Home Random Page


CATEGORIES:

BiologyChemistryConstructionCultureEcologyEconomyElectronicsFinanceGeographyHistoryInformaticsLawMathematicsMechanicsMedicineOtherPedagogyPhilosophyPhysicsPolicyPsychologySociologySportTourism






Nous sommes 89 aussi bien que 93 ».

La célèbre allégorie de Delacroix La Liberté guidant le peuple reste la meilleure illustration de l'insurrection générale du Romantisme contre toutes les barrières. Celles-ci sont bien sûr littéraires (le théâtre et la poésie, notamment, ont été secouées durablement dans leurs formes), mais aussi politiques, et l'on a pu affirmer non sans raison que les journées révolutionnaires de 1830 et 1848 sont romantiques, comme romantiques ont été les luttes pour l'indépendance que mènent alors la Grèce, l'Espagne ou la Pologne. De cette effervescence, Hugo représente tous les aspects, du "bonnet rouge mis au vieux dictionnaire" jusqu'au "non" définitif que son exil opposa au Second Empire. « Le Romantisme, dit-il encore, c'est le libéralisme en littérature

Victor Hugo (1802-1885)

William Shakespeare, III, livre II (1864)

 

[Consacré au génie de Shakespeare, cet essai finit par dépasser son but initial et devient un manifeste-testament dans lequel Hugo affirme la nécessité d'une démocratisation de la littérature : "Quant à nous, nous ne nous figurons la poésie que les portes toutes grandes ouvertes. L'heure a sonné d'arborer le Tout pour tous. Ce qu'il faut à la civilisation, grande fille désormais, c'est une littérature de peuple."]

La Révolution a clos un siècle et commencé l'autre.

Un ébranlement dans les intelligences prépare un bouleversement dans les faits; c'est le dix-huitième siècle. Après quoi la révolution politique faite cherche son expression, et la révolution littéraire et sociale s'accomplit. C'est le dix-neuvième. Romantisme et socialisme, c'est, on l'a dit avec hostilité, mais avec justesse, le même fait. Souvent la haine, en voulant injurier, constate, et, autant qu'il est en elle, consolide.[...]

Le triple mouvement littéraire, philosophique et social du dix-neuvième siècle, qui est un seul mouvement, n'est autre chose que le courant de la révolution dans les idées. Ce courant, après avoir entraîné les faits, se continue immense dans les esprits.

Ce mot, 93 littéraire, si souvent répété en 1830 contre la littérature contemporaine, n'était pas une insulte autant qu'il voulait l'être. Il était, certes, aussi injuste de l'employer pour caractériser tout le mouvement littéraire qu'il est inique de l'employer pour qualifier toute la révolution politique; il y a dans ces deux phénomènes autre chose que 93. Mais ce mot, 93 littéraire, avait cela de relativement exact qu'il indiquait, confusément mais réellement, l'origine du mouvement littéraire propre à notre époque, tout en essayant de le déshonorer. Ici encore la clairvoyance de la haine était aveugle. Ses barbouillages de boue au front de la vérité sont dorure, lumière et gloire.



La Révolution, tournant climatérique de l'humanité, se compose de plusieurs années. Chacune de ces années exprime une période, représente un aspect ou réalise un organe du phénomène. 93, tragique, est une de ces années colossales. Il faut quelquefois aux bonnes nouvelles une bouche de bronze. 93 est cette bouche.

Écoutez-en sortir l'annonce énorme. Inclinez-vous, et restez effaré, et soyez attendri. Dieu la première fois a dit lui-même fiat lux, la seconde fois il l'a fait dire.

Par quoi ? Par 93.

Donc, nous, hommes du dix-neuvième siècle, tenons à honneur cette injure : - Vous êtes 93.

Mais qu'on ne s'arrête pas là. Nous sommes 89 aussi bien que 93. La Révolution, toute la Révolution, voilà la source de la littérature du dix-neuvième siècle. [...]

