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TABLE DES SÉANCES 46 page

Et c'est cela qui fait la valeur d'HAMLET :

qu'il nous est donné d'accéder au sens de S(A).

 

Le sens de ce qu'HAMLET apprend par ce père,

c'est là devant nous, très clair :

c'est l'irrémédiable, absolue, insondable trahison de l'amour.

 

De l'amour le plus pur, l'amour de ce roi,

qui peut-être, bien entendu, comme tous les hommes peut avoir été un grand chenapan, mais qui, avec

cet être qui était sa femme était celui qui allait jusqu'à « écarter les souffles de vent sur sa face »[82], tout au moins suivant ce qu'HAMLET dit.

 

C'est l'absolue fausseté de ce qui est apparu

à HAMLET comme le témoignage même de la beauté,

de la vérité, de l'essentiel.

 

Il y a là la réponse :

la vérité d'HAMLET est une vérité sans espoir.

Il n'y a pas trace dans tout HAMLET d'une élévation

vers quelque chose qui serait au-delà, rachat, rédemption.

 

Il nous est déjà dit que la première rencontre venait d'en bas. Ce rapport oral, infernal, à cet ACHÉRON que FREUD [83] a choisi de mettre en émoi, faute de pouvoir fléchir les puissances supérieures,

c'est là que se situe, de la façon la plus claire, HAMLET.

 

Mais ceci bien entendu n'est qu'une remarque toute simple, bien évidente, à laquelle il est assez curieux de voir que les auteurs…

on ne sait par quelle pudeur :

il ne faut pas alerter les âmes sensibles !

…ne mettent guère en valeur à propos d'HAMLET.

 

Je ne vous le donne après tout que comme une marche dans l'ordre du pathétique, dans l'ordre du sensible, aussi pénible que ce puisse être.

 

Il doit y avoir quelque chose où puisse se formuler plus radicalement la raison, le motif de tout ce choix, parce qu'après tout, toute conclusion, tout verdict

si radical soit-il à prendre une forme accentuée dans l'ordre de ce que l'on appelle pessimisme

…est encore quelque chose qui est fait pour

nous voiler ce dont il s'agit.

 

S(A) cela ne veut pas dire :

tout ce qui se passe au niveau de A ne vaut rien,

à savoir toute vérité est fallacieuse.

 

C'est là quelque chose qui peut faire rire dans les périodes d'amusement qui suivent les après-guerres

où l'on fait, par exemple, une « philosophie de l'absurde »

qui sert surtout dans les caves [ Réf. à Camus ].

 

Essayons d'articuler quelque chose de plus sérieux, ou de plus léger.

 

Aussi bien avec la barre, qu'est-ce que cela veut dire essentiellement ?

 

Je crois que c'est le moment de le dire, encore que bien entendu cela va apparaître sous un angle bien particulier, mais je ne le crois pas contingent.



 

S(A) veut dire ceci :

c'est que si A, le grand Autre, est non pas un être mais le lieu de la parole, S(A) veut dire que dans ce le lieu de la parole

 

où repose sous une forme développée, ou sous une forme [enveloppée ?], l'ensemble du système

des signifiants, c'est-à-dire d'un langage

 

il manque quelque chose.

 

Quelque chose qui peut n'être qu'un signifiant y fait défaut.

Le signifiant qui fait défaut au niveau de l'Autre, et qui donne sa valeur la plus radicale à ce S(A), c'est ceci qui est, si je puis dire, le grand secret

de la psychanalyse

 

ce par quoi la psychanalyse apporte quelque chose, par où le sujet qui parle…

en tant que l'expérience de l'analyse nous le révèle comme structuré nécessairement d'une certaine façon

…se distingue du sujet de toujours, du sujet auquel une évolution philosophique qui après tout peut bien nous apparaître dans une certaine perspective de délire, fécond, mais de délire dans la rétrospection

 

…c'est ceci le grand secret :

 

« Il n'y a pas d'Autre de l'Autre. »

 

En d'autres termes :

pour le sujet de la philosophie traditionnelle

ce sujet se subjective lui-même indéfiniment :

si « Je suis en tant que je pense », « Je suis en tant que je pense que je suis », et ainsi de suite, cela n'a aucune raison de s'arrêter.

