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Pendant des années

Pendant des années j'ai cru que cette femme était en dehors de ma vie, pas très loin peut-être mais en dehors.

Qu'elle n'existait plus, qu'elle vivait très loin, qu'elle n'avait jamais été aussi belle que ça, qu'elle appartenait au monde du passé. Le monde de quand j'étais jeune et romantique, quand je croyais que l'amour durait toujours et que rien n'était plus grand que mon amour pour elle. Toutes ces bêtises.

 

J'avais vingt-six ans et j'étais sur le quai d'une gare. Je ne comprenais pas pourquoi elle pleurait tant. Je la serrais dans mes bras et m'engouffrais dans son cou. Je croyais qu'elle était malheureuse parce que je partais et qu'elle me laissait voir sa détresse. Et puis quelques semaines plus tard, après avoir piétiné mon orgueil comme un malpropre au téléphone ou en gémissant dans des lettres trop longues, j'ai fini par comprendre.

Que ce jour-là elle flanchait parce qu'elle savait qu'elle regardait mon visage pour la dernière fois, que c'était sur moi qu'elle pleurait, sur ma dépouille.

Et que la curée ne lui faisait pas plaisir.

 

Pendant des mois, je me suis cogné partout.

Je ne faisais attention à rien et je me suis cogné partout. Plus j'avais mal, plus je me cognais.

J'ai été un garçon délabré admirable : tous ces jours vides où j'ai donné le change. En me levant, en travaillant jusqu'à l'abrutissement, en me nourrissant sans faire d'histoires, en buvant des bières avec mes collègues et en continuant de rire grassement avec mes frères alors que la moindre pichenette du moindre d'entre eux aurait suffi à me briser net.

Mais je me trompe. Ce n'était pas de la vaillance, c'était de la connerie : parce que je croyais qu'elle reviendrait. J'y croyais vraiment.

 

Je n'avais rien vu venir et mon coeur s'était complètement déglingué sur un quai de gare un dimanche soir. Je n'arrivais pas à me résoudre et je me cognais dans tout et n'importe quoi.

Les années qui ont suivi ne m'ont fait aucun effet. Certains jours je me surprenais à penser :

– Tiens c'est bizarre… je crois que je n'ai pas pensé à elle hier… Et au lieu de m'en féliciter, je me demandais comment c'était possible, comment j'avais reussi à vivre une journée entière sans penser à elle. Son prénom surtout m'obsédait. Et deux ou trois images d'elle très précises. Toujours les mêmes.

C'est vrai. J'ai posé les pieds par terre le matin, je me suis nourri, je me suis lavé, j'ai enfilé des vêtements sur moi et j'ai travaillé.

Quelquefois j'ai vu le corps nu de quelques filles. Quelquefois mais sans douceur. Émotions : néant.



 

Et puis enfin, quand même, j'ai eu ma chance. Alors que ça m'était devenu égal.

Une autre femme m'a rencontré. Une femme trés différente est tombée amoureuse de moi, qui portait un autre prénom et qui avait décidé de faire de moi un homme entier. Sans me demander mon avis, elle m'a remis d'aplomb et m'a épousé moins d'un an après notre premier baiser, échangé dans un ascenseur pendant un congrès.

Une femme inespérée. Il faut dire que j'avais si peur. Je n'y croyais plus et j'ai dû la blesser souvent. Je caressais son ventre et mon esprit divaguait. Je soulevais ses cheveux et j'y cherchais une autre odeur. Elle ne m'a jamais rien dit. Elle savait que ma vie de fantôme ne ferait pas long feu. À cause de son rire, à cause de sa peau et à cause de tout ce fatras d'amour élémentaire et désintéressé qu'elle avait à me donner. Elle avait raison. Ma vie de fantôme m'a laissé vivre heureux.

 

Elle est dans la pièce d'à côté en ce moment. Elle est endormie.

 

Professionnellement, j'ai réussi mieux que je ne l'aurais imaginé. Il faut croire que l'âpreté paye, que j'étais au bon endroit au bon moment, que j'ai su prendre certaines décisions, que… Je ne sais pas.

En tout cas je vois bien dans l'oeil étonné autant que soupçonneux de mes anciens copains de promo que tout cela les déconcerte : une jolie femme, une jolie carte de visite et des chemises coupées sur mesure… avec si peu de moyens au départ. Ça laisse perplexe.

À l'époque j'étais surtout celui qui ne pensait qu'aux filles, enfin… qu'à cette fille, celui qui écrivait des lettres pendant les cours magistraux et qui ne regardait pas les culs ni les seins ni les yeux ni rien d'autre aux terrasses des cafés. Celui qui prenait le premier train pour Paris tous les vendredis et qui revenait triste et les yeux cernés le lundi matin en maudissant les distances et le zèle des controleurs. Plutôt Arlequin que golden boy, c'est vrai.

Comme je l'aimais, je négligeais mes études et comme je foirais mes études, entre autres flottements, elle m'a abandonné. Elle devait penser que l'avenir était trop… incertain avec un type dans mon genre.

