Modalité du texte

L’indice essentiel de la modalité c’est le rapport de celui qui parle ou écrit à la réalité. L’appréciation modale établit le degré d’authenticité de l’évènement donné. Dans ce cas il s’agit de la modalité objective qui reflète les relations réelles de la situation donnée. En revanche, la modalité subjective, qui est une catégorie conceptuelle, peut avoir trois composantes : textuelle, latente et extratextuelle[33]. La notion de modalité est très importante dans la poésie. D’après Hegel « Puisque les mots ne sont que des signes des représentations, la vraie origine du langage poétique ne doit pas être cherchée dans le choix des mots et dans la manière de les associer pour former des propositions et des périodes, ni dans la sonorité, le rythme, la rime, etc., mais dans la modalité de la représentation[34].

Le sens modal s’exprime linguistiquement par des moyens grammaticaux, lexicaux et phoniques (intonation) qui se superposent.

En analysant un texte on peut dire que la modalité phrastique s’exprime à travers des moyens lexico-grammaticaux, alors que la modalité textuelle (subjective) se réalise en premier lieu dans la caractéristique des personnages et possède ses propres moyens d’expression.

La modalité varie selon les types de textes. Dans une oeuvre en prose on devine toujours, mais à des degrés différents, l’attitude de l’auteur envers ses personnages (il suffit de comparer la prose très subjective de V.Hugo à la fameuse ‘objectivité flaubertienne’).

Dans un texte poétique le rôle de la modalité subjective est très important ; on peut dire que l’appréciation subjective, souvent latente, pénètre toute oeuvre poétique et surtout la poésie lyrique.

La modalité textuelle se réalise quand le lecteur peut se rendre compte d’un champ thématique, par exemple, à travers des mots-clés, des épithètes, des métaphores, etc., liés par le même thème ou le même sentiment.

Ainsi dans la poésie de Paul Verlaine citée précédemment la modalité textuelle naît de l’opposition contrastée des deux plans –monde environnant – homme (‘cosmos’ - ‘anthropos’) : celui de la nature respirant la sérénité : un ciel bleu et calme, des bruits doux, et celui du poète souffrant, « pleurant sans cesse » et rongé par des remords.

Un lecteur peu expérimenté qui cherchera uniquement une information factuelle se contentera d’avoir retrouvé une modalité objective, au mieux, textuelle, et prêtera peu d’attention à deux autres types de la modalité subjective. Voilà pourquoi il faut souligner encore et encore que la lecture d’un texte poétique est un travail patient et savoureux de la pénétration dans un monde nouveau qui représente un bon poème. Il faut rappeler à ce sujet la notion de l’autotélisme[3] introduite par R. Jacobson qui consiste en ce que le message poétique se concentre sur lui-même. C'est toute la poésie française à partir de Baudelaire et surtout de Rimbaud qui revêtira diverses formes d'autotélisme. Cela permet au poète René Char d’exprimer un certain pessimisme au sujet de la possibilité d’une interprétation adéquate du message poétique : « L'observation et les commentaires d'un poème peuvent être profonds, singuliers, brillants ou vraisemblables, ils ne peuvent éviter de réduire à une signification et à un projet un phénomène qui n'a d'autre raison que d'être[35]. »

Ce qui permet aussi de dire à l’écrivain et critique littéraire M. Blanchot: « Comprendre un poème n'est pas accéder à une pseudo-signification, mais coïncider avec son mode d'existence. [36]»

Date: 2016-01-14; view: 835