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IV. LE XALA : CONTAGION QUI INFECTE L’UNIVERS DE XALA

Ce n’est pas seulement El Hadji qui soit l’unique victime du « xala ». Ce n’est pas non plus le bourgeois exploiteur ou n’importe quel système réductionniste qui soient les seuls promis à l’inexorable emprise du « xala ». Tous les personnages de l’univers du roman sont victimes du « xala » ; tout d’abord sous la forme d’un phénomène paralysant, semblable au destin (de la tragédie classique) et puis comme une force dévastatrice qui les atteint aux niveaux des aspects physiques, psychologiques ou matériels de leur vie.
Faisant ressortir ses ravages comme le destin, le « xala » impose son inéluctable mainmise sur tout les personnages deXala. Chacun cherche alors à s’en échapper comme d’une peste car l’univers du roman semble être si infecté par la contagion du « xala » que l’univers (du roman) est comme un monde pestiféré. La famille Babacar, jouant le rôle du chœur dans l’œuvre, ne cesse d’annoncer ce qu’est cette inexorabilité du destin, et donc du « xala », dans la vie humaine. Par exemple, en bonne musulmane, la femme du vieux Babacar ne peut s’empêcher de reconnaître « la volonté de Yalla » (p. 14) dans la vie de sa fille, N’goné. Elle conseille à tous ceux qui se mêlent à ses affaires de tout accepter avec résignation. Babacar, lui-même sait que « Yalla » seul distille la chance » (p. 15). De plus, le guide spirituel venu chez les Babacar lors des cérémonies de mariage renchérit sur « cette volonté de Yalla » qui doit toujours être exaucée (p. 22).
Or, pour l’ensemble des personnages campés dans le roman, la volonté de « Yalla » n’est ni bonne ni salutaire, car « Yalla » ne leur a distillé que la malchance. Voilà où existe la correspondance du « xala » à « Yalla » à l’assimilation du deuxième par le premier, car les deux rendent toujours la vie tragique. Remarquons que les deux mots se prononcent presque pareillement).
En effet, chaque personnage dans Xala semble être poursuivi, à son insu, par « la guigne, ay gaaf » (p. 15) dont Ya Bineta, l’ange noir de l’œuvre, est reconnue être la victime. Chacun est donc impuissant, veule, inapte, mou, ignorant et complètement incapable devant le poids écrasant de son sort et donc de l’atmosphère du « xala » qui baigne l’univers de l’oeuvre.
Etant donné cette situation de manque qui caractérise la vie de chaque personnage et qui se traduit au niveau des aspects de la vie matérielle chez certains, au niveau des facultés physiques chez d’autres et au niveau de la vie psychologique pour tous, chaque personnage du Xala est un malheureux. Etant malheureux, il considère la réalité hostile. Ses tentatives de nouer des contacts sûrs et confidentiels avec autrui (qui devient l’ailleurs solide vers lequel tendent sans cesse ses paroles, sa tendresse et d’autres moyens non linguistiques mais expressifs comme les gestes, regards et mimiques qui sont pour le moi une nécessité pathétique du maintien de son être) se soldent par un échec lamentable et démoralisant. Les habitants de l’univers finissent par se soupçonner l’un l’autre, se jalouser et rivaliser [19]. A cause de cette atmosphère de conflits, de tensions et de soupçons, les personnages de Xala finissent par se haïr et rendent ainsi leur monde encore plus tragique.
Les trois familles qui évoluent dans l’œuvre - celles d’El Hadji, de Babacar et de Papa Jean (que l’on ne voit pas, étant présentée en « flashback ») -, les individus comme Modu et la Secrétaire - Vendeuse d’El Hadji, les déchets de la société qui se présentent chez El Hadji (à la fin du roman) et les membres du « Groupement » sont tous ces victimes que nous venons d’identifier. Ni la science moderne ni les sciences occultes ne sont capables à briser le sort jeté par ce « xala ».
De tous ces groupes humains et individus qui sont tous soumis aux affres du « xala », pris comme une force sadique et tragique, il y a encore un genre humain singularisé pour manifester le « xala ». Il s’agit de la femme qui, dans la tradition africaine, surtout celle qui est distinguée par la foi musulmane, est née pour manifester la faiblesse ou l’impuissance. Elle doit se taire, elle est condamnée à être docile et à se soumettre à son seigneur et maître (son mari) et à ses parents. Cette image de la femme est bien représentée par Adja Awa Astou, la première femme d’El Hadji qui n’a pas seulement abandonné ses parents et sa religion première (où elle s’appelait Renée) par amour de son mari, pour devenir musulmane, mais qui est l’épouse exemplaire selon les canons de l’Islam. Elle doit à son mari « une obéissance totale » (p. 39) ; elle est docile et excellente mère. Son dévouement à la famille reste inaltérable jusqu’à la fin de l’œuvre. Les autres femmes y compris celles qui prétendent être évoluées comme Oumi N’doye (la deuxième femme d’El Hadji) et Rama (sa fille aînée) ne peuvent pas s’empêcher d’être des femmes soumises. La première est fléchie par le pouvoir d’argent de son mari et la deuxième malgré son esprit révolutionnaire, est réduite à l’impuissance pour les gifles (= le pouvoir tyrannique) du père.
En ce qui concerne les groupements conjugaux, il est facile de voir les effets du « xala » faisant ses ravages comme une force invisible et invincible, semblable au fatum [20] tragique qui frappe sans qu’on parvienne à savoir pourquoi. C’est le « xala » au sens le plus pur du terme (= force débordante et mystérieuse qui ne rapporte que le malheur). Commençons avec la famille de Bèye autour de laquelle se noue l’intrigue. Malgré la stratégie du mari (El Hadji) de s’arranger une « polygamie géographique » afin de maintenir dans chacun de ses trois foyers une atmosphère paisible et harmonieuse, rien ne va bien. La famille ne vit guère en harmonie. Alors que les enfants sont jaloux de l’un et l’autre, les épouses ne se tolèrent pas du tout.
Or, personne ne peut rien faire pour changer la situation. Chacun est tenu de subsister dans sa position de tension, de faiblesse et de malheur. C’est une situation de résignation par excellence ! Avec le « xala » d’El Hadji, la famille se désagrège complètement, car les moyens (financiers, matériels et sentimentaux) pour la maintenir n’y sont plus. Deux des trois femmes, se détachent du noyau cellulaire, se séparent du mari. Elles veulent trouver des échappatoires à une situation devenue intolérable.
Avec la famille Babacar, le « xala » (= l’impuissance) se fait sentir encore plus meurtrissant. Tout d’abord, le chef de famille est vieux, donc dénué de force physique. Puis, étant retraité, n’ayant que « ses quatre sous de compensation trimestrielle » (p. 15), il ne peut « faire face à sa nombreuse nichée : sept enfants » (p. 15). Le pauvre homme est donc obligé de vivre misérablement avec sa famille comme « des bêtes dans un enclos » dans leur baraque délabrée et pauvrement construite. C’est cette position de faiblesse matérielle qui a fait du vieux Babacar « un mouton » devant sa femme. C’est aussi l’impuissance économique de cette famille qui a certainement poussé la Badienne à chercher à bien « placer » chez El Hadji sa nièce N’goné, qui est la fille aînée du vieux ; Babacar. En ce qui concerne N’goné, le « xala » comme catalyseur de malheur se fait particulièrement remarquer. N’est-elle pas une fille née très médiocre intellectuellement, ayant « deux fois raté son brevet élémentaire ? » (p. 14). Elle est donc mal préparée à faire face à la vie. Voilà pourquoi elle a besoin d’un mari très riche qui sera capable de subvenir à ses besoins ainsi qu’à ceux de ses parents. A El Hadji, la Badienne, sa tante, la présente donc comme une véritable marchandise, comme nous l’avons montré plus haut. Devant l’homme, elle se comporte comme un objet dénué de qualités humaines. Elle est silencieuse comme un mannequin, passive comme un marionnette, rendue insensible comme un fruit à savourer, entre les mains de sa tante qui la manie à son gré. La tante présente donc sa nièce avec toute la stratégie du « marketing » et de la publicité, comme un objet d’or, comme une belle matière à vendre et un savoureux fruit à goûter [21].
Quant à la Badienne, elle est pour Ousmane la deuxième véritable victime du « xala » (après El Hadji). Elle en est, en effet doublement victime, car son bonheur et sa raison d’être fondés sur le succès du lien conjugal entre El Hadji et sa nièce, sont atteints par l’effondrement physique et financier d’El Hadji. Parlant d’elle, Ousmane déclare : « Ce « xala », si l’homme le subissait physiquement elle en était, elle, la victime morale » (p. 54).



