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Les frères Zemganno

Stépanida Roudak avait été une mère pour son fils aîné, mais une mère sans tendresse, sans chaleur d’entrailles, sans bonheur ému quand il se trouvait près d’elle, une mère dont les soins ressemblaient à l’accomplissement d’un devoir, sans rien de plus. Gianni portait la peine d’avoir été conçu dans les premiers temps d’un mariage où la pensée de la jeune femme appartenait tout entière à un jeune homme de sa race, et lorsque remontait encore aux lèvres de l’épouse du vieux Tommaso Bescapé, cette chanson de son pays :

Vieux époux, barbare époux,

Egorge-moi ! brûle-moi !

Je te hais !

Je te méprise !

C’est un autre que j’aime,

Et je meurs en l’aimant !

Alors toute la violente et sauvage maternité contenue dans les flancs de la bohémienne et qui n’avait point eu d’issue, s’était reportée sur Nello, venu au monde douze ans après son frère, sur son dernier-né qu’elle n’embrassait pas, qu’elle ne caressait pas, mais qu’elle pressait contre sa poitrine dans des étreintes frénétiques et des serrements à l’étouffer. Gianni, qui cachait une nature aimante sous de froids dehors, souffrait de cet inégal partage d’affection, mais sans que cette prédilection pour Nello lui donnât aucune jalousie contre son jeune frère. Cette préférence, Gianni la trouvait toute naturelle. Lui, il le reconnaissait, il n’était pas beau, et il était volontiers triste. Il parlait peu. Sa jeunesse autour d’elle ne répandait pas de gaieté ; il n’y avait rien dans sa personne qui pût flatter l’orgueil d’une mère. Les marques même de son amour filial étaient maladroites. Son petit frère au contraire, la beauté dans la gentillesse et le charme dans le câlinement, en faisaient un être de grâce que les mères enviaient des yeux à sa mère, que les passants des chemins demandaient à embrasser. Le petit visage de Nello, on aurait dit une lumière de matin. Et toujours des drôleries, des gamineries, des petits propos amusants, des pourquoi donnant à rire, des inventions charmeresses, des riens enfantins adorables, et du bruit et du mouvement et du joli tapage. [...]

L’enfant, gâté par tous, ne se plaisait qu’avec celui qui le grondait quelquefois ; et, tout turbulent et loquace qu’il était, on le voyait rester bien sage pendant un long temps à côté du taciturne Gianni, comme s’il aimait son silence.

L’éducation acrobarique de Nello commençait dès l’âge de cinq ans, de quatre ans et demi. Tout d’abord ce n’étaient que des développements gymnastiques, des extensions de bras, des ploiement de jambes, du remuement mis dans les muscles et les nerfs de ces membres enfantins : une mise en train essayeuse et ménagère de la petite force du mioche. Mais presque en même temps, avant la soudure du squelette, avant que les os eussent perdu la flexibilité des toutes premières années, les jambes de Nello étaient soumises à des écartements devenant un peu plus grands tous les jours, et qui en quelques mois amenaient l’enfant à faire le grand écart. On habituait aussi le petit acrobate à prendre un de ses pieds dans sa main, à le soulever à la hauteur de sa tête, et un peu plus tard à s’asseoir et à se relever dans cette position à cloche-pied. Enfin Gianni, une tendre main sur l’estomac de l’enfant, placé debout devant lui, doucement, doucement, l’amenait à renverser le torse et la tête en arrière, tout prêt à l’enlever dans ses bras, s’il venait à culbuter. [...] C’est ainsi que peu à peu, et successivement, et sans hâte ni presse, et avec l’encouragement de bonbons et de paroles flatteuses, et de compliments adressés à la petite vanité du gymnaste sortant de téter, s’obtenait le brisement du corps de l’enfant. [...]



Vers l’âge de sept ans, Nello était très fort sur le saut de carpe, ce saut où, étendu sur le dos, sans se servir des mais, un garçonnet se relève debout sur ses pieds par le ressort d’un coup de reins.

Venait l’étude des sauts qui prennent sur les mains leurs points d’appui à terre : le saut en avant, où l’enfant, posant devant lui ses mains, dans une volte de son corps, se redresse lentement sur ses pieds qui sont allés retrouver ses mains ; le saut de singe, où l’enfant, posant ses mains derrière lui, se redresse par le même mouvement exécuté dans le sens contraire, le saut de l’Arabe, ce saut de côté qui ressemble à la roue.

Dans tous ces exercices, Nello avait toujours, autour de son essai, le rond de bras protecteur de son frère, toujours autour de ses membres, l’enveloppement de la paume de sa main, le retenant, le soutenant, donnant à l’hésitation et au vacillement de son corps l’enlevé du tour. Et plus tard, quand Nello commençait à être plus assuré dans ce qu’il tentait, une ceinture attachée à une corde le liait à Gianni, relâchant la corde à mesure que le travail du petit frère approchait de la réussite complète. [...]

Du reste le fils de la bohémienne n’était point une nature rigide ; il tenait de son père, de son frère, avec une aptitude singulière pour le saut ordinaire, le saut avec élan ou à pieds joints, obtenant dès sept ou huit ans une élévation à laquelle ses petits confrères beaucoup plus âgés que lui ne pouvaient atteindre. Et le vieux Bescapé, [...] un jour voyant Nello sauter, disait à Stépanida :

- Femme, vois-tu ça, - et il lui montrait les talons de son enfant et la longueur du calcaneum, - eh bien, avec ça, un jour, il sautera comme un singe, le petit !

D’après Edmond et Jules de Goncourt, « Les Frères Zemganno »

 

Questionnaire

1. Dans quelles conditions s’élevaient les deux frères ?

2. Sur quel principe l’auteur se base-t-il en donnant les caractéristiques des deux frères et en décrivant leurs portraits ? Prouvez-le par le lexique du texte.

3. Comment l’auteur décrit-il l’éducation acrobatique de Nello ? Quel était le rôle de son frère dans cet entrainement ?

4. Etudiez le style de l’auteur : a) relevez les mots, les expressions recherchés qui temoignent d’un « style artiste » ; b) trouvez les termes rares, le lexique spécial, les alliances des mots inattendues et expressives ; c) relevez les procédés stylistiques utilisés dans le texte


Date: 2015-12-24; view: 602


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