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I. « XALA » : TITRE-IMAGE A CARACTERE TELESCOPIQUE

Ethiopiques n°48-49 revue trimestrielle de culture négro-africaine Hommage à Léopold Sédar Senghor Spécial les métiers du livres 1e et 2e trimestre 1988 - volume 5 n°1-2

Auteur : S. Ade OJO

Xala, le cinquième roman de Sembène Ousmane, publié en 1973, porté déjà à l’écran, est un roman énigmatique provoquant des réactions diverses auprès de ses nombreux lecteurs : scabreux et ordurier pour les puritains religieux, répugnant et préjudiciable pour les nouveaux-riches et les arrivistes, insultant et condamnable pour les bourgeois indigènes africains, bienfaisant et réconfortant pour les lecteurs prolétaires... Comme toute œuvre richement pourvue de vertus, le roman n’a pas encore dévoilé tous ses mystères et il ne le fera peut-être jamais. Nous espérons, cependant, pouvoir contribuer par cet article à la mise en lumière de l’inépuisable richesse de l’œuvre, en analysant le phénomène du « xala », qui traverse le roman comme un refrain et qui s’y révèle comme un leitmotiv, atteignant le paysage humain, l’espace géographique et matériel, l’économie générale, la résonance politico-économique et les effets connotatifs de l’œuvre ainsi que son atmosphère métaphysique. Ce mot unique de « xala », étranger au français, apparaît en titre sur la couverture du roman, lui attribuant ainsi un cachet d’autorité et de contrôle. Du moment où on le retrouve dans l’œuvre (à la page 45) accompagné d’un article défini, il revient à la bouche de chaque personnage comme une préoccupation majeure et à un rythme régulier [1]. C’est donc le mot-roi du roman et son noyau générateur. Pourtant, la véritable force du terme réside dans son conditionnement culturel. Que sa prononciation n’obéisse pas aux règles phonétiques du français et qu’il s’agisse d’un phénomène n’ayant aucun conditionnement socio-culturel français se confirme dans une note infrapaginale (à la page 45) qui indique qu’il se prononce « hâla ». Mot étrange, diront les non Sénégalais ; mot barbare, diront les puristes. Mot africain, certes, et plus particulièrement wolof (p. 73). Pour le comprendre donc et pénétrer au cœur de l’œuvre, il faut s’appuyer sur des coordonnées fournies par l’environnement africain.

I. « XALA » : TITRE-IMAGE A CARACTERE TELESCOPIQUE

Avant de prendre contact avec la véritable signification du terme « xala » et de capter son caractère télescopique, il faut tout d’abord reconnaître la prédilection de Sembène Ousmane pour des titres évocateurs, tirés particulièrement du parler africain. Alors que bien des auteurs optent pour le nom de personnages principaux pour baptiser leurs œuvres [2] et que d’autres préfèrent des substantifs (qualifiés parfois d’adjectifs) [3], Ousmane, pour sa part, opte très souvent pour une esthétique différente. Il aime les titres-images, qui portent des significations un peu plus rebondissantes que les titres empruntés au bagage langagier européen ou au monde culturel occidental.