La Révolution a forgé le clairon; le dix-neuvième siècle le sonne.

Ah ! cette affirmation nous convient, et, en vérité, nous ne reculons pas devant elle; avouons notre gloire, nous sommes des révolutionnaires. Les penseurs de ce temps, les poètes, les écrivains, les historiens, les orateurs, les philosophes, tous, tous, tous, dérivent de la Révolution française. Ils viennent d'elle, et d'elle seule. 89 a démoli la Bastille; 93 a découronné le Louvre. De 89 est sortie la Délivrance, et de 93 la Victoire. 89 et 93; les hommes du dix-neuvième siècle sortent de là. C'est là leur père et leur mère. Ne leur cherchez pas d'autre filiation, d'autre inspiration, d'autre insufflation, d'autre origine. Ils sont les démocrates de l'idée, successeurs des démocrates de l'action. Ils sont les émancipateurs. L'idée Liberté s'est penchée sur leurs berceaux. Ils ont tous sucé cette grande mamelle; ils ont tous de ce lait dans les entrailles, de cette moelle dans les os, de cette sève dans la volonté, de cette révolte dans la raison, de cette flamme dans l'intelligence. [...]

Les écrivains et les poètes du dix-neuvième siècle ont cette admirable fortune de sortir d'une genèse, d'arriver après une fin de monde, d'accompagner une réapparition de lumière, d'être les organes d'un recommencement. Ceci leur impose des devoirs inconnus à leurs devanciers, des devoirs de réformateurs intentionnels et de civilisateurs directs. Ils ne continuent rien; ils refont tout. A temps nouveaux, devoirs nouveaux. La fonction des penseurs aujourd'hui est complexe; penser ne suffit plus, il faut aimer. Penser et aimer ne suffit plus, il faut agir; penser, aimer et agir ne suffit plus, il faut souffrir. Posez la plume, et allez où vous entendrez de la mitraille. [...]

Stimuler, presser, gronder, réveiller, suggérer, inspirer, c'est cette onction, remplie de toutes parts par les écrivains, qui imprime à la littérature de ce siècle un si haut caractère de puissance et d'originalité. Rester fidèle à toutes les lois de l'art en les combinant avec la loi du progrès, tel est le problème, victorieusement résolu par tant de nobles et fiers esprits.

Questions :

- Montrez que ce texte investit l'écrivain d'une véritable mission.

- Quels sont les moyens essentiels qui donnent à ce texte son registre didactique ?

- Dissertation : « Penser ne suffit plus, il faut aimer ». En quoi ces mots de Hugo semblent-ils pouvoir donner une juste idée des aspects essentiels du Romantisme ?

5. Une image :

 

 

Benjamin Roubaud, Grand chemin de la postérité, 1842, (détail) Maison de Balzac, Paris.

La caricature de Benjamin Roubaud (1811-1847) donne une idée assez juste de l'image qui s'attachait aux Romantiques dans le public et du mauvais goût dont on les taxait : sous la bannière « Le laid c'est le beau » et négligemment béni par Lamartine, Victor Hugo entraîne derrière lui pour quelque croisade fabuleuse son cortège de fidèles où l'on reconnaît Gautier, Eugène Sue (accroché au mât), Dumas, Balzac, Vigny... La Grande Chevauchée de la Postérité. Monté sur le Pégase romantique, Hugo, «roi des Hugolâtres, armé de sa bonne lame de Tolède et portant la bannière de Notre-Dame de Paris», emmène en croupe Théophile Gautier (sic), Cassagnac, Francis Wey et Paul Fouché. Eugène Sue fait effort pour se hisser à leur niveau et A. Dumas presse le pas, tandis que Lamartine, dans les nuages, se «livre à ses méditations politiques, poétiques et religieuses.» Gravure satirique de Benjamin Roubaud.


LE PARNASSE

"Sculpte, lime, cisèle ; / Que ton rêve flottant /

Se scelle / Dans le bloc résistant !"

