"[Le roman naturaliste] est impersonnel, je veux dire que le romancier n'est plus qu'un greffier, qui se défend de juger et de conclure."
Le roman naturaliste que vous avez lu vous permet-il de justifier cette affirmation ?
Mise en place du sujet : ce propos est constant dans les écrits théoriques de Zola : à l'en croire, le vrai romancier doit se borner à l'observation qui fait la qualité du savant et proscrire de ses œuvres l'imagination qui l'égarerait dans des conclusions menteuses. Le réel porte en lui ses propres leçons, et Zola va jusqu'à remettre en cause les privilèges de la création qui assimilent traditionnellement le romancier au démiurge : l'imagination n'a plus d'emploi, l'intrigue importe peu au romancier, qui ne s'inquiète ni de l'exposition, ni du nœud ni du dénouement ; j'entends qu'il n'intervient pas pour retrancher ou pour ajouter à la réalité, qu'il ne fabrique pas une charpente de toutes pièces selon les besoins d'une idée conçue à l'avance.
Le libellé du sujet vous invite à examiner la citation à la lumière du roman que vous aurez lu, et la question posée vous oriente vers un plan dialectique où vous aurez soin de nuancer les propos de Zola. Chacun de ses romans pourrait, bien sûr, être utilisé ici puisque Zola a manifesté un attachement invariable à ces principes ; nous choisirons quant à nous, pour cette dissertation, L'Assommoir.
position de la problématique : L'impersonnalité souhaitée par Zola est-elle compatible avec l'écriture romanesque ?
organisation du plan :
1ère partie : les garants de l'impersonnalité
C'est au terme d'enquêtes minutieuses que Zola entreprenait l'écriture de ses romans, et L'Assommoir est nourri d'une observation directe du quartier de La Goutte d'Or à Paris.
L'utilisation constante du discours indirect libre par le narrateur laisse croire à son absence : les propos des personnages semblent continuer au-delà de leurs échanges. Une voix anonyme qui pourrait être celle du peuple semble être la vraie narratrice du roman.
L'attitude du narrateur à l'égard de ses personnages se garde de toute appréciation : nulle connivence, aucune trace d'ironie et peu de condamnation morale. Il est difficile de démêler ce qui dans leur histoire en fait tour à tour des victimes ou des coupables. La vie seule, et une certaine logique du milieu auquel ils appartiennent, nous laissent tirer les conclusions qui s'imposent.
Il arrive souvent que ce soient les personnages qui tirent eux-mêmes la leçon des faits, sans commentaire explicite du narrateur ; ainsi la remarque du docteur à Gervaise : "Vous aussi vous buvez. Un jour, vous finirez comme ça".
Ainsi Zola réalise pour L'Assommoir le vœu de Flaubert en tant que narrateur : "être présent partout, visible nulle part".
2ème partie : les exigences de la création romanesque
Maupassant l'établit clairement dans la préface de Pierre et Jean : le romancier doit nécessairement choisir, faute de pouvoir tout raconter. Il doit aussi retenir des faits multiples de la vie ceux qui seront les plus significatifs. Ainsi, dans L'Assommoir, la chute de Coupeau, le retour de Lantier, la pluie qui force Gervaise à entrer dans le bistrot, sont autant de circonstances par lesquelles le romancier donne "un coup de pouce" au réel.
La durée romanesque n'est pas celle de la vie. La compression des événements, nécessaire à la narration comme à la lecture, les transforme en histoires et les vies les plus banales en destins. L'art organise un récit démonstratif où le caractère fortuit des événements s'efface au profit d'anecdotes signifiantes (symboles prémonitoires, images de mort).
L'instruction des faits laisse transparaître le romancier qui les organise et le procès-verbal devient réquisitoire : les maigres salaires, les logements sordides, l'omniprésence du bistrot, l'incapacité de toute réflexion politique ou esthétique due à une extrême ignorance. Parfois la narration ne peut se déprendre de remarques navrées sur l'avachissement de Gervaise.
