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TABLE DES SÉANCES 50 page

ce qui ne peut qu'absorber complètement celui qui

le contemple, est là à propos des mérites de LAERTE certainement présentée, gonflée d'une manière

très gongorique, le concetti est quelque chose

qui a tout son prix à ce moment-là.

 

D'autant plus que, comme vous allez le voir, c'est dans cette attitude qu'HAMLET va aborder LAERTE avant le duel. C'est sur ce pied qu'il l'aborde et qu'il n'en devient que plus significatif qu'à ce paroxysme de l'absorption imaginaire formellement articulée comme une relation spéculaire, une réaction en miroir,

ce soit là qu'est situé par le dramaturge également le point manifeste de l'agressivité.

 

Celui qu'on admire le plus est celui qu'on combat. Celui qui est l'Idéal du moi, c'est aussi celui que,

selon la formule hegelienne de l'impossibilité

des cœxistences, on doit tuer.

 

Ceci HAMLET ne le fait que sur un plan que nous pouvons appeler désintéressé, sur le plan du tournoi. Il s'y engage d'une façon qu'on peut qualifier de formelle, voire de fictive.

C'est à son insu qu'il entre en réalité tout de même dans le jeu le plus sérieux.

Qu'est-ce que cela veut dire ?

Cela veut dire qu'il n'y est pas entré, disons avec son phallus.

Cela veut dire que ce qui se présente pour lui dans cette relation agressive est un leurre, est un mirage,

que c'est malgré lui qu'il va y perdre la vie,

que c'est à son insu qu'il va…

précisément à ce moment

…à la fois à la rencontre :

- de l'accomplissement de son acte,

- et de sa propre mort qui va à peu d'instant près coïncider avec lui.

 

Il n'y est point entré avec son phallus, c'est une façon d'exprimer

ce que nous sommes en train de chercher, à savoir

où est le manque, où est la particularité de

cette position du sujet HAMLET dans le drame.

 

Il y est entré tout de même, car si les fleurets

sont mouchetés, ce n'est que dans son leurre.

En réalité, il y en a au moins un qui n'est pas moucheté qui, au moment de la distribution des épées, est déjà à l'avance soigneusement marqué pour être donné

à LAERTE. Celui-là est une pointe véritable

et en plus c'est une pointe envenomed, empoisonnée.

 

Ce qui est frappant, c'est qu'ici le sans-gêne

du scénariste rejoint ce qu'on peut appeler

la formidable intuition du dramaturge. Je veux dire qu'il ne se donne pas tellement de peine pour nous expliquer que cette arme empoisonnée va passer

dans la bagarre…

Dieu sait comment ! Cela doit être

une des difficultés du jeu de scène

…de la main d'un des adversaires dans la main de l'autre.



 

Vous savez que c'est dans une espèce de corps à corps où ils se mêlent, après que LAERTE ait porté le coup de pointe dont HAMLET ne peut pas guérir

et dont il doit périr.

 

En quelques instants il se trouve que cette même pointe est dans la main d'HAMLET. Personne ne se donne de mal pour expliquer un si étonnant incident de séance.

Personne n'a d'ailleurs à se donner le moindre mal, car ce dont il s'agit c'est bien de cela,

c'est-à-dire de montrer qu'ici l'instrument de la mort

dans l'occasion l'instrument le plus voilé du drame, ce qu'HAMLET ne peut recevoir que de l'autre

…l'instrument qui fait mourir est quelque chose qui est ailleurs que dans ce qui est là matériellement représentable.

 

Ici on ne peut pas ne pas être frappé de quelque chose qui littéralement se trouve dans le texte.

Il est clair que ce que je suis en train de vous dire, c'est qu'au-delà de cette parade du tournoi…

de la rivalité avec celui qui est son semblable,

en plus beau, le moi-même qu'il peut aimer

…au-delà se joue le drame de l'accomplissement

du désir d'HAMLET, au-delà le phallus est là.

