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L'humanisme en question

La foi humaniste s'épanouit en dépit de l'héliocentrisme de Copernic, qui retire à l'homme son rang de créature élue dans l'univers. Mais le déchaînement de la barbarie au Nouveau Monde et plus encore celle des guerres de religion ne manquent pas de la nuancer. Montaigne, avant les autres, confie son scepticisme à l'égard de la raison humaine : « Est-il possible de rien imaginer d'aussi ridicule que cette misérable et chétive créature, qui n'est pas seulement maîtresse de soi, exposée aux offenses de toutes choses, se dise maîtresse et impératrice de l'univers, duquel il n'est pas en sa puissance de connaître la moindre partie, tant s'en faut de la commander ? ».

Michel de MONTAIGNE (1533-1592)

ESSAIS, II, 12, Apologie de Raimond Sebond (1580)

[A la demande de son père, Montaigne avait traduit la Théologie naturelle du philosophe catalan Raimond Sebond. Il compose ici (peut-être sur l'invitation de Marguerite de Valois) une bien curieuse Apologie qui, par le scepticisme qu'elle manifeste, bat en brèche les idées de l'auteur qu'elle doit défendre : quand ce dernier établit l'homme en souverain de la création, Montaigne accumule en une cascade d'exemples autant de signes évidents de l'insuffisance de la raison humaine.]

Qu’on place un philosophe dans une cage faite de fil de fer fin à larges mailles et qu’on la suspende en haut des tours de Notre-Dame de Paris : notre homme sera bien obligé d’admettre qu’il ne risque pas de tomber, et pourtant il ne pourra empêcher (sauf s’il est habitué au métier de couvreur) que la vue de la hauteur extrême à laquelle il se trouve ne l’épouvante et ne le fasse frissonner. Et nous sommes assez soucieux de nous rassurer sur les galeries de nos clochers, quand elles sont ajourées, et pourtant elles sont en pierre. Il y a des gens qui ne peuvent même pas supporter d’y penser ! Qu’on jette entre ces deux tours une grosse poutre, suffisamment large pour que nous puissions nous y promener : il n’y a aucune sagesse philosophique qui soit assez forte pour nous donner le courage d’y marcher, comme nous le ferions si elle était à terre. J’ai souvent fait cette expérience dans nos montagnes; et quoique étant de ceux qui ne s’effraient guère de ces choses-là, je ne pouvais supporter la vue de ces profondeurs infinies sans horreur ni sans ressentir des tremblement dans les cuisses et dans les jarrets. Et pourtant je me tenais à bonne distance du bord, au moins de ma propre taille, et je ne risquais pas de tomber, sauf à me porter délibérément au-devant du danger. J’ai remarqué aussi que, quelle que soit la hauteur, si sur la pente il se présente un arbre, ou une bosse de rocher, à quoi la vue puisse s’accrocher, et comme se diviser, cela nous soulage et nous donne de l’assurance; comme si c’était là quelque chose dont nous puissions attendre quelque secours en cas de chute ! Mais les précipices abrupts et sans aspérités, nous ne pouvons même pas les regarder sans que la tête nous tourne : « Si bien que l’on ne peut regarder vers le bas sans que les yeux et l’esprit soient saisi de vertige1» ). Et c’est pourtant là une tromperie évidente due à notre vue. C’est pourquoi d’ailleurs ce grand philosophese creva les yeux pour décharger son âme de la distraction qu’elle lui procurait, et pouvoir philosopher plus librement.



Mais à ce compte-là, il aurait pu se faire aussi couper les oreilles, que Théophraste considère comme le plus dangereux instrument que nous ayons pour recevoir des impressions violentes et propres à nous troubler et nous changer; et pour finir, il aurait dû se priver de tous les autres sens, c’est-à-dire de son être et de sa vie. Car ils ont tous cette aptitude à diriger notre raisonnement et notre âme. « Il arrive souvent que les esprits soient troublés par un certain aspect, par la gravité des voix, par les chants; et même par un souci ou une crainte2.» Les médecins disent qu’il y a des tempéraments que certains sons et certains instruments excitent jusqu’à la folie furieuse. J’en ai vu qui ne pouvaient supporter d’entendre ronger un os sous leur table sans perdre patience; et il n’est quasiment personne qui ne soit troublé par ce bruit aigre et agaçant que font les limes en raclant du fer. De même lorsqu’on entend quelqu’un mâcher tout près de soi, ou parler avec le gosier obstrué ou le nez bouché: nombreux sont ceux qui en sont gênés, au point d’en ressentir de la colère ou de la haine. Le fameux joueur de flûte de Gracchus, qui lui servait de souffleur, et qui adoucissait, renforçait et modulait la voix de son maître quand il faisait ses discours à Rome, à quoi eût-il servi si le mouvement et la qualité du son n’avait quelque capacité à émouvoir et modifier le jugement des auditeurs ? En vérité, il n’y a pas de quoi louer la fermeté d’un si bel organe* qui se laisse manipuler et modifier par les variations d’un aussi faible vent !