Le style de Zola est loin de correspondre à l'idéal du greffier ! (voir supra) Métaphores animistes (l'alambic), grandissements épiques (le repas de Gervaise), personnages mythifiés (Goujet) donnent au roman une puissance imaginative qui ne doit rien au procès-verbal. Même le langage ouvrier est, à bien des égards, une création littéraire.
Les théories de Zola semblent donc bien en-deçà de la richesse de ses œuvres. Mais l'ambition du naturaliste est-elle pour autant un échec ?
3ème partie : "un coin de la création vu à travers un tempérament"
Zola appréciait la définition du roman proposée par Alphonse Daudet : "un coin de la création vu à travers un tempérament". Il reconnaissait ainsi la dimension nécessairement subjective de la création romanesque, sans pour autant y voir une entorse aux principes naturalistes :
Il importe en effet de saisir la différence entre le réel et le vrai (Hugo ainsi disait du théâtre qu'il « n'est pas le pays du réel : il y a des arbres de carton, des palais de toile, un ciel de haillons, des diamants de verre, de l'or de clinquant, du fard sur la pêche, du rouge sur la joue, un soleil qui sort de dessous terre. C'est le pays du vrai...» (Tas de pierres, III, 1830-1833). Si Zola s'éloigne de la vérité brute du réél, il réussit néanmoins à être vrai, d'une vérité supérieure qui est celle de l'art. Le procès-verbal du greffier serait informe et, pour tout dire, illisible. Le roman prête son ordre et la chair vivante des personnages à la leçon. "Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable", écrit aussi Maupassant, citant Boileau. Ainsi quoi de moins vraisemblable que la visite du Louvre au chapitre III de L'Assommoir ? Zola a vu néanmoins, en baladant son troupeau d'ahuris parmi les chefs-d'œuvre, l'occasion de faire saisir une vérité profonde, qui est leur exclusion du monde de l'art et de la culture.
L'ambition humaine et sociale de Zola ne pouvait s'accommoder d'un procès-verbal impassible. Agir sur les milieux, lutter contre leurs déterminismes suppose qu'on ait identifié les causes et qu'on propose des solutions. En ce sens, L'Assommoir a été compris dès sa parution comme un réquisitoire contre l'alcoolisme. C'est la conviction sensible de Zola, sa pitié et sa colère, qui donnent au "document" sa force évocatrice.
L'Assommoir n'a rien pour autant du pamphlet ni du roman à thèse. C'est qu'il est plus habile de laisser le lecteur découvrir, après lui avoir révélé ce qui importait à la découverte. Il n'appartient pas à l'artiste seul de formuler la conclusion unique mais de donner à connaître la complexité des faits humains et d'aider à suggérer les conclusions simultanées qu'ils commandent.
Zola entretint donc une certaine illusion en identifiant le romancier à un greffier, comme à un médecin ou à un physiologiste. C'était compter sans la puissance de son tempérament, sans la germination spontanée des images et les contraintes de la narration. Il le savait bien, d'ailleurs, lui qui écrit à Henry Céard en 1885 : « Le second point, c'est mon tempérament lyrique, mon agrandissement de la vérité. Vous savez ça depuis longtemps, vous. Vous n'êtes pas stupéfait, comme les autres, de trouver en moi un poète. J'aurais aimé seulement vous voir démonter le mécanisme de mon œil. J'agrandis, cela est certain ; mais je n'agrandis pas comme Balzac, pas plus que Balzac n'agrandit comme Hugo. Tout est là, l'œuvre est dans les conditions de l'opération. Nous mentons tous plus ou moins, mais quelle est la mécanique et la mentalité de notre mensonge ? Or - c'est ici que je m'abuse peut-être - je crois encore que je mens pour mon compte dans le sens de la vérité. J'ai l'hypertrophie du détail vrai, le saut dans les étoiles sur le tremplin de l'observation exacte. La vérité monte d'un coup d'aile jusqu'au symbole.» Ainsi la présence du "poète" (fût-il, comme le disait Proust, "l'Homère de la vidange") nous rend plus chères et plus authentiques des œuvres où passe incontestablement le grand souffle de la vie.
SURREALISME
Nul ne s'était risqué à représenter le mystère de toute chose
par le mystère du langage.