 

Et en fin de compte, c'est dans cette rencontre

avec l'autre qu'HAMLET va enfin s'identifier avec

le signifiant fatal. Eh bien, chose très curieuse, c'est dans le texte : on parle des fleurets, des foils, au moment de les distribuer :

 

« King : Give them the foils, young OSRIC, donne-leur les fleurets.

Cousin HAMLET, you know the wager, vous connaissez la gageure ? »

 

Et plus haut HAMLET dit : « Give us the foils. »

Entre ces deux termes où il est question des fleurets, HAMLET fait un jeu de mots :

 

« I'll be your foil, LAERTE. In mine ignorance

Your skill shall, like a star i'th'darkest night,

Stick fiery off indeed. »

 

Ce que l'on a traduit en français comme on a pu :

 

« LAERTE, mon fleuret ne sera que fleurette auprès du vôtre. »

Foil veut dire fleuret dans le contexte. Ici foil ne peut pas avoir ce sens, et il a un sens parfaitement repérable, c'est un sens parfaitement attesté à l'époque, il est même assez fréquemment employé.

C'est le sens où foil, qui est le même mot que le mot français « feuille » en ancien français, est utilisé

sous une forme précieuse pour désigner la feuille dans laquelle quelque chose de précieux est porté,

c'est-à-dire « un écrin ».

 

Ici il est utilisé pour dire :

 

« Je ne vais être ici que pour mettre en valeur votre éclat d'étoile dans la noirceur du ciel

en combattant avec vous. »

 

D'ailleurs ce sont les conditions mêmes dans lesquelles le duel a été engagé, à savoir qu'HAMLET n'a aucune chance de gagner, qu'il aura suffisamment gagné si l'autre ne lui gagne que trois pointes sur douze. Le pari est engagé à neuf contre douze, c'est-à-dire qu'on donne un handicap à HAMLET.

 

Je dirai que dans ce jeu de mot sur foil nous trouvons légitimement ceci qui est inclus dans les dessous du calembour, je veux dire que c'est une des fonctions d'HAMLET de faire tout le temps des jeux de mots,

des calembours, des doubles sens, de jouer sur l'équivoque.

 

Ce jeu de mots n'est pas là par hasard.

Quand il lui dit « je serai votre écrin », il emploie le même mot qui fait jeu de mots avec ce qui est en jeu

à ce moment-là, à savoir la distribution des épées.

 

Et très précisément dans le calembour d'HAMLET,

il y a en fin de compte cette identification du sujet au phallus mortel pour autant qu'il est là présent.

 

Il lui dit, je serai votre écrin pour faire miroiter votre mérite, mais ce qui va venir dans un instant, c'est bel et bien l'épée de LAERTE, pour autant que cette épée est celle qui l'a blessé lui, HAMLET, à mort, mais c’est également la même qu'il va se trouver avoir dans la main pour achever son parcours et tuer en même temps, et son adversaire, et celui qui est l'objet dernier de sa mission, à savoir le roi

qu'il doit faire périr immédiatement après.

 

 

Cette référence verbale, ce jeu de signifiant

n'est certainement pas là par hasard.

Il est légitime de le faire entrer en jeu,

cela n'est pas en effet un accident dans le texte :

 

C’est une des dimensions dans lesquelles se présente HAMLET, et sa texture est en effet celle-ci à travers tout le texte de SHAKESPEARE, et ceci à soi tout seul mériterait un développement.

 

Vous voyez, comme y jouant un rôle essentiel,

ces personnages divers qu'on appelle les clowns,

qu'on appelle les fous de la Cour qui sont à proprement parler ceux qui, ayant leur franc-parler, peuvent

se permettre de dévoiler les motifs les plus cachés, les traits de caractère des personnes que

la politesse interdit d'aborder franchement.

 

C'est quelque chose qui n'est pas simplement cynisme et jeu plus ou moins injurieux du discours,

c'est essentiellement par la voie de l'équivoque,

de la métaphore, du jeu de mots, d'un certain usage du concetti, d'un parler précieux, de ces substitutions de signifiants sur lesquels ici j'insiste quant à leur fonction essentielle :

ils donnent à tout le théâtre de SHAKESPEARE un style,

une couleur, qui est absolument caractéristique de

son style et qui en crée essentiellement la dimension psychologique.