 

La vérité est que l'analyse nous apprend quelque chose de tout à fait différent.

C'est qu'on s'est déjà aperçu qu'il n'est pas si sûr que je sois en tant que je pense, et qu'on ne pouvait être sûr que d'une chose, c'est que je suis en tant que je pense que je suis. Cela sûrement.

 

Seulement ce que l'analyse nous apprend, c'est que

je ne suis pas celui-là qui justement est en train de penser que je suis, pour la simple raison que du fait que je pense que je suis, je pense « au lieu de l'Autre »,

je suis un autre que celui qui pense que je suis.

 

Or la question est que je n'ai aucune garantie d'aucune façon que cet Autre, par ce qu'il y a dans son système, puisse me rendre, si je puis m'exprimer ainsi, ce que je lui ai donné :

son être et son essence de vérité.

 

Il n'y a pas, vous ai-je dit, d'Autre de l'Autre.

 

Il n'y a dans l'Autre aucun signifiant qui puisse dans l'occasion répondre de ce que je suis.

 

Et pour dire les choses d'une façon transformée, cette vérité sans espoir dont je vous parlais tout à l'heure, cette vérité qui est celle que nous rencontrons au niveau de l'inconscient, c'est une vérité sans figure, c'est une vérité fermée, une vérité pliable en tous sens. Nous ne le savons que trop : c'est une vérité sans vérité.

 

 

Et c'est bien cela qui fait le plus grand obstacle

à ceux qui s'approchent du dehors de notre travail

et qui, devant nos interprétations…

parce qu'ils ne sont pas dans la voie, avec nous, où elles sont destinées à porter leur effet qui n'est concevable que de façon métaphorique,

et pour autant qu'elles jouent et retentissent toujours entre les deux lignes

…ne peuvent pas comprendre de quoi il s'agit dans l'interprétation analytique.

 

Ce signifiant, dont l'Autre ne dispose pas, si nous pouvons en parler, c'est bien tout de même qu'il est, bien entendu, quelque part.

 

Je vous ai fait ce petit gramme aux fins que vous ne perdiez pas le nord.

 

Je l'ai fait avec tout le soin que j'ai pu,

mais certainement pas pour accroître votre embarras.

 

 

Vous pouvez le reconnaître partout où est la barre, le signifiant caché, celui dont l'Autre ne dispose pas, et qui est justement celui qui vous concerne.

 

C'est le même que vous faites entrer dans le jeu

en tant que vous, pauvres bêtas, depuis que vous êtes nés, vous êtes pris dans cette sacrée affaire de λόγος [logos].

 

C'est à savoir la part de vous qui là-dedans

est sacrifiée…

et sacrifiée non pas purement et simplement, physiquement comme on dit, réellement, mais symboliquement, et qui n'est pas rien

…cette part de vous qui a pris fonction signifiante.

 

Et c'est pour cela qu'il y en a une seule,

et il n'y en a pas trente six, c'est très exactement cette fonction énigmatique que nous appelons le phallus, qui est ici ce quelque chose de l'organisme de la vie, de cette poussée, où « poussée vitale », dont vous savez que je ne trouve pas qu'il faille user à tort et à travers, mais qui une fois bien cernée, symbolisée, mise là où elle est, et surtout où elle sert,

où effectivement dans l'inconscient elle est prise,

prend son sens.

 

Le phallus, la turgescence vitale, ce quelque chose d'énigmatique, d'universel, plus mâle que femelle,

et pourtant dont la femelle elle-même peut devenir

le symbole, voilà ce dont il s'agit, et ce qui…

parce que dans l'Autre il est indisponible

…ce qui…

bien que ce soit cette vie même

que le sujet fait signifiante

…ne vient nulle part garantir la signification

du discours de l'Autre.

 

Autrement dit, toute sacrifiée qu'elle soit,

cette vie ne lui est pas, par l'Autre, rendue.