Paul Valéry
Le symbolisme correspond à une réaction contre le matérialisme scientiste, dont la forme littéraire triomphante au XIXème siècle est le naturalisme : celui-ci est accusé de ne proposer qu'une vision mécaniste de l'homme et de l'univers, enclose dans une description objective. C'est au contraire à la suggestion que s'attacheront ces jeunes poètes qui partagent encore du Romantisme le pessimisme désabusé : Charles Cros, René Ghil, Jules Laforgue s'appelleront d'abord Décadents, pour saluer en Verlaine, qui affectionnait ce mot, leur figure de proue, puis accepteront d'être fédérés sous la bannière du Symbolisme. Le mot est proposé par Jean Moréas, qui utilise ici l'étymologie du mot symbole (« jeter ensemble ») pour désigner l'analogie que cette poésie souhaite établir entre l'Idée abstraite et l'image chargée de l'exprimer. Pour les Symbolistes, le monde ne saurait se limiter à une apparence concrète réductible à la connaissance rationnelle. Il est un mystère à déchiffrer dans les correspondances qui frappent d'inanité le cloisonnement des sens : sons, couleurs, visions participent d'une même intuition qui fait du Poète une sorte de mage. Le symbolisme oscille ainsi entre des formes capables à la fois d'évoquer une réalité supérieure et d'inviter le lecteur à un véritable déchiffrement : d'abord voué à créer des impressions - notamment par l'harmonie musicale - un souci de rigueur l'infléchira bientôt vers la recherche d'un langage inédit. L'influence de Mallarmé est ici considérable, qui entraîne la poésie vers l'hermétisme.
Baudelaire : Les Fleurs du Mal
Rimbaud : Une Saison en enfer
Verlaine : Langueur
Verlaine : Les Poètes maudits
Jean Moréas : Manifeste du symbolisme
Valéry : Paradoxe sur l'architecte
Maeterlinck : Pelleas et Mélisande
Mallarmé : Crise de vers
Réaction contre le monde contemporain, le Symbolisme n'est toutefois pas un mouvement surgi "ex nihilo" : tout l'art, depuis ses débuts, a été tissé de symboles.
De même que tout art renvoie au-delà de lui-même et de son sujet, tout symbole se réfère en effet à une réalité absente. S'il désigne en mathématiques une quantité inconnue, il s'efforce, pourrait-on dire, en religion, art ou poésie de rendre tangible une qualité inconnue, qui est la valeur recherchée.
Dans une perspective religieuse, cette qualité est inconnue (ou insaisissable) du fait qu'elle relève d'un autre ordre (surnaturel), et que seule la médiation de l'objet sacré permet de la signifier (le sacré n'étant ici qu'une catégorie sémantique, différente du divin).
Le symbolisme souhaite donc figurer autre chose que le réel immédiat et visible. Il est romantique jusqu'à un certain point, allégorique par moments, onirique ou fantastique, et se rapproche parfois de cette instance profonde que Freud allait décrire bientôt en théorisant l'inconscient.
En s'opposant au réel restreint de l'époque, au donné, au profane, particulièrement représentés par le naturalisme de Gustave Courbet ou Jean François Millet en peinture, d'Emile Zola en littérature, le Symbolisme prétend réinventer un langage des idées: selon Aurier, l'œuvre d'art se doit désormais d'être "idéiste","symboliste", "synthétique" et "subjective".
En cela, le Symbolisme rejoint ses précurseurs: le peintre suisse Heinrich Fusslï, à qui l'on doit le célèbre "Cauchemar", William Blake, ou encore le pathétique Goya de l'époque de la "Casa del sordo"...
Il s'inscrit également dans une mouvance à la fois philosophique, littéraire et artistique, dont tous les acteurs, à travers une singularité revendiquée, partagent le même combat.
En effet, bien que le Symbolisme se caractérise par un individualisme farouche, il est incontestable que l'interpénétration des champs culturels constitue l'un des traits dominants de la période.