 

Le fait qu'HAMLET soit un personnage angoissant

plus qu'un autre, ne doit pas nous dissimuler

que la tragédie d'HAMLET c'est la tragédie qui…

par un certain côté, au pied de la lettre

…porte ce fou, ce clown, ce faiseur de mots au rang du zéro.

 

Si par quelque raison on devait ôter cette dimension d'HAMLET de la pièce de SHAKESPEARE, plus des quatre cinquièmes de la pièce disparaîtraient comme l'a remarqué quelqu'un.

 

Une des dimensions où s'accomplit la tension d'HAMLET, c'est cette perpétuelle équivoque, celle qui nous est en quelque sorte dissimulée par le côté, si je puis dire, masqué de l'affaire.

Je veux dire, ce qui se joue entre CLAUDIUS,

le tyran, l'usurpateur et le meurtrier HAMLET,

c'est à savoir le démasquage des intentions d'HAMLET, à savoir pourquoi il fait le fou.

 

Mais ce qu'il ne faut pas oublier, c'est la façon dont il fait le fou, cette façon qui donne à son discours cet aspect quasi maniaque, cette façon d'attraper au vol les idées, les occasions d'équivoque, les occasions de faire briller un instant devant

ses adversaires cette sorte d'éclair de sens.

 

Il y a là-dessus dans la pièce, des textes où ils

se mettent eux-mêmes à construire, voire à affabuler. Cela les frappe non pas comme quelque chose

de discordant, mais comme quelque chose d'étrange

par leur tour de spéciale pertinence.

C'est dans ce jeu qui n'est pas seulement un jeu

de dissimulation, mais un jeu d'esprit,

un jeu qui s'établit au niveau des signifiants,

dans la dimension des sens, que se tient

ce qu'on peut appeler l'esprit même de la pièce.

 

C'est à l'intérieur de cette disposition ambiguë

qui fait de tous les propos d'HAMLET, et du même coup de la réaction de ceux qui l'entourent, un problème où le spectateur lui-même, l'auditeur, s'égare

et s'interroge sans cesse, c'est là qu'il faut situer la base, le plan sur lequel la pièce d'HAMLET prend sa portée. Et je ne le rappelle ici que pour vous indiquer qu'il n'y a rien d'arbitraire, ni d'excessif à donner tout son poids à ce dernier petit jeu de mots sur le foil.

 

Voici donc la caractéristique de la constellation dans laquelle s'établit l'acte dernier, le duel entre HAMLET et celui qui est ici une sorte de semblable

ou de double plus beau que lui-même. Nous avons insisté sur cet élément qui est en quelque sorte au niveau inférieur de notre schéma : i(a), qui est ce qui se trouve pour HAMLET un instant remodelé, que lui…

pour qui plus aucun homme ni femme n'est autre chose qu'une ombre inconsistante et putride

…trouve ici un rival à sa taille.

Disons-le, ce semblable remodelé…

celui qui va lui permettre au moins

pour un instant de soutenir en sa présence

la gageure humaine d'être lui aussi un homme

…ce n'est là, ce remodelage, qu'une conséquence,

ce n'est pas un départ.

 

Je veux dire que c'est la conséquence de ce qui

se manifeste dans la situation, à savoir la position

du sujet en présence de l'autre comme objet du désir,

la présence immanente du phallus qui ne peut

ici apparaître dans sa fonction formelle

qu'avec la disparition du sujet lui-même.

 

Qu'est-ce qui rend possible le fait que le sujet lui-même succombe avant même que de le prendre en main

pour devenir lui-même le meurtrier ?

 

Nous revenons une fois de plus à notre carrefour.

Ce carrefour si singulier dont j'ai parlé,

dont j'ai marqué dans HAMLET le caractère essentiel :

- à savoir ce qui se passe dans le cimetière,

- à savoir quelque chose qui devrait bien intéresser un de nos collègues qui se trouve

dans son œuvre avoir traité éminemment

à la fois et de la jalousie et du deuil[92].