Théophile Gautier

Le mont Parnasse est, dans la mythologie grecque, le lieu de résidence d'Apollon et des neuf Muses. L'usage métonymique de ce nom pour désigner une assemblée de poètes est déjà ancien lorsque l'éditeur Alphonse Lemerre publie à partir de 1866 une anthologie de poésie moderne qui prend le nom de Parnasse contemporain. Le mot désigne tout de suite ces poètes qui se reconnaissent dans leur réaction contre le Romantisme. D'abord groupés autour de Théophile Gautier, il se réunissent le samedi soir chez Leconte de Lisle ou José-Maria de Hérédia : Banville, Villiers de l’Isle-Adam, Sully Prudhomme, François Coppée apparaissent comme les plus représentatifs. À l'épanchement personnel, les Parnassiens opposent un souci d'impersonnalité qui leur fait fuir les facilités du lyrisme. Leurs métaphores, constamment empruntées au domaine de la sculpture, prônent le travail poétique, résolument asservi au culte d'une forme parfaite. Loin de l'engagement social des Romantiques, ils se prononcent enfin pour une retraite hautaine, tout entière vouée à la célébration d'une Beauté divinisée. Ces tendances se prolongeront dans le Symbolisme.

Chronologie

Mademoiselle de Maupin Gautier : España Coup d'état du 2 décembre Gautier : Émaux et camées Baudelaire : Les Fleurs du Mal
Banville : Odes funambulesques Leconte de Lisle : Poèmes barbares Le Parnasse contemporain Sully-Prudhomme : Les Solitudes Hérédia : Les Trophées

Le Beau.

Profondément déçus dans leurs aspirations révolutionnaires, les Parnassiens ont manifesté le souci de sortir l'Art de l'arène politique et, plus généralement, des visées sociales que lui assignait le Romantisme. Leur célébration du Beau trouva dès lors un équivalent acceptable dans la beauté plastique de la statuaire hellénique, dont la chaste perfection, alliée au gage que lui donne la durée temporelle, s'oppose aux contingences de l'Histoire. Pour exprimer ce «rêve de pierre», les images et les symboles deviennent systématiques : cygnes immaculés, statues impassibles, pics neigeux, saltimbanques amoureux des étoiles.

Charles Baudelaire (1821-1867)

La Beauté (Les Fleurs du Mal, 1857)

Sans appartenir au Parnasse, dont il condamnera le culte excessif de la forme, Baudelaire poursuit une méditation esthétique où s'exprime une mystique de l'Art et de la Beauté. Ce culte austère prend même la forme d'une véritable morale, la création poétique constituant à ses yeux «le meilleur témoignage que nous puissions donner de notre dignité » (Les Phares).

 

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre

Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,

Est fait pour inspirer au poète un amour

Éternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris ;

J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;

Je hais le mouvement qui déplace les lignes,

Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,

Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,

Consumeront leurs jours en d'austères études ;

Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,

De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :

Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !

Questions :

- Montrez comment ce sonnet condense les aspirations essentielles du Parnasse (divinisation du Beau, rigueur du travail poétique, refus du lyrisme) et réunit les images qui les exprimeront le plus fréquemment.

- Du fait de la dimension religieuse qu'il donne à l'Art, la création artistique apparaît souvent chez Baudelaire comme un véritable combat. «L’étude du beau est un duel où l’artiste crie de frayeur avant d’être vaincu», note-t-il dans Le Confiteor de l'artiste (Petits poèmes en prose). Tiré de ce même recueil, l'apologue ci-dessous vous permettra de caractériser la hauteur de l'enjeu mis sur la création poétique :


Date: 2015-12-11; view: 932


<== previous page | next page ==>
La Maison du Berger (1844), extrait. | Le travail poétique.
doclecture.net - lectures - 2014-2024 year. Copyright infringement or personal data (0.008 sec.)