1. Tite-Live, XLIV, 6.

2. Cicéron, De divinatione, I, 37.

* l’ouïe

 

Questions :

- Reformulez en une phrase la thèse de Montaigne.

- Le recours à l'apologue et à l'exemple personnel : montrez que Montaigne le privilégie sur le raisonnement abstrait. Pourquoi ?

- Commentez la dernière phrase. Faut-il conclure au pessimisme de Montaigne (cf. la phrase suivante, qui peut éclairer son vrai projet : « [L'homme] s'élèvera si Dieu lui prête extraordinairement la main; il s'élèvera abandonnant et renonçant à ses propres moyens, et se laissant hausser et soulever par les moyens purement célestes ») ?


LA PLEIADE

"Colère, ardent, furieux, agité,

Je tremble tout sous la Divinité."

Ronsard

 

Le mot Pléiade, dans le sens que nous lui connaissons, a été employé d'abord vers 1563 par les Protestants pour tourner en dérision l'arrogance des jeunes disciples de l'humaniste Jean Dorat constitués en Brigade. Ronsard se plut en effet, en 1553, à élire sept d'entre eux, et leur nombre n'était pas sans évoquer la Pléiade mythologique des sept filles d'Atlas changées en constellation, et surtout la Pléiade des sept poètes alexandrins du IIIème siècle avant Jésus-Christ. A vrai dire, cette Brigade constitue moins une école qu'un groupe, d'ailleurs variable, fédéré par la même volonté de rénover les formes poétiques :

- Ronsard, Du Bellay, Jean-Antoine de Baïf (1532-1589), condisciples au collège de Coqueret, constituent son «noyau dur»;

- venus du collège de Boncourt, s'y agrègent en 1553 Étienne Jodelle (1532-1573) et Jean de La Péruse (1529-1554), remplacé en 1554 par Rémy Belleau (1528-1577);

- plus lointainement (ils appartiennent à l'école lyonnaise), s'y associent Pontus de Tyard (1521-1605) et Guillaume des Autels (1529-1581); ce dernier sera remplacé en 1555 par Jacques Peletier du Mans (1517-1582). Enfin, en 1583, cette place est attribuée à Jean Dorat pour honorer son magistère.

La Pléiade se caractérise par un souci de variété dans l'inspiration qui lui fait privilégier l'exploration de différents genres : à côté d'une libre imitation des Anciens, les poètes se nourrissent d'influences modernes qu'ils mettent au service d'une langue neuve, volontiers érudite, et de mythes antiques savamment revisités (voyez notre corpus sur l'Inspiration mythologique au XVI° siècle). Ces jeux poétiques ne sauraient faire oublier cependant la hauteur de la mission assignée à la poésie : influencés par le néoplatonisme, les poètes de la Pléiade y voient l'émanation d'une « fureur divine » qui place au-dessus du commun cette figure du poète en mage inspiré dans laquelle Ronsard se reconnaîtra le premier.

 

Chronologie :

Pétrarque: Canzionere Dorat dirige le collège de Coqueret Thomas Sébillet : Art poétique Défense et Illustration de la langue française Jodelle : Cléopâtre captive
Acte de naissance de la Pléiade Ronsard : Hymnes Du Bellay: Les Regrets Ronsard : Discours des misères de ce temps  
 

 

Lisez l’article de Marie-Anne Bernolle et formulez les principes essentiels de la Pléiade. Sur quoi se basait et en quoi consistait sa nouveauté de sa poésie et quelles ont été les réactions à l’apparition du nouveau mouvement ? :


Date: 2015-12-11; view: 812


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Avertissement au lecteur. | L’idéal de la Pléiade
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