 

C'est quelque chose qui est un des points les plus saillants de cette tragédie : la jalousie du deuil.

Car je vous prie de vous reporter à la scène qui termine l'acte du cimetière, celui sur lequel je vous ai ramené par trois fois au cours de mon exposé.

 

C'est à savoir ceci d'absolument caractéristique : c'est qu'HAMLET ne peut pas supporter la parade

ou l'ostentation, et qu'il articule comme tel

ce qu'il y a d'insupportable dans l'attitude de LAERTE au moment de l'enterrement de sa sœur.

Cette ostentation du deuil chez son partenaire, c'est par cela même qu'il se trouve arraché à lui-même, bouleversé, secoué dans ses fondements au point de ne pouvoir, comme tel, le tolérer.

Et la première rivalité, celle-là beaucoup plus authentique, car si c'est avec tout l'apparat de

la courtoisie et avec un fleuret moucheté qu'HAMLET aborde le duel, c'est à la gorge de LAERTE qu'il saute dans le trou où l'on vient de descendre

le corps d'OPHÉLIE, pour lui dire :

 

« Montre-moi ce que tu sauras faire. Pleureras­tu, te battras-tu, jeûneras-tu ? …//… Moi je le ferai. Es-tu venu séant pour geindre, me narguer en sautant dans sa tombe ? Fais-toi enterrer vif avec elle, moi aussi je le ferai. Et si tu jases de montagnes, qu'on jette sur nous des millions d'arpents,

tant qu'auprès de ce tertre qui roussira son sommet à la zone de feu, Ossa paraisse une verrue !

Et si tu brailles, je vociférerai. »[93] [ V, 1, 263-272 ]

 

Et là-dessus tout le monde se scandalise, se répand pour séparer ces frères ennemis en train de s'étouffer. Et HAMLET tient encore ces propos en parlant à

son partenaire :

 

« Et Monsieur, qui vous fait en user de la sorte avec moi ? Moi je vous ai toujours aimé. Il n'importe. Hercule a beau faire ce qu'il pourra, le chat miaulera, et le chien aura toujours son jour. »[ V, 1, 276 ]

 

Ce qui est d'ailleurs un élément proverbial qui,

ici, me semble prendre toute sa valeur de certains rapprochements que certains d'entre vous peuvent faire, mais je ne peux pas m'arrêter.

L'essentiel est que lorsqu'il s'entretiendra

avec HORATIO il lui expliquera :

 

« Je n'ai pu supporter de voir cette sorte d'étalage de son deuil. » [ V,2, 78-79 ]

 

Nous voici portés au cœur de quelque chose

qui va nous ouvrir toute une problématique.

 

Quel rapport y-a-t-il entre ce que nous avons apporté sous la forme Sàa, concernant la constitution

de l'objet dans le désir, et le deuil ?

Observons ceci, abordons par ses caractéristiques

les plus manifestes qui peuvent paraître aussi

les plus éloignées du centre que nous cherchons ici, ce qui se présente à nous.

HAMLET s'est conduit avec OPHÉLIE d'une façon

plus que méprisable et cruelle. J'ai insisté sur

le caractère d'agression dévalorisant, d'humiliation sans cesse imposée à cette personne qui est devenue soudain le symbole même du rejet comme tel de son désir.

 

Nous ne pouvons pas manquer d'être frappés de quelque chose qui complète pour nous une fois de plus, sous une autre forme, dans un autre trait, la structure pour HAMLET. C'est que soudain, cet objet va reprendre pour lui sa présence, sa valeur. Il déclare :

 

« J'aimais OPHÉLIE, et trente-six mille frères avec tout ce qu'ils ont d'amour n'arriveraient point

à la somme du mien. Que feras-tu pour elle ? » [V, 1, 257 ]

 

C'est dans ces termes que commence le défi adressé

à LAERTE. C'est en quelque sorte dans la mesure où l'objet de son désir est devenu un objet impossible qu'il redevient pour lui l'objet de son désir.

