La prise en compte de la dimension énonciative permet d'enrichir la conception de la communication telle qu'elle est fixée et diffusée par le fameux schéma de Jakobson en 1963:
contexte
destinateur message destinataire
contact
code
Les critiques de ce schéma sont nombreuses et peuvent se résumer en quatre points:
- ce schéma dessine une communication homogène et linéaire alors qu'il faudrait plutôt parler d'une compréhension partielle entre le destinateur et le destinataire;
- le code est situé extérieurement à la communication alors qu'il est constitué des savoirs internes des sujets parlants;
- rien n'est dit des compétences extralinguistiques (encyclopédiques, psychiques ou culturelles);
- ce schéma n'intègre pas de modèle de production (à l'encodage) et d'interprétation (au décodage).
Pour pallier ces manques, Kerbrat-Orecchioni (1980: 19) propose la reformulation suivante :
Compétences linguistique et paralinguistique
Compétences linguistique et paralinguistique
Référent
Emmeteur encodage-MESSAGE-décodage récepteur
canal
Contraintes de l'univers de discours
Modèle de production
Modèle d’interprétation
Le sujet de l’énonciation
L'approche énonciative du langage implique également une théorie du sujet, puisque ce sont ses marques d'inscription dans l'énoncé qui constituent alors l'objet du travail du linguiste. Alors que les approches structuraliste et générativiste ignorent la question du sujet, le point de vue énonciatif la met au cœur de la linguistique. La conception du sujet classique, c'est-à-dire autonome, mettant en mot ses intentions, maîtrisant le contenu de ses paroles et s'appropriant les formes de la langue, est battue en brèche.
Dès les années 20, avec Bakhtine, le sujet parlant est un sujet en relation avec son environnement, ayant intériorisé des normes et des formes discursives extérieures à lui, mais qui le constituent. L'énonciation est alors le véritable lieu de la parole, définie comme interaction verbale:
« La véritable substance de la langue n'est pas constituée par un système abstrait de formes linguistiques ni par l'énonciation-monologue isolée, ni par l'acte psycho-physiologique de sa production, mais par le phénomène social de l'interaction verbale, réalisée à travers l'énonciation et les énonciations » (1977:136).
Cette conception du sujet hétérogène est particulièrement exploitée dans les années 80 par Authier qui élabore le couple hétérogénéité constitutive vs hétérogénéité montrée (1982). Le sujet est constitutivement hétérogène dans la mesure où il est traversé par sa propre division, par le social, par le discours d'autrui, par de nombreuses formes d'extériorité. Mais il peut aussi montrer son hétérogénéité dans son discours: il se livre à une mise en scène particulière des différentes voix qui le traversent, et l'on parle alors alors de polyphonie. Les travaux de Ducrot sur la polyphonie sont eux aussi fondés sur la contestation de l'unicité du sujet parlant.
Cette conception interactionnelle de la communication remet donc en cause une représentation de la communication qui reposerait sur les paroles d'un locuteur destinées à un interlocuteur: les deux protagonistes construisent ensemble la communication, et c'est pour cette raison que l'énonciation devient par exemple chez Culioli la co-énonciation. On retrouve la même idée chez le philospohe du langage Jacques, qui parle de mise en communauté de renonciation. Il s'agit aussi d'une conception interactive de l’énonciation:
«Le concept d'interlocution est primitif, tandis que les concepts de locuteur et d'allocutaire sont dérivés» (1983:57-58)
Cette conception du sujet comme co-énonciateur, co-acteur de la parole, se retrouvera également chez les chercheurs de l'école de Palo Alto et chez Habermas, philosophe théoricien de la communication.
[1] Pour le compte rendu détaillé de cette polémique, voir Baggioni 1998 in Vion 1998.
[2] M. Bakhtine publie son ouvrage de 1929, traduit en français en 1977, Le Marxisme et la Philosophie du langage, sous le nom de V.N. Volochinov.