C’est dans les Bouts de Bois de Dieu que nous avons rencontré pour la première fois un tel titre-image qui trouve son explication dans la superstition africaine. Dans une note infrapaginale dans l’oeuvre, notre auteur informe ses lecteurs du motif de son choix en disant :
« Une superstition veut que l’on compte des bouts de bois à la place des êtres vivants pour ne pas abréger le cours de leur vie ». [4], Ousmane donne à ses livres des titres images contenant les idées profondes des œuvres.
Cette esthétique semble d’ailleurs être dans la tradition de la culture africaine qui s’explique presque toujours par une pensée symbolique et analogique. Cela fait du monde africain un système sémiologique. C’est l’idée que Léopold Sédar Senghor souligne dans la « Postface » des Ethiopiques quand il dit :
« ... presque tous les mots sont descriptifs (dans les langues négro-africaines), qu’il s’agisse de phonétique, de morphologie ou de sémantique. Le mot (chez les Négro-Africains) est plus qu’image ; il est image analogique sans même le secours de la métaphore ou de la comparaison. Il suffit de nommer la chose pour qu’apparaisse le sens sous le signe. Car tout est signe et sens en même temps chez les Négro-Africains ». [5]
Et ce premier agrégé de grammaire africain ajoute encore, ailleurs :
« L’objet ne signifie pas ce qu’il représente, mais ce qu’il suggère, ce qu’il créé [...] Toute représentation (y) est image, et l’image est non pas signe, mais sens, c’est-à-dire symbole, idéogramme.
N’est-ce pas exactement ce même processus qu’explique Moréas, le premier théoricien du symbolisme quand, présentant la méthodologie stylistique de cette école littéraire, dans Le Manifeste du Symbolisme (1886), il met l’accent sur « Les pléonasmes significatifs, les mystérieuses ellipses, l’anacoluthe en suspens, trop hardi et multiforme »,
qui caractérisent les écrits des symbolistes ? Cette méthode symboliste qui se réalise par une esthétique de suggestion [6] et qui est « Le point de rencontre entre un objet et une idée, entre une présence et une absence », fait que le mot-image, c’est-à-dire le mot symbolique, fait partie du contexte, thématique de l’œuvre où il apparaît.
Cela devient particulièrement frappant quand le titre et le symbole ne font qu’un, puisque le soutien que le titre accorde à l’œuvre se double d’un soutien supplémentaire que le symbole procure à l’œuvre. Ainsi un tel titre-image exprime-t-elle fond de l’œuvre à la même façon dont l’arbre exprime le sol où il est enraciné. C’est précisément ce qui se voit dans Xala.
Alors que dans Les Bouts de Bois de Dieu, le titre-image qui est censé résumer le message de l’œuvre, comme la semence contient les fleurs, ne pénètre guère dans le sens profond et total de l’œuvre et ne fait que définir un aspect de la pensée analogue qui renvoie aux agents d’action du roman, la situation est tout autre dans Xala.
Ce titre-image qui est celui du « xala » renvoie aux idées représentant la totalité des thèmes (et donc du message) de Xala. En effet, ce titre-image emprunte à l’art nègre une caractéristique qui consiste à « schématiser, résumer,... styliser » [7]. Comme dans l’art nègre, l’image qu’évoque « xala » n’est pas
« une image-équation, mais une image-analogique où le mot suggère beaucoup plus qu’il ne dit » [8]. Ainsi, le « xala » devient-il un symbole capable d’enfanter des correspondances dont les résonances sont fécondes et profondes.
C’est pour ces raisons que l’on peut affirmer que Xala est un roman symboliste [9] par excellence. En tant que tel, il est pourvu, comme tout roman symboliste, d’une
« vague et multiple signification ou référence. Le point de vue de l’auteur (y) est délibérément ambigu, et ceci fréquemment, puisqu’il veut suggérer beaucoup qu’il ne dit [...]. L’idée centrale (de tout roman symboliste authentique) peut s’interpréter de mille manières différentes, car l’oeuvre se base sur (une image-multiple) qui, à la différence de l’allégorie, n’a pas simplement deux, mais un nombre illimité de significations. Ces significations ont aussi des niveaux différents, des ambiguïtés et des paradoxes. Cela implique toujours que l’œuvre devra être relue plusieurs fois avant qu’on puisse identifier ses nombreuses significations cachées [10].
Contrairement à ce que nous présentent les romans allégoriques (comme Le Voyage du Pèlerin ou Les Voyages de Samuel Gulliver) dans lesquels le message unique de l’auteur est présenté sous une forme métaphorique ou parabolique, à l’aide d’une histoire racontée par l’auteur, Xala recouvre la pensée symbolique de Sembène Ousmane au dessous de laquelle on découvrira plusieurs idées sous-jacentes, grâce à des relectures répétées. Ainsi, pour saisir l’unité de Xala et identifier les images subsidiaires qui se détachent du noyau générateur du concept de « xala », il faut (au dire de Gérard Genette, parlant de la science de la lecture)
« parcourir sans cesse le livre dans tous ses sens, toutes les directions, toutes ses dimensions. C’est ce genre de contact intellectuel qui permettra de saisir le fond du discours qui consiste apparemment en une chaîne de signifiants présents « tenant lieu » d’une chaîne de signifiés absents » [11].
C’est précisément ce que nous avons fait. Ainsi avons-nous découvert plusieurs niveaux de significations du « xala ». Identifions d’abord sa signification première.


Date: 2015-12-24; view: 863


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Thema 3. Substantive | II. LE NOYAU GENERATEUR : LE « XALA » COMME PORTEUR DE MALHEURS PATHOLOGIQUES
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