Une fois de plus nous croyons nous trouver là à

un détour familier, à savoir une des caractéristiques

du désir de l'obsessionnel. Ne nous arrêtons pas trop vite à ces apparences trop évidentes.

 

L'obsessionnel, ce n'est pas tellement que l'objet

de son désir soit impossible qui le caractérise…

si tant est que de par la structure même des fondements du désir, il y a toujours cette note d'impossibilité dans l'objet du désir

…ce qui le caractérise…

cela n'est donc pas que l'objet de son désir

soit impossible, car il ne serait là, et par ce trait il n'est là qu'une des formes spécialement manifestes d'un aspect du désir humain

…c'est que l'obsessionnel met l'accent sur la rencontre avec cette impossibilité.

 

Autrement dit, il s'arrange à ce que l'objet

de son désir prenne valeur essentielle de signifiant de cette impossibilité. C'est là une des notes

par laquelle nous pouvons aborder déjà cette forme.

Mais il y a quelque chose de plus profond qui nous sollicite.

 

Le deuil est quelque chose que notre théorie,

que notre tradition, que les formules freudiennes nous ont déjà appris à formuler en termes de relation d'objet. Est-ce que par un certain côté nous ne pouvons pas être frappés par le fait que l'objet du deuil,

c'est FREUD qui l'a mis…

pour la première fois depuis qu'il y a

des psychologues et qui pensent

…en valeur.

 

L'objet du deuil, c'est dans un certain rapport d'identification…

et qu'il a essayé de définir de plus près, d'appeler un rapport d'incorporation avec le sujet

…qu'il prend sa portée, que se groupent, s'organisent, les manifestations du deuil.

 

Alors, est-ce que nous ne pouvons pas essayer, nous, de réarticuler de plus près, dans le vocabulaire

que nous avons appris ici à manier, ce que peut-être cette identification du deuil ?

Quelle est la fonction du deuil ?

 

Si nous nous avançons dans cette voie nous allons voir…

et uniquement en fonction des appareils symboliques que nous employons dans cette exploration

…apparaître de la fonction du deuil des conséquences que je crois nouvelles, et pour vous éminemment suggestives. Je veux dire destinées à vous ouvrir des aperçus efficaces et féconds auxquels vous ne pouviez pas accéder par une autre voie.

 

La question de ce qu'est l'identification doit s'éclairer des catégories qui sont celles qu'ici devant vous, depuis des années, je promeus, c'est à savoir celles du symbolique, de l'imaginaire et du réel.

 

Qu'est-ce que c'est que cette incorporation de l'objet perdu ?

En quoi consiste le travail du deuil ?

On reste dans un vague qui explique l'arrêt de toute spéculation autour de cette voie pourtant ouverte par FREUD autour du deuil et de la mélancolie, du fait que la question n'est pas articulée convenablement.

Tenons-nous en aux premiers aspects, les plus évidents, de l'expérience du deuil.

Le sujet s'abîme dans le vertige de la douleur et se trouve dans un certain rapport, ici en quelque sorte illustré de la façon la plus manifeste par ce que nous voyons se passer dans la scène du cimetière…

le saut de LAERTE dans la tombe et le fait

qu'il embrasse, hors de lui, l'objet dont

la disparition est cause de cette douleur

…qui en fait dans le temps, au point de cet embrassement, de la façon la plus manifeste,

une sorte d'existence d'autant plus absolue

qu'elle ne correspond plus à rien qui soit.

 

En d'autres termes, le trou dans le réel provoqué par une perte, une perte véritable, cette sorte de perte intolérable à l'être humain qui provoque chez lui

le deuil, ce trou dans le réel se trouve par cette fonction même dans cette relation qui est l'inverse de celle que je promeus devant vous sous le nom de Verwerfung.

 

De même que « ce qui est rejeté du symbolique réapparaît dans le réel »…

ces formules doivent être prises au sens littéral

…de même la Verwerfung, le trou de la perte dans le réel

de quelque chose :

- qui est la dimension à proprement parler intolérable offerte à l'expérience humaine,

- qui est non pas l'expérience de la propre mort, que personne n'a, mais celle de la mort d'un autre, qui est pour nous un être essentiel, ceci est un trou dans le réel.