 

C'est parce que c'est de là que part HAMLET,

à savoir de la réponse du donné, que tout le parcours peut être balayé, que cette révélation radicale

va le mener au rendez-vous dernier.

 

Pour l'atteindre, nous allons maintenant reprendre

ce qui se passe dans la pièce d'HAMLET.

 

La pièce d'HAMLET est - comme vous le savez - l'œuvre de SHAKESPEARE et nous devons donc faire attention

à ce qu'il y a rajouté.

 

 

C'était déjà un assez beau parcours, mais il faut croire qu'il offrait…

et là il suffisait qu'il s'offrit

pour qu'il fût pris [ Sic ]

…un chemin assez long à parcourir pour nous montrer

ce qu'on appelle du pays, pour que SHAKESPEARE

l'ait parcouru.

 

Je vous ai indiqué la dernière fois les questions

que pose la play scene, la « scène des acteurs », j'y reviendrai.

 

Je voudrais aujourd'hui introduire un élément essentiel, essentiel parce qu'il concerne ce dont nous nous rapprochons après avoir établi la fonction des deux lignes, c'est à savoir ce qui gît dans l'intervalle, ce qui, si je puis dire, fait pour le sujet

la distance qu'il peut maintenir entre les deux lignes pour y respirer pendant le temps

qu'il lui reste à vivre, et c'est cela que nous appelons le désir.

 

Je vous ai dit quelle pression, quelle abolition,

quelle destruction ce désir subit pourtant, de ce qu'il se rencontre avec ce quelque chose de l'Autre réel,

de la mère telle qu'elle est, cette mère comme tant d'autres, à savoir ce quelque chose de structuré,

ce quelque chose qui est moins désir que gloutonnerie, voire engloutissement, ce quelque chose qui évidemment…

on ne sait pourquoi mais après tout qu'importe

…à ce niveau de la vie de SHAKESPEARE, a été pour lui la révélation.

 

Le problème de la femme certes, n'a jamais été

sans être présent dans toute l'œuvre de SHAKESPEARE,

et il y avait des luronnes avant HAMLET.

Mais d'aussi abyssales, féroces et tristes,

il n'y en a qu'à partir d'HAMLET.

 

Troylus and Cressida

qui est une pure merveille et qu'on n'a certainement pas mis assez en valeur

…nous permet peut-être d'aller plus loin

dans ce qu'HAMLET a pensé à ce moment-là.

La création de Troylus and Cressida est, je crois une des plus sublimes qu'on puisse rencontrer dans l'œuvre dramatique.

 

Au niveau d'HAMLET et au niveau du dialogue

qu'on peut appeler le paroxysme de la pièce,

entre HAMLET et sa mère, je vous ai déjà dit

la dernière fois le sens de ce mouvement d'adjuration vis à vis de la mère qui est à peu près :

 

« Ne détruit pas la beauté, l'ordre du monde, ne confond pas HYPÉRION même

c'est son père qu'il désigne ainsi

avec l'être le plus abject » ( III, 4 )

 

…et la retombée de cette adjuration devant ce qu'il sait être la nécessité fatale de cette sorte de désir qui ne soutient rien, qui ne retient rien.

 

Les citations que je pourrais à cet endroit

vous faire de ce qui est la pensée de SHAKESPEARE

à cet égard sont excessivement nombreuses.

 

Je ne vous en donnerai que ceci de ce que j'ai relevé pendant les vacances, dans un tout autre contexte.

 

Il s'agit de quelqu'un qui est assez amoureux,

mais aussi il faut le dire, assez farfelu,

un brave homme d'ailleurs.

 

C'est dans Twelfth Night [84], le héros dialoguant avec

une fille qui pour le conquérir…

encore que rien dans le héros - le Duc comme on l'appelle - ne mette en doute que ses penchants soient des femmes

…parce que c'est de sa passion qu'il s'agit, l'approche, déguisée en garçon.

Ce qui tout de même est un trait singulier pour

se faire valoir comme fille, car elle l'aime.

