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Avertissement au lecteur.

Ami lecteur, le désir que j'ai de te faire profiter de la lecture de ce livre m'a incité à t'avertir de ceci : garde-toi d'enivrer ton esprit de sciences écrites en chambre, selon une théorie imaginaire ou arrachée à quelque livre écrit par l'imagination de ceux qui n'ont rien pratiqué, et garde-toi aussi de croire les opinions de ceux qui disent et soutiennent que la théorie a engendré la pratique. Ceux qui enseignent une telle doctrine utilisent un mauvais argument en disant qu'il faut imaginer et se représenter la chose que l'on veut faire, avant de mettre la main à sa besogne. Si l'homme pouvait exécuter tout ce qu'il imagine, je prendrais leur parti et soutiendrais leur opinion . Mais tant s'en faut ! Si les choses conçues en esprit pouvaient s'exécuter, les souffleurs d'alchimie feraient de bien belles choses et ne s'amuseraient pas à chercher durant cinquante ans, comme beaucoup l'ont fait... Si la théorie figurée dans les esprits des chefs de guerre pouvait s'exécuter, ils ne perdraient jamais une bataille...!

J'ose dire, pour confondre ceux qui soutiennent une telle opinion, qu'ils ne sauraient faire un soulier, et même pas un talon de chausse, quand bien même ils auraient à leur disposition toutes les théories du monde. Je demande à ceux qui soutiennent cette opinion : quand vous auriez étudié pendant cinquante ans les livres de cosmographie et de navigation en mer, et que vous disposeriez des cartes de toutes les régions, d'une boussole, du compas et des instruments astronomiques - voudriez-vous pour autant entreprendre de conduire un navire par tout pays, comme le ferait un homme réellement expert et rompu à la pratique ? Ces gens-là ne s'exposent pas à de tels dangers, quelque théorie qu'ils aient apprise. Et quand ils auront bien débattu de la question, il leur faudra admettre que la pratique a engendré la théorie.

J'ai mis ce propos en avant, pour clore la bouche à ceux qui disent : « comment est-il possible qu'un homme puisse savoir quelque chose, et parler des phénomènes naturels, sans avoir vu les livres latins des philosophes ?» Je puis tenir à bon droit de tels propos, puisque, par la pratique, je prouve en plusieurs endroits que la théorie de certains philosophes est fausse, et même quand il s'agit des plus renommés et des plus anciens, comme chacun pourra le voir et entendre, en moins de deux heures, à condition qu'il veuille prendre la peine de venir voir ma collection. Il y verra des choses étonnantes, mises pour témoignage et preuve de mes écrits, disposées en ordre ou sur des étagères, avec des écriteaux au-dessous, afin que chacun puisse s'instruire lui-même. Et je puis t'assurer, lecteur, qu'en bien peu d'heures, voire dès la première journée, tu apprendras plus de philosophie naturelle concernant les choses contenues en ce livre, que tu n'en saurais apprendre en cinquante ans, en lisant les théories et opinions des philosophes anciens. Certains ennemis de la science peuvent bien se moquer des astrologues, en disant : « où est l'échelle par où ils sont montés au ciel, pour connaître la position des astres ?» Mais en ce qui me concerne, je ne crains pas une telle moquerie, parce qu'en apportant la preuve de ce que j'écris, je satisfais la vue, l'ouïe, et le toucher. Les calomniateurs n'auront donc point de prise sur moi, comme tu le verras lorsque tu viendras me voir en ma petite Académie.



Bien te soit.

 

Questions :

- L'éloge de la pratique : par quels arguments Palissy démontre-t-il sa supériorité sur la théorie ? En quoi sa stratégie est-elle bien fidèle à la thèse qu'il soutient ?

- Le registre polémique : relevez les procédés par lesquels Palissy remet en question le principe d'autorité qui, depuis le Moyen Âge, fortifiait une croyance aveugle dans le savoir livresque.

- Un souci pédagogique : montrez l'intérêt des « collections » évoquées par l'auteur pour « satisfaire la vue, l'ouïe et le toucher ».

 

3. « Ne viser qu'au bien général »

Avant les philosophes, les humanistes ont eu une vocation pour conseiller les Princes (Machiavel, Thomas More, Erasme). Pacifistes, c'est au nom de la raison qu'ils imaginent une cité idéale où le monarque, loin des artifices de la Cour, manifesterait la vertu politique qui le rendrait garant du bien public.