On peut même dire qu’elle est la Source de la « chute » de sa nièce, à cause de son intimité avec celle-ci et son emprise sur elle. Etant une femme phallique, une véritable femme vampire et l’incarnation du mal, elle n’est pas seulement une dévoreuse d’hommes (avec ses deux maris enterrés), mais la dévoreuse de bonheur. Elle est, selon Modu, comme « la termite » qui corrode l’intérieur de ses victimes ne leur laissant que leur forme (p. 156). Elle ressemble donc au véritable « xala », tant elle est poursuivie par « la guigne, ay gaaf » (p. 54). Elle est, en effet, l’incarnation du diable et, en tant que tel, elle arrive à empêcher tous les membres de la famille Babacar de jouir des bienfaits de l’existence, tant elle corrode leur bonheur. A part sa capacité de tout dominer et traiter tous les membres de sa famille comme des moutons, la Badienne infecte toute sa maisonnée de son malheur, c’est-à-dire de son « xala ».
Tous ceux dont on ne voit pas, les membres de familles, mais qui sont les employés d’El Hadji sont soumis aux volontés du maître. Leur sort suit immanquablement celui de ce maître.
Dès que la fortune de ce dernier connaît des revers, ses employés ne peuvent qu’en subir les affres. Comme ceux qui font partie des deux familles ci-dessous présentées, chacun de ces individus est victime du « xala » ; d’abord celui d’El Hadji, car étant ses satellites et vivant à ses dépens, ils tomberont dans le malheur avec El Hadji. Puis, les manifestations du « xala » personnel de chacun de ses employés se voient au niveau de la misère, de l’indigence et finalement du chômage.
C’est peut-être la cohorte des pauvrets que nous voyons à la fin du roman qui est la plus malheureuse des cibles du « xala ». Cette racaille de la société constituée des
« éclopes, aveugles, lépreux, culs de-jattes, unijambistes » (p. 161),