 

Ce trou dans le réel de ce fait, se trouve…

et en raison de la même correspondance qui

est celle que j'articule dans la Verwerfung

…offrir la place où se projette précisément :

- ce signifiant manquant,

- ce signifiant essentiel, comme tel,

à la structure de l'Autre,

- ce signifiant dont l'absence rend l'Autre impuissant à vous donner votre réponse,

- ce signifiant que vous ne pouvez payer que de votre chair et de votre sang,

- ce signifiant qui est essentiellement le phallus sous le voile.

 

C'est parce que ce signifiant trouve là sa place…

et en même temps ne peut la trouver

parce que ce signifiant

ne peut pas s'articuler au niveau de l'Autre

…que viennent, comme dans la psychose…

et c'est ce par quoi le deuil

s'apparente à la psychose

…pulluler à sa place toutes les images dont relèvent les phénomènes du deuil…

et dont les phénomènes de premier plan, ceux par quoi se manifeste non pas telle ou telle folie particulière, mais une des folies collectives les plus essentielles de la communauté humaine comme telle, c'est à savoir

ce qui est là mis au premier plan, au premier chef de la tragédie d'HAMLET

…à savoir le ghost, le fantôme, cette image qui peut surprendre l'âme de tous et de chacun.

 

Si du côté du mort, de celui qui vient de disparaître, ce quelque chose n'a pas été accompli qui s'appelle les rites.

 

Les rites destinés à quoi en fin de compte ?

Qu'est-ce que c'est que les rites funéraires ?

Les rites par quoi nous satisfaisons à ce qu'on appelle la mémoire du mort, qu'est-ce, si ce n'est l'intervention totale, massive, de l'enfer jusqu'au ciel, de tout le jeu symbolique.

 

Je voudrais avoir le temps de vous faire quelques séminaires sur ce sujet du rite funéraire à travers une enquête ethnologique. Je me souviens, il y a de nombreuses années, d'avoir passé assez de temps sur un livre qui en est une illustration vraiment admirable et qui prend toute sa valeur, pour nous exemplaire, d'être d'une civilisation assez distante de la nôtre pour que les reliefs de cette fonction

en apparaissent vraiment d'une façon éclatante.

C'est le 禮經 [Lǐjīng ], un des livres chinois consacrés.

 

Le caractère macrocosmique des rites funéraires…

à savoir le fait qu'en effet il n'y a rien qui puisse combler de signifiants ce trou dans

le réel si ce n'est la totalité du signifiant

le travail accompli au niveau du λόγος [logos]…

je dis cela pour ne pas dire au niveau du groupe ni de la communauté : bien sûr c'est le groupe

et la communauté en tant que culturellement organisés qui en sont les supports

…le travail du deuil se présente d'abord comme une satisfaction donnée à ce qui se produit de désordre en raison de l'insuffisance de tous les éléments signifiants à faire face au trou créé dans l'existence, par la mise en jeu totale de tout le système signifiant

autour du moindre deuil.

 

Et c'est ce qui nous explique que toute la croyance folklorique met essentiellement la relation la plus étroite entre le fait que quelque chose soit manqué, élidé ou refusé de cette satisfaction au mort,

et le fait que se produisent ces phénomènes

qui correspondent à l'emprise, à l'entrée en jeu,

à la mise en marche des fantômes et des larves,

à la place laissée libre par le rite signifiant.

 

Et ici nous apparaît une nouvelle dimension de

la tragédie d'HAMLET.

Je vous l'ai dit au départ, c'est une tragédie du monde souterrain :

le ghost surgit d'une inexpiable offense.

 

OPHÉLIE apparaît, dans cette perspective, neutre, rien d'autre qu'une victime offerte à cette offense primordiale.

 

Le meurtre de POLONIUS et le ridicule traînage

de son cadavre par le pied, par un HAMLET qui devient soudain littéralement déchaîné et s'amuse à narguer tout le monde qui lui demande où est le cadavre,


Date: 2016-03-03; view: 477


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