 

Ce n'est pas pour rien que je vous donne ces détails, c'est parce que c'est un apport vers quelque chose vers quoi je vais vous introduire maintenant,

à savoir la création d'OPHÉLIE.

Cette femme, VIOLA, est justement antérieure à OPHÉLIE.

La Twelfth Night est de deux ans environ antérieur

à la fomentation d'HAMLET, et voilà très exactement l'exemple de la transformation de ce qui se passe dans SHAKESPEARE au niveau de ses créations féminines qui comme vous le savez, sont celles parmi

les plus fascinantes, les plus attirantes, les plus captivantes, les plus troubles à la fois,

qui font le caractère vraiment immortellement poétique

de toute une face de son génie.

 

Cette fille-garçon, ou garçon-fille, voilà le type même de création où affleure, où se révèle quelque chose qui va nous introduire à ce qui va maintenant être notre propos, notre pas suivant, à savoir le rôle de l'objet dans le désir.

 

Après avoir pris cette occasion pour vous montrer

la perspective dans laquelle s'inscrit notre question sur OPHÉLIE, voilà ce que le Duc…

sans savoir que la personne qui est devant lui est une fille, et une fille qui l'aime, lui

…répond aux questions capiteuses de la fille qui, alors qu'il se désespère, lui dit :

 

« Comment pouvez-vous vous plaindre ? Si quelqu'un était auprès de vous qui soupirait après votre amour, et que vous n'ayez nulle envie de l'aimer

ce qui est le cas, c'est ce dont il souffre

comment pourriez-vous l'accueillir ? Il ne faut donc pas en vouloir aux autres de ce qu'assurément ous feriez vous-même. »[85]

Lui, qui est là en aveugle et dans l'énigme,

lui dit à ce moment-là un grand propos concernant la différence du désir féminin et du désir masculin :

« Il n'y a pas de femme qui peut supporter le battement d'une passion aussi violente que celle qui possède mon cœur. Aucun cœur de femme ne peut ainsi en supporter autant. Elles manquent de cette suspension… » [La Nuit des rois ( II, 4, )]

 

Et tout son développement est celui en effet de quelque chose qui, du désir, fait essentiellement cette distance qu'il y a, ce rapport particulier

à l'objet soutenu comme tel, qui est quelque chose justement qui est ce qui est exprimé dans le symbole que je vous place ici sur cette ligne de retour :

de l'X du vouloir.

 

C'est à savoir le rapport S à (a).

(a) l'objet en tant qu'il est, si l'on peut dire,

le curseur, le niveau où se situe, se place ce qui est chez le sujet, à proprement parler, le désir.

 

Je voudrais introduire le personnage d'OPHÉLIE

en bénéficiant de ce que la critique philologique et textuelle nous a apporté concernant, si je puis dire, ses antécédents.

 

J'ai vu sous la plume de je ne sais quel crétin

un vif mouvement de bonne humeur qui lui survint

le jour où…

pas spécialement précipité car il aurait

dû le savoir depuis un bout de temps

…il s'est aperçu que dans BELLEFOREST il y a quelqu'un qui joue le rôle d'OPHÉLIE.

 

Dans BELLEFOREST on est tout aussi embêté avec ce qui arrive à HAMLET, à savoir qu'il a bien l'air d'être fou,

mais quand même on n'est pas plus rassuré que cela, car il est clair que ce fou sait assez bien ce qu'il veut, et ce qu'il veut…

c'est ce que l'on ne sait pas,

c'est beaucoup de choses

…ce qu'il veut c'est la question pour tous les autres.

 

On lui envoie une fille de joie destinée…

en l'attirant dans un coin de la forêt

…à capter ses confidences cependant que quelqu'un qui est aux écoutes pourra en savoir un peu plus long.

 

Le stratagème échoue comme il convient, grâce,

je crois, à l'amour de la fille. Ce qui est certain, c'est que le critique en question était tout content de trouver cette sorte d'arché-OPHÉLIE pour y retrouver la raison des ambiguïtés du caractère d'OPHÉLIE.