C'est d'ailleurs dans le domaine de la littérature, elle-même héritière du Romantisme et influencée par la philosophie de Shopenhauer et de Nietszche, que le Symbolisme trouve ses premières expressions, à travers les oeuvres de Baudelaire, Lautréamont, Verlaine, Rimbaud, puis Mallarmé, qui écrira : "Peindre non la chose, mais l'effet qu'elle produit".
La doctrine.
Le Symbolisme renoue avec les aspects les plus ésotériques du Romantisme, mais proclame surtout sa dette à l'égard de Baudelaire. Rimbaud, connu un peu plus tard (« passant considérable », dira Mallarmé), avait, dans sa Lettre à Paul Demeny (1871), orienté la poésie vers la recherche d'une langue qui soit « de l'âme pour l'âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant.» Mais c'est en Verlaine que les Symbolistes salueront leur chef de file, en raison d'une écriture dont l'Art poétique (1874) prescrit les règles : « Car nous voulons la Nuance encor, / Pas la Couleur, rien que la nuance ! / Oh ! la nuance seule fiance / Le rêve au rêve et la flûte au cor ! ».
Jean Moréas (1856-1910)
Manifeste du symbolisme (Le Figaro, 18 septembre 1886)
[Revendiquant leur «décadence», les poètes fin de siècle manifestent un épuisement de leur héritage littéraire, qui se traduit par le goût du mot rare et de la syntaxe désarticulée, recherches qui peuvent s'accommoder d'ailleurs de certaines trivialités. Ces aspects se prolongent dans le Symbolisme, dont Moréas signe ici l'acte de naissance. Bientôt opposé à la déliquescence des sentiments et à la dislocation du vers, il rompra pourtant avec le mouvement en créant en 1891 L'École romane, plus soucieuse de renouer avec l'inspiration classique.]
Comme tous les arts, la littérature évolue : évolution cyclique avec des retours strictement déterminés et qui se compliquent des diverses modifications apportées par la marche du temps et les bouleversements des milieux. Il serait superflu de faire observer que chaque nouvelle phase évolutive de l'art correspond exactement à la décrépitude sénile, à l'inéluctable fin de l'école immédiatement antérieure. [...]
Une nouvelle manifestation d'art était donc attendue, nécessaire, inévitable. Cette manifestation, couvée depuis longtemps, vient d'éclore. Et toutes les anodines facéties des joyeux de la presse, toutes les inquiétudes des critiques graves, toute la mauvaise humeur du public surpris dans ses nonchalances moutonnières ne font qu'affirmer chaque jour davantage la vitalité de l'évolution actuelle dans les lettres françaises, cette évolution que des juges pressés notèrent, par une incroyable antinomie, de décadence. Remarquez pourtant que les littératures décadentes se révèlent essentiellement coriaces, filandreuses, timorées et serviles : toutes les tragédies de Voltaire, par exemple, sont marquées de ces tavelures de décadence. Et que peut-on reprocher, que reproche-t-on à la nouvelle école ? L'abus de la pompe, l'étrangeté de la métaphore, un vocabulaire neuf où les harmonies se combinent avec les couleurs et les lignes : caractéristiques de toute renaissance.
Nous avons déjà proposé la dénomination de symbolisme comme la seule capable de désigner raisonnablement la tendance actuelle de l'esprit créateur en art. Cette dénomination peut être maintenue. [...]
Ennemie de l'enseignement, la déclamation, la fausse sensibilité, la description objective, la poésie symbolique cherche à vêtir l’Idée d'une forme sensible qui, néanmoins, ne serait pas son but à elle-même, mais qui, tout en servant à exprimer l'Idée, demeurerait sujette. L'Idée, à son tour, ne doit point se laisser voir privée des somptueuses simarres des analogies extérieures; car le caractère essentiel de l'art symbolique consiste à ne jamais aller jusqu'à la concentration de l'Idée en soi. Ainsi, dans cet art, les tableaux de la nature, les actions des humains, tous les phénomènes concrets ne sauraient se manifester eux-mêmes; ce sont là des apparences sensibles destinées à représenter leurs affinités ésotériques avec des Idées primordiales.