fait son entrée en procession dans la villa d’El Hadji. Ils ne sont pas seulement tous infirmes, donc incapables physiquement, ils sont aussi lugubrement misérables, donc socialement et économiquement impotents. Véritables parias de la société, ils dépendent en tant que mendiants, pour leur survie, de la bonne volonté et de la générosité des gens aisés. Ils sont aussi économiquement inutiles, bien que jouant un rôle spirituellement indispensable dans la société musulmane : la loi coranique exige que l’on fasse l’aumône aux nécessiteux chaque jour si l’on désire bénéficier des faveurs divines. Ce rite religieux qui constitue un des cinq piliers de l’Islam forme le noyau d’un autre roman sénégalais celui d’Aminata Sow Fall,La Grève des Bàttu. La condition déplorable et pathétique de chacun de ces déchets de la société montre comment chaque déchet humain est infecté par la contagion du « xala ».
Même d’autres membres de la société, qui prétendent être puissants (économiquement) et aussi bien portants, sont atteints du « xala ». Il s’agit des membres du « Groupement des Hommes d’Affaires », en effet, des bourgeois indigènes, sont l’identité d’hommes de paille, d’hommes sans échine et d’épouvantails, est découverte dès que on les examine avec soin et à la loupe. C’est précisément ce que fait El Hadji du moment où il commence à prendre des distances par rapport à ses anciens confrères. Sa virulente critique de ces bourgeois (p.138 -139) est véritablement celle de Sembène Ousmane lui-même. Il nous fait entendre par la voix d’El Hadji, la position du militant Marxiste-Léniniste qui est Sembène Ousmane lui-même. Dans sa tirade contre ces bourgeois, il les dénonce comme des parasites incapables de se tenir debout, c’est-à-dire d’être intellectuellement et économiquement dépendants et forts. Il les voit comme des marionnettes au service des maîtres blancs dont ils sont « les commissaires et sous-traitants ». Il les définit comme des accapareurs dont la survie dépend de l’expropriation et de l’exploitation des sous-privilégiés. Ils ne sont pas des hommes d’affaires au vrai sens du terme ; ils en sont seulement les ombres ; ils sont les résidus des impérialistes. Ils manquent de pouvoir financier et d’autorité économique sur lesquels reste normalement la force d’un homme d’affaires. Les avantages qu’ils prétendent détenir ne sont qu’un mirage ou une simple illusion. Comme l’homme qui est sexuellement impuissant (qui donne l’impression d’être d’une virilité extraordinaire), il se dévoile et révèle la véritable identité, quand on le met à l’épreuve. Il sera donc facile de savoir qu’il se barricade derrière une façade de compétence sécurisante. C’est là, la véritable identité de la bourgeoisie indigène dont le représentant est El Hadji. Cette bourgeoisie se compose,en effet, de voleurs, d’accapareurs,d’arrivistes, de nouveaux-riches, d’opportunistes et d’élite nantie donc chaque membre se comporte comme l’homme dont le sexe, c’est-à-dire le moi est atteint du « xala ».


Date: 2015-12-24; view: 959


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III. LE « XALA » : PUNITION DU BOURGEOIS EXPLOITEUR | V. CONCLUSION : LE « XALA » : SYMBOLE POLIVALENT DE L’IMPUISSANCE
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