 

Naturellement je ne vais pas relire le rôle d'OPHÉLIE, mais ce personnage tellement éminemment pathétique, bouleversant, dont on peut dire que c'est une des grandes figures de l'humanité, se présente comme

vous le savez sous des traits extrêmement ambigus.

Personne n'a jamais pu déclarer encore :

- si elle est l'innocence même qui parle ou qui fait allusion à ses élans les plus charnels avec la simplicité d'une pureté qui ne connaît pas de pudeur,

- ou si c'est au contraire une gourgandine prête

à tous les travaux.

Les textes là-dessus sont un véritable jeu de miroir aux alouettes,

on peut tout y trouver, et à la vérité, on y trouve surtout un grand charme où la scène de la folie

n'est pas le moindre moment.

La chose en effet est tout à fait claire.

 

Si d'une part, HAMLET se comporte avec elle avec

une cruauté tout à fait exceptionnelle qui gêne, qui comme on dit, fait mal, et qui la fait sentir comme une victime, d'autre part on sent bien qu'elle n'est point, et bien loin de là, la créature désincarnée ou décharnalisée que la peinture préraphaélite que j'ai évoquée, en a faite. C'est tout à fait autre chose.

 

À la vérité on est surpris que les préjugés concernant le type, la nature, la signification,

les mœurs pour tout dire de la femme, soient encore si fort ancrés qu'on puisse, à propos d'OPHÉLIE,

se poser une question semblable.

 

Il semble qu'OPHÉLIE soit tout simplement ce qu'est toute fille, qu'elle ait ou non franchi…

après tout nous n'en savons rien

…le pas tabou de la rupture de sa virginité.

La question me semble n'être pas, d'aucune façon,

à propos d'OPHÉLIE, posée.

 

Dans l'occasion il s'agit de savoir pourquoi SHAKESPEARE a apporté ce personnage qui paraît représenter une espèce de point extrême sur une ligne courbe qui va, de ses premières héroïnes filles-garçons, jusqu'à quelque chose qui va en retrouver la formule dans la suite, mais transformée sous une autre nature.

 

OPHÉLIE, qui semble être le sommet de sa création du type de la femme, au point exact où elle est elle-même ce bourgeon prêt d'éclore et menacé par l'insecte rongeur au cœur du bourgeon.

Cette vision de vie prête à éclore, et de vie porteuse de toutes les vies, c'est ainsi d'ailleurs qu'HAMLET la qualifie, la situe pour la repousser :

 

« Vous serez la mère de pêcheurs !… » [ Hamlet : …Why wouldst thou be a breeder of sinners ? ( III, 1 ) ]

Cette image justement de la fécondité vitale,

cette image pour tout dire, de toutes les façons nous illustre plus, je crois, qu'aucune autre création, l'équation dont j'ai fait état dans mes cours, l'équation « girl = phallus ». C'est évidemment là quelque chose que nous pouvons très facilement reconnaître.

 

Je ne ferai pas état de choses qui, à la vérité,

me paraissent simplement une curieuse rencontre.

J'ai eu la curiosité de voir d'où venait OPHÉLIE et, dans un article de BOISSACQ du Dictionnaire étymologique grec, j'y ai vu une référence grecque.

 

SHAKESPEARE ne disposait pas des dictionnaires dont nous nous servons, mais on trouve chez les auteurs

de cette époque des choses si stupéfiantes à côté d'ignorances somptueuses, des choses si pénétrantes, et qui retrouvent les constructions de la critique

la plus moderne, que je peux bien à cette occasion vous faire état de ceci qui est dans les notes

que j'ai oubliées.

 

Je crois que dans HOMÈRE, si mon souvenir est bon,

il y a Ὄϕηλίὀ [ophelio], au sens du « faire grossir », « enfler », que Ὄϕηλίὀ [ophelio] est employé pour la « mue », « fermentation vitale » qui s'appelle à peu près « laisser quelque chose changer » ou « s'épaissir ».

