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Soirées poétiques. L'éducation

Ce que nous appelons nos soirées poétiques, assez pompeusement, comporte une partie matérielle importante. Il nous faut des biscuits à l'orange, du pain d'épice3, des bonbons et puis du Coca-Cola, une grosse bougie posée sur un plateau, une soirée calme où tout le monde est détendu, bref4, il nous faut beaucoup de choses pour apprécier la poésie. On arrive cependant à réunir toutes ces conditions une fois tous les quinze jours environ. Alors nous nous groupons sur mon lit, sur lequel on finit toujours par se retrouver.

Parfois, comme au cours de la conversation qui précède, nous «bordons quelque grand problème. Parfois, à l'approche des fêtes, nous lisons la Bible; plus souvent, nous lisons nos poètes favoris.

Daniel, qui a une belle voix se spécialise dans Victor Hugo.

Jacques préfère un ton plus sarcastique et lit Cendrars. Aïberte est une fervente d'Aragon1 et Vincent lit les poèmes traduits du chinois par Claudel2.

- Ce qui est curieux, avec l'éducation que tu leur donnes, c'est que tes enfants n'aient pas d'orthographe, dit Jeanne.

En effet, il arrive à Aïberte d'écrire téléphone avec un f. Et Vincent écrit comme un chat et n'accorde pas ses participes. C'est que, chantant des ballades, discutant cinéma, appréciant dessins et bricolages, j'oublie si souvent de vérifier leurs cartables et de regarder leurs cahiers... Est-ce que je donne une éducation à mes enfants? Il serait peut être temps d'y penser.

Une dame dit un jour devant moi: «C'est à la chaussure qu'on reconnaît un enfant bien tenu.» J'ai rougi.

Saga de Daniel

Quand Daniel naquit, j'avais dix-huit ans. J'achetai une quantité d'objets perfectionnés, baignoire pliante, chauffe-biberon à thermostat, stérilisateur. Je ne sus jamais très bien m'en servir.

Je l'emmenais parfois dans les cafés; on l'y regardait avec surprise: ce n'était pas encore la mode.

Quand j'allais danser il dormait dans la pièce qui servait de vestiaire au milieu des manteaux. On s'aimait bien. A cinq ans il manifesta un précoce instinct de protection en criant dans le métro, d'une voix suraiguë : «Laissez passer ma maman.» A huit ans, il «faisait ses courses» et «son» dîner tout seul. A neuf ans, nous eûmes quelques conflits. Il refusa d'aller à l'école, de se laver et de manger du poisson. Un jour je le plongeai tout habillé dans une baignoire, un autre jour Jacques le porta sur son dos à l'école: il hurla tout le long du chemin. Ces essais éducatifs1 n'eurent aucun succès. Du reste, il se corrigea tout seul. Nous décidâmes de ne plus intervenir.

A dix ans, au lycée, ayant reçu pour sujet de rédaction : «Un beau souvenir», il écrivit: «Le plus beau souvenir de ma vie, c'est le mariage de mes parents.»



A quinze ans il eut une période pop. A seize ans il manifesta un vif intérêt pour le beau sexe. De jeunes personnes dont j'ignorais toujours jusqu'au prénom s'engouffraient dans sa chambre, drapées dans d'immenses imperméables crasseux, comme des espions de la Série noire2.

Il joua de la clarinette. Il but un peu.

A dix-sept ans il fut bouddhiste. Ses cheveux allongèrent.

A dix-huit ans il passa son bac. Un peu avant, il avait été couvert de bijoux comme un prince hindou ou un figurant de cinéma, une bague à chaque doigt. Puis les bijoux disparurent. Il joua du saxophone, de la guitare. Il fit 4 000 kilomètres en auto-stop, connut les tribus du désert en Mauritanie, vit un éléphant en liberté, voyagea couché à plat ventre3 sur un wagon, à demi4 asphyxié par la poussière.

Il revint pratiquement sans chaussures, mais doté d'un immense prestige5 auprès de ses frères et sœurs. Il rasa ses cheveux et fit des Sciences économiques. Voilà la saga de Daniel.

Dans tout cela, où est l'éducation? Si Daniel, qui va atteindre sa majorité cette année, est un bon fils, un beau garçon, doué d'humour et de sérieux, de fantaisie et de bon sens, y suis-je pour quelque chose? Ah! pour rien, pour rien, et pourtant pour quelque chose, une toute petite chose, la seule peut-être que je lui ai donnée, la seule, me dis-je parfois avec orgueil, qu'il était important de . lui donner: la confiance.

Ce qui ne veut pas dire que tous les problèmes soient résolus. Daniel vient d'acheter un singe.

 

Dans le train

Je ramène Vincent de l'aérium de Besançon, où il a dû passer six mois. Une dame veuve, fonctionnaire des Postes, me raconte la peine qu'elle a eue à élever ses enfants.

«Fille d'un tabac, femme d'un tabac (je mets un moment à comprendre1 qu'il s'agit d'un gérant de bureau de tabac), croyez-moi si vous voulez, je n'avais jamais fumé. Mon mari est mort en 40, j'avais vingt-neuf ans. Seule. Bien sûr, il y avait mes deux enfants, je travaillais avec eux, pour leurs examens, et en travaillant je me disais: ma pauvre, tu travailles à ta solitude. Et voyez si c'était vrai, la fille à Paris, le fils à Lyon, et moi à Besançon. Eh bien, je me suis mise à fumer.

...Toujours seule, toujours seule. Je ne vais pas me remarier, à mon âge. Je me suis mise dans les Postes. Les lettres, c'est des idées, c'est vivant.»

Elle a un joli geste des mains.

- Il revient d'aérium, votre petit garçon? J'espère qu'il est bien guéri. Ah! évidemment, ceux qui sont malades, on les garde...

Devoir 5


Date: 2016-01-14; view: 666


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