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L'influence du milieu

Pour cet autre credo de la doctrine naturaliste, Zola rejoint le réalisme de Balzac ou de Flaubert : l'écrivain entreprend de traverser tous les milieux de la société du Second Empire, et, pour chacun d'eux, amasse une documentation colossale. Celle-ci n'est pas que livresque : il fait un voyage en chemin de fer pour se documenter sur le rail et les locomotives (La Bête humaine), parcourt le quartier de la Goutte d'Or en quête d'un langage populaire authentique (L'Assommoir), assiste même, missel en main, à une messe pour que La Faute de l'abbé Mouret puisse décrire la liturgie catholique avec exactitude !

Dans l'étude d'une famille, d'un groupe d'êtres vivants, je crois que le milieu social a [...] une importance capitale. Un jour, la physiologie nous expliquera sans doute le mécanisme de la pensée et des passions ; nous saurons comment fonctionne la machine individuelle de l'homme, comment il pense, comment il aime, comment il va de la raison à la passion et à la folie ; mais ces phénomènes, ces faits du mécanisme des organes agissant sous l'influence du milieu intérieur, ne se produisent pas au dehors isolément et dans le vide. L'homme n'est pas seul, il vit dans une société, dans un milieu social, et dès lors pour nous, romanciers, ce milieu social modifie sans cesse les phénomènes. Même notre grande étude est là, dans le travail réciproque de la société sur l'individu et de l'individu sur la société. Pour le physiologiste, le milieu extérieur et le milieu intérieur sont purement chimiques et physiques, ce qui lui permet d'en trouver les lois aisément. Nous n'en sommes pas à pouvoir prouver que le milieu social n'est, lui aussi, que chimique et physique. Il l'est à coup sûr, ou plutôt il est le produit variable d'un groupe d'êtres vivants, qui, eux, sont absolument soumis aux lois physiques et chimiques qui régissent aussi bien les corps vivants que les corps bruts. Dès lors, nous verrons qu'on peut agir sur le milieu social, en agissant sur les phénomènes dont on se sera rendu maître chez l'homme.

Le Roman expérimental (1880)

J'ai voulu peindre la déchéance fatale d'une famille ouvrière, dans le milieu empesté de nos faubourgs. Au bout de l'ivrognerie et de la fainéantise, il y a le relâchement des liens de la famille, les ordures de la promiscuité, l'oubli progressif des sentiments honnêtes, puis comme dénouement, la honte et la mort. C'est de la morale en action, simplement. [...] C'est une œuvre de vérité, le premier roman sur le peuple, qui ne mente pas et qui ait l'odeur du peuple. Et il ne faut point conclure que le peuple tout entier est mauvais, car mes personnages ne sont pas mauvais, ils ne sont qu'ignorants et gâtés par le milieu de rude besogne et de misère où ils vivent.



Préface de L'Assommoir (1877)

L'Assommoir (1877)

(ch. X)

[Le roman raconte l'histoire de Gervaise Macquart. Abandonnée par son amant Lantier, seule à Paris avec deux enfants, elle témoigne d'un idéal de vie laborieuse et honnête qui se concrétise par l'achat d'une blanchisserie. Mais l'accident dont est victime son mari Coupeau, et la compensation qu'il trouve dans la boisson, précipitent le ménage dans la misère.]

Deux années s'écoulèrent, pendant lesquelles ils s'enfoncèrent de plus en plus. Les hivers surtout les nettoyaient. S'ils mangeaient du pain au beau temps, les fringales arrivaient avec la pluie et le froid, les danses devant le buffet, les dîners par cœur, dans la petite Sibérie de leur cambuse. Ce gredin de décembre entrait chez eux par-dessous la porte, et il apportait tous les maux, le chômage des ateliers, les fainéantises engourdies des gelées, la misère noire des temps humides. Le premier hiver, ils firent encore du feu quelquefois, se pelotonnant autour du poêle, aimant mieux avoir chaud que de manger ; le second hiver, le poêle ne se dérouilla seulement pas, il glaçait la pièce de sa mine lugubre de borne de fonte. Et ce qui leur cassait les jambes, ce qui les exterminait, c'était par-dessus tout de payer leur terme. Oh ! le terme de janvier, quand il n'y avait pas un radis à la maison et que le père Boche présentait la quittance ! Ça soufflait davantage de froid, une tempête du Nord. M. Marescotarrivait, le samedi suivant, couvert d'un bon paletot, ses grandes pattes fourrées dans des gants de laine ; et il avait toujours le mot d'expulsion à la bouche, pendant que la neige tombait dehors, comme si elle leur préparait un lit sur le trottoir, avec des draps blancs. Pour payer le terme, ils auraient vendu de leur chair. C'était le terme qui vidait le buffet et le poêle. Dans la maison entière, d'ailleurs, une lamentation montait. On pleurait à tous les étages, une musique de malheur ronflant le long des escaliers et des corridors. Si chacun avait eu un mort chez lui, ça n'aurait pas produit un air d'orgues aussi abominable. Un vrai jour de jugement dernier, la fin des fins, la vie impossible, l'écrasement du pauvre monde.

[Gervaise finit par céder, elle aussi, à l'alcool et mourra dans la plus noire déchéance, sous un escalier.]

Vous pourrez montrer en quoi ce tableau de la misère porte les traces d'un véritable réquisitoire politique. Zola donne en effet à la peinture naturaliste des milieux un but humanitaire : "Quand les temps auront marché, quand on possédera les lois, il n'y aura plus qu'à agir sur les individus et sur les milieux, si l'on veut arriver au meilleur état social. C'est ainsi que nous faisons de la sociologie pratique et que notre besogne aide aux sciences politiques et économiques. [...] Être maître du bien et du mal, régler la vie, régler la société, résoudre à la longue tous les problèmes du socialisme, apporter surtout des bases solides à la justice en résolvant par l'expérience les questions de criminalité, n'est-ce pas là être les ouvriers les plus utiles et les plus moraux du travail humain ?" (Le Roman expérimental).


Date: 2015-12-11; view: 722


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La Bête humaine (1890) ch. II | La Curée (1872) , ch. III
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