L'accusation d'obscurité lancée contre une telle esthétique par des lecteurs à bâtons rompus n'a rien qui puisse surprendre. Mais qu'y faire ? Les Pythiques de Pindare, l’Hamlet de Shakespeare, la Vita Nuova de Dante, le Second Faust de Goethe, la Tentation de Saint-Antoine de Flaubert ne furent-ils pas aussi taxés d'ambiguïté ?
Pour la traduction exacte de sa synthèse, il faut au symbolisme un style archétype et complexe; d'impollués vocables, la période qui s'arc-boute alternant avec la période aux défaillances ondulées, les pléonasmes significatifs, les mystérieuses ellipses, l'anacoluthe en suspens, tout trop hardi et multiforme; enfin la bonne langue – instaurée et modernisée –, la bonne et luxuriante et fringante langue française d'avant les Vaugelas et les Boileau-Despréaux, la langue de François Rabelais et de Philippe de Commines, de Villon, de Rutebeuf et de tant d'autres écrivains libres et dardant le terme acut du langage, tels des Toxotes de Thrace leurs flèches sinueuses.
Le Rythme : l'ancienne métrique avivée; un désordre savamment ordonné; la rime illucescente et martelée comme un bouclier d'or et d'airain, auprès de la rime aux fluidités absconses; l'alexandrin à arrêts multiples et mobiles; l'emploi de certains nombres premiers – sept, neuf, onze, treize – résolus en les diverses combinaisons rythmiques dont ils sont les sommes.
Questions :
- Repérez les différents caractères assignés ici par Moréas à l'esthétique symboliste.
- Comment le texte manifeste-t-il un certain maniérisme sur le plan du vocabulaire et de la syntaxe ?
- Lisez Les Déliquescences, poèmes décadents d'Adoré Floupette (1885), pastiche d'Henri Beauclair et Gabriel Vicaire. Cette charge contre les Symbolistes fournit malgré tout un excellent aperçu de leur doctrine. La préface que Floupette donne à ses Déliquescences imite avec bonheur l'expression absconse à laquelle une excessive recherche lexicale condamne parfois les Symbolistes. Qu'on en juge :
En une mer, tendrement folle, alliciante et berceuse combien ! de menues exquisités s'irradie et s'irise la fantaisie du présent Aède. Libre à la plèbe littéraire, adoratrice du banal déjà vu, de nazilloter à loisir son grossier ron-ron. Ceux-là en effet qui somnolent en l'idéal béat d'autrefois, à tout jamais exilés des multicolores nuances du rêve auroral, il les faut déplorer et abandonner à leur ânerie séculaire, non sans quelque haussement d'épaules et mépris. Mais l'Initié épris de la bonne chanson bleue et grise, d'un gris si bleu et d'un bleu si gris, si vaguement obscure et pourtant si claire, le melliflu décadent dont l'intime perversité, comme une vierge enfouie emmi la boue, confine au miracle, celui-là saura bien, - on suppose, - où rafraîchir l'or immaculé de ses Dolences. Qu'il vienne et regarde. C'est avec, sur un rien de lait, un peu, oh ! très peu de rose, la verte à peine phosphorescence des nuits opalines, c'est les limbes de la conceptualité, l'âme sans gouvernail vaguant, sous l'éther astral, en des terres de rêve, et puis, ainsi qu'une barque trouée, délicieusement fluant toute, dégoulinant, faisant ploc ploc, vidée goutte par goutte au gouffre innommé ; c'est la très douce et très chère musique des cœurs à demi décomposés, l'agonie de la lune, le divin, l'exquis émiettement des soleils perdus. Oh ! combien suave et câlin, ce : bonsoir, m'en vais, l'ultime farewel de tout l'être en déliquescence, fondu, subtilisé, vaporisé en la caresse infinie des choses ! Combien épuisé cet Angelus de Minuit aux désolées tintinnabulances, combien adorable cette mort de tout !
Et maintenant, angoissé lecteur, voici s'ouvrir la maison de miséricorde, le refuge dernier, la basilique parfumée d'ylang-ylang et d'opoponax, le mauvais lieu saturé d'encens. Avance, frère ; fais tes dévotions.