Didier Erasme (1469 env.-1536)

ÉLOGE DE LA FOLIE, LV (1511)

[Dans ce traité, le philosophe hollandais utilise une prosopopée qui donne la parole à la Folie. On n'oubliera pas que c'est elle qui s'exprime dans ce faux éloge qui condamne la superbe et la corruption des princes.]

Depuis longtemps, je désirais vous parler des Rois et des Princes de cour; eux, du moins, avec la franchise qui sied à des hommes libres, me rendent un culte sincère.

À vrai dire, s'ils avaient le moindre bon sens, quelle vie serait plus triste que la leur et plus à fuir ? Personne ne voudrait payer la couronne du prix d'un parjure ou d'un parricide, si l'on réfléchissait au poids du fardeau que s'impose celui qui veut vraiment gouverner. Dès qu'il a pris le pouvoir, il ne doit plus penser qu'aux affaires politiques et non aux siennes, ne viser qu'au bien général, ne pas s'écarter d'un pouce de l'observation des lois qu'il a promulguées et qu'il fait exécuter, exiger l'intégrité de chacun dans l'administration et les magistratures. Tous les regards se tournent vers lui, car il peut être, par ses vertus, l'astre bienfaisant qui assure le salut des hommes ou la comète mortelle qui leur apporte le désastre. Les vices des autres n'ont pas autant d'importance et leur influence ne s'étend pas si loin; mais le Prince occupe un tel rang que ses moindres défaillances répandent le mauvais exemple universel. Favorisé par la fortune, il est entouré de toutes les séductions; parmi les plaisirs, l'indépendance, l'adulation, le luxe, il a bien des efforts à faire, bien des soins à prendre, pour ne point se tromper sur son devoir et n'y jamais manquer. Enfin, vivant au milieu des embûches, des haines, des dangers, et toujours en crainte, il sent au-dessus de sa tête le Roi véritable, qui ne tardera pas à lui demander compte de la moindre faute, et sera d'autant plus sévère pour lui qu'il aura exercé un pouvoir plus grand.

En vérité, si les princes se voyaient dans cette situation, ce qu'ils feraient s'ils étaient sages, ils ne pourraient, je pense, goûter en paix ni le sommeil, ni la table. C'est alors que j'apporte mon bienfait : ils laissent aux Dieux l'arrangement des affaires, mènent une vie de mollesse et ne veulent écouter que ceux qui savent leur parler agréablement et chasser tout souci des âmes. Ils croient remplir pleinement la fonction royale, s'ils vont assidûment à la chasse, entretiennent de beaux chevaux, trafiquent à leur gré des magistratures et des commandements, inventent chaque jour de nouvelles manières de faire absorber par leur fisc la fortune des citoyens, découvrent les prétextes habiles qui couvriront d'un semblant de justice la pire iniquité. Ils y joignent, pour se les attacher, quelques flatteries aux masses populaires.

Représentez-vous maintenant le Prince tel qu'il est fréquemment. Il ignore les lois, est assez hostile au bien général, car il n'envisage que le sien; il s'adonne aux plaisirs, hait le savoir, l'indépendance et la vérité, se moque du salut public et n'a d'autres règles que ses convoitises et son égoïsme. Donnez-lui le collier d'or, symbole de la réunion de toutes les vertus, la couronne ornée de pierres fines, pour l'avertir de l'emporter sur tous par un ensemble de vertus héroïques; ajoutez-y le sceptre, emblème de la justice et d'une âme incorruptible, enfin la pourpre, qui signifie le parfait dévouement à l'État. Un prince qui saurait comparer sa conduite à ces insignes de sa fonction, rougirait, ce me semble, d'en être revêtu et redouterait qu'un malicieux interprète ne vînt tourner en dérision tout cet attirail de théâtre.

Questions :

- « C'est alors que j'apporte mon bienfait » : quelles sont ces consolations apportées par la Folie ? Quels autres noms donner à celle-ci si l'on pense à la condition des rois (pensez à la formule de Pascal : « Un roi sans divertissement est un homme plein de misères ») ?

- La satire : quelles accusations essentielles condamnent l'exercice futile et corrompu de la monarchie ? Quels en sont les principaux procédés littéraires ?

- Le monarque idéal : après en avoir rapidement brossé le portrait, tel qu'il se dégage implicitement ou explicitement de ce texte, vous pourrez le rapprocher de l'idéal philosophique du despote éclairé (cf. par exemple le chapitre XVIII du Candide de Voltaire, ou l'article "Autorité politique" de l'Encyclopédie de Diderot).

 


Date: 2015-12-11; view: 790


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