 

Le plus drôle encore, on ne peut pas ne pas en faire état, c'est que dans le même article, BOISSACQ,

qui est un auteur qui crible assez sévèrement l'ordonnance de ses chaînes signifiantes, croit nécessaire de faire expressément référence à ce propos, à la forme verbale de ὀμϕαλός [omphalos], au phallus.

 

La confusion d'OPHÉLIE et de ὀμϕαλός [omphalos] n'a pas besoin de BOISSACQ pour nous apparaître.

Elle nous apparaît dans la structure.

 

Et ce qu'il s'agit maintenant d'introduire, ce n'est pas en quoi OPHÉLIE peut être le phallus, mais…

si elle est, comme nous le disons, véritablement le phallus

…comment SHAKESPEARE lui fait remplir cette fonction ?

 

Or c'est ici qu'est l'important.

 

SHAKESPEARE porte sur un plan nouveau ce qui lui est donné dans la légende de BELLEFOREST, à savoir que dans la légende telle qu'elle est rapportée

par BELLEFOREST, la courtisane est l'appât destiné

à lui arracher son secret.

 

Eh bien, transposant cela au niveau supérieur

qui est celui où se tient la véritable question,

je vous montrerai la prochaine fois qu'OPHÉLIE est là pour interroger le secret

- non pas au sens des sombres desseins qu'il s'agit de faire avouer à HAMLET par ceux qui l'entourent et qui ne savent pas très bien de quoi il est capable,

- mais le secret du désir.

 

 

Dans les rapports avec l'objet d'OPHÉLIE…

pour autant qu'ils sont scandés au cours

de la pièce par une série de temps

sur lesquels nous nous arrêterons

…quelque chose s'articule qui nous permet de saisir, d'une façon particulièrement vivante, les rapports

du sujet en tant qu'il parle, c'est-à-dire du sujet en tant qu'il est soumis au rendez-vous de son destin, avec quelque chose qui doit prendre…

dans l'analyse et par l'analyse

…un autre sens.

 

Ce sens autour duquel l'analyse tourne et dont,

ce n'est pas pour rien, le tournant où elle approche à propos de ce terme d'objet si prévalent,

si certainement beaucoup plus insistant et présent qu'il n'a jamais été dans FREUD, et au point que certains ont pu dire que l'analyse l'a changé

de sens pour autant que la libido, chercheuse de plaisir,

est devenue chercheuse d'objet.

 

Je vous l'ai dit, l'analyse est engagée dans une voie fausse pour autant que cet objet elle l'articule

et le définit d'une façon qui manque son but,

qui ne soutient pas ce dont il s'agit véritablement dans le rapport qui s'inscrit dans la formule S(A),

S châtré, S soumis à quelque chose que je vous appellerai la prochaine fois, et que je vous apprendrai à déchiffrer sous le nom de fading du sujet,

qui s'oppose à la notion de splitting de l'objet, de ce rapport de ce sujet avec l'objet en tant que tel.

 

Qu'est-ce que l'objet du désir ?

 

Un jour…

qui n'était rien d'autre, je crois,

que la deuxième séance de cette année

…je vous ai fait une citation de quelqu'un,

que j'espère, quelqu'un aura identifié depuis lors, qui disait que ce que l'avare regrette dans la perte de sa cassette nous en apprendrait, si on le savait, long sur le désir humain.

 

C'est Simone WEIL qui disait cela.

 

C'est cela que nous allons essayer de serrer

autour de ce fil qui court le long de la tragédie entre OPHÉLIE et HAMLET.


 

(HamletIII, 4 : 40- 87)

Hamlet.Such an act
That blurs the grace and blush of modesty;
Calls virtue hypocrite; takes off the rose
From the fair forehead of an innocent love,
And sets a blister there; makes marriage vows
As false as dicers' oaths. O, such a deed
As from the body of contraction plucks
The very soul, and sweet religion makes
A rhapsody of words! Heaven's face doth glow;
Yea, this solidity and compound mass,

With tristful visage, as against the doom,
Is thought-sick at the act.

Gertrude.Ah me, what act,
That roars so loud and thunders in the index?


Date: 2016-03-03; view: 457


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