. Tandis que les enclosures ont dégagé « l’armée de réserve du capitalisme » (selon l’expression de Karl Marx), l’accumulation préalable du capital s’est faite en grande partie grâce aux gains de productivité agricole (Walt W. Rostow, Paul Bairoch). Du fait de l’augmentation des revenus, le progrès agricole aurait ainsi suscité une demande nouvelle de biens de consommation (textile) ou de production (outils en fer). Néanmoins l’antériorité d’une révolution agricole par rapport à la révolution industrielle se vérifie mal, même si, en Grande-Bretagne, l’agriculture a pu nourrir la population dans la première phase de l’industrialisation.

 

En premier lieu, l’expérience britannique conduit à relativiser l’incidence de l’emploi agricole (Patrick Verley). Les premiers ouvriers de l’industrie apparaissent moins comme des agriculteurs quittant leur emploi que comme des jeunes jetés sur le marché du travail par la croissance démographique. D’ailleurs le surpeuplement rural de la première moitié du XIXe siècle ne contredit pas les difficultés rencontrées par les patrons de recruter des ouvriers. En effet, il existe une forte population rurale proto-industrielle (non agricole ou mixte), qui fournit à l’industrie ses premiers ouvriers, alors que l’emploi agricole continue de croître au XIXe siècle. En second lieu, la terre constitue une source primordiale d’accumulation. Si, au XVIIe siècle, les propriétaires fonciers britanniques ont placés beaucoup d’argent dans les mines de charbon et les hauts fourneaux, ensuite ils se désengagent au profit d’autres placements jugés plus rémunérateurs (investissements agricoles, canaux, routes à péage) ou plus sûrs (titre d’Etat). Rares sont les yeomen à vendre leur terre et à se lancer dans l’industrie, à l’exception des cotonniers du Lancashire. Des intermédiaires ont pu cependant transformer le capital foncier en investissement industriel, à l’instar des country banks britanniques, qui assurent la compensation entre les régions industrielles déficitaires en capitaux et les régions agricoles excédentaires. Au lieu de financer l’industrialisation la propriété foncière a donc pu détourner du capital à son profit. En troisième lieu, la demande agricole n’a stimulé qu’assez peu la croissance de la sidérurgie : François Crouzet a montré que Paul Bairoch avait surestimé la croissance de la consommation de fer à usage agricole au XVIIIe siècle. En revanche, dans l’industrie textile, l’augmentation de la demande intérieure a offert un stimulus majeur, en défit de l’impulsion donnée par le commerce extérieur.



 

Le second préalable réside dans l’existence d’un développement proto-industriel (Frank Mendels, Pierre Deyon). L’industrie rurale se développe très rapidement au XVIIIe siècle, en particulier en Flandre. Son développement résulte de la nécessité d’augmenter rapidement la production, afin de répondre à la demande croissante du marché intérieur (en particulier des villes) et des marchés américains. Différentes raisons expliquent ce développement rapide de la proto-industrialisation. En l’absence de progrès notables de la productivité du travail, elle constitue la seule possibilité d’accroître la production afin de répondre à l’expansion des marchés. Faute de multiplier les travailleurs industriels à temps plein, la seule solution consiste à faire travailler femmes et enfants ainsi qu’à allonger la durée annuelle du travail. Ayant la famille pour cellule de base, la proto-industrie consiste en une utilisation productive des temps morts de la production agricole et apparaît là où existent des formes d’agriculture dont les besoins en travail sont irréguliers. Elle présente des avantages pour les paysans, pour les autorités (limitation de l’urbanisation) et les marchands, qui réduisent leurs coûts et échappent aux règlements corporatifs, aux aléas conjoncturels des ventes et aux troubles sociaux.

 

La proto-industrialisation suscite ainsi les conditions favorables à l’industrialisation. Elle autorise l’abaissement de l’âge au mariage et donc le déblocage du système démographique ancien, aide à l’essor d’une agriculture commercialisée, permet l’accumulation de capital aux main d’entrepreneur compétents par exemple en West Riding. De ce fait, l’en observe souvent une coïncidence entre les régions proto-industrielles et les régions industrielles. Un certain nombre de pratiques des débuts de l’industrialisation assurent la transition avec la proto-industrie (travail des femmes et des enfants, à la pièce, sous-traitance). Dans le textile d’ailleurs, il existe toujours une période de dualisme du fait du décalage technique entre filature et tissage. Dans un premier temps la filature mécanique a parfois pour premier effet de développer le tissage à main. Mais, à partir de 1850, la proto-industrialisation régresse partout.

 

Troisième préalable, la révolution industrielle nécessite une accumulation primitive de capital. En réalité, les débuts de l’industrialisation demandent peu de capital : de 1770 à 1830, en Grande-Bretagne, les investissements industriels ne représentent que 25% du total des investissements (François Crouzet). Deux facteurs expliquent cette modération des besoins en capitaux fixes : l’étroitesse des secteurs concernés par la révolution industrielle (coton, sidérurgie) et la faiblesse des capitaux de départ d’une entreprise nouvelle. Si le problème varie selon les secteurs (les mines exigent de plus forts investissements), il réside beaucoup plus dans la croissance de l’entreprise que dans son démarrage. Les entreprises qui n’ont pas fait faillite dans les premières années se développent rapidement, par autofinancement, dégageant des surplus disponibles pour aider à la création de nouvelles entreprises et à la croissance d’autres secteurs (chemins de fer). Certes le niveau des investissements de démarrage s’élève au cours du XIXe siècle, en raison de la complexité croissante des techniques et de l’élévation du seuil minimal de rentabilité de l’entreprise. Mais, jusqu’aux années 1850, quand l’entreprise se fonde, elle a besoin de peu de capitaux fixes : vers 1830 encore, en Grande-Bretagne, les capitaux fixes ne dépassent pas en moyenne un septième de l’actif. Toutefois dans la métallurgie, l’on peut déjà dépasser 50% et, dans la filature, presque atteindre ce niveau.

 

Le financement à court terme ne pose alors guère de problèmes, car les négociants acceptent du papier commercial escomptable en paiement des fournitures et en avance sur les ventes. Même pour le crédit à long terme, les banques peuvent aider. En Grande-Bretagne, les country banks, plus nombreuses dans les régions industrielles. Par l’entremise de Londres, le système bancaire fait indirectement financer l’industrie par le capital foncier. En revanche, dans la première phase de l’industrialisation, le marché financier ne constitue qu’une source mineure du financement industriel. En définitive, c’est d’abord l’industrie que finance l’industrie.

 

Quatrième préalable, l’innovation technique joue un rôle majeur. Il s’agit en effet de s’intéresser à l’exploitation industrielle des inventions et à leur diffusion. La révolution industrielle repose sur un ensemble d’innovations apparues dans quelques secteurs étroits et peu nombreux. L’interdépendance des techniques et des branches favorise une diffusion en chaîne des innovations qui provoque une modification de l’organisation de la production et des structures sociales. L’analyse économique (Joseph Schumpeter, Simon Kuznets) montre que le progrès technique constitue le principal facteur des gains de productivité. Si la révolution industrielle s’est engagée à la fin du XVIIIe siècle et pas avant, c’est que, dans un environnement économique donnée, un ensemble cohérent d’innovation techniques à constitué un système technique nouveau (Bertrand Gille). Ce système technique se définit par un ensemble de techniques interdépendantes, qui, à maturité, se désorganisent. Pendant qu’un nouveau système se met en place, afin de résoudre les obstacles sur lequel butte le précédent. L’on ne peut donc « accepter la notion de système technique qu’à la condition de prendre en compte leur instabilité essentielle »[2]. Ainsi, le système né de la révolution industrielle fondé sur le textile, la chimie minérale, le charbon, le fer et le chemin de fer s’efface, à partir des années 1870, au profit d’un nouveau reposant sur l’acier, l’électricité et la chimie organique.

 


Date: 2015-12-11; view: 945


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