Quand je lis mes relevés de banque aujourd'hui, je vois bien que la vie est une drôle de farceuse.

 

Donc j'ai vécu comme si de rien n'était.

Bien sûr, en souriant, il nous arrivait de parler entre nous, ma femme et moi ou avec des amis, de nos années d'étudiants, des films et des livres qui nous avaient façonnés et de nos amours de jeunesse, des visages négligés en cours de route et qui nous venaient à l'esprit par hasard. Du prix des cafés et de tout ce genre de nostalgie… Cette partie de notre vie posée sur une étagère. Nous y faisions un peu de poussière. Mais je ne m'appesantissais jamais. Oh non.

À une époque, je me souviens, je passais tous les jours devant un panneau qui indiquait le nom de la ville où je savais qu'elle vivait, avec le nombre de kilomètres.

Tous les matins, en me rendant à mon bureau et tous les soirs en revenant, je jetais un coup d'oeil à ce panneau. J'y jetais un coup d'oeil, c'est tout. Je ne l'ai jamais suivie. J'y ai pensé mais l'idée même de mettre mon clignotant c'était comme de cracher sur ma femme.

Pourtant j'y jetais un coup d'oeil, c'est vrai.

Et puis j'ai changé de boulot. Plus de panneau.

 

Mais il y avait toujours d'autres misons, d'autres prétextes. Toujours. Combien de fois me suis-je retourné dans la rue, le coeur en vrille parce que j'avais cru apercevoir un bout de silhouette qui… ou une voix que… ou une chevelure comme… ?

Combien de fois ?

Je croyais que je n'y pensais plus mais il me suffisait d'être un moment seul dans un endroit à peu près calme pour la laisser venir.

À la terrasse d'un restaurant un jour, c'était il y a moins de six mois, alors que le client que je devais inviter n'arrivait pas, j'ai été la rechercher dans mes souvenirs. J'ai desserré mon col et j'ai envoyé le garçon m'acheter un paquet de cigarettes. Ces cigarettes fortes et âcres que je fumais à l'époque. J'ai allongé mes jambes et refusé qu'on débarrasse le couvert d'en face. J'ai commandé un bon vin, un Gruaud-Larose je crois… et tandis que je fumais les yeux mi-clos en savourant un petit rayon de soleil, je la regardais s'approcher.

Je la regardais et je la regardais encore. Je ne cessais de penser à elle et à ce que nous faisions quand nous étions ensemble et quand nous dormions dans le même lit.

 

Jamais je ne me suis demandé si je l'aimais toujours ou quels étaient mes exacts sentiments à son égard. Ça n'aurait servi à rien. Mais j'aimais la retrouver au détour d'un moment de solitude. Je dois le dire parce que c'est la vérité.

Heureusement pour moi, ma vie ne me laissait pas beaucoup de moments de solitude. Il fallait vraiment qu'un client désolé m'oublie complètement ou que je sois seul, la nuit, dans ma voiture et sans souci pour y parvenir. Autant dire, presque jamais.

 

Et même si j'avais envie de me laisser aller à un gros coup de blues, de nostalgie, de prendre un ton badin par exemple et d'essayer de retrouver son numéro de téléphone par le minitel ou une autre ânerie de ce genre, je sais maintenant que c'est hors de question car depuis quelques années, j'ai de vrais garde-fous. Les plus farouches : mes enfants.

Je suis fou de mes enfants. J'en ai trois, une grande fille de sept ans, Marie, une autre qui en aura bientôt quatre, Joséphine, et Yvan, le petit dernier qui n'a pas deux ans. D'ailleurs c'est moi qui ai supplié ma femme de m'en faire un troisième, je me souviens qu'elle parlait de fatigue et d'avenir mais j'aime tellement les bébés, leur charabia et leurs câlins mouillés… Allez… je lui disais, fais-moi encore un enfant. Elle n'a pas résisté longtemps et rien que pour ça, je sais qu'elle est ma seule amie et que je ne m'en éloignerai pas. Même si je côtoie une ombre tenace.

 

Mes enfants sont la meilleure chose qui me soit jamais arrivée. Une vieille histoire d'amour ne vaut rien à côté de ça. Rien du tout.

 

Voila à peu près comment j'ai vécu et puis la semaine dernière, elle a dit son prénom au téléphone:

– C'est Hélèna.

– Hélèna ?

– Je ne te dérange pas ?

J'avais mon petit garçon sur les genoux qui essayait d'attraper le combiné en couinant.

– Ben…

– C'est ton enfant ?

– Oui.

– Il a quel âge ?

– … Pourquoi tu m'appelles comme ça ?

– Il a quel âge ?

– Vingt mois.

– Je t'appelle parce que je voudrais te voir.

– Tu veux me voir ?

– Oui.

– Qu'est-ce que c'est que ces conneries ?

– ...

– Juste comme ça. Tu t'es dit tiens !... J'ai envie de le revoir…

– Presque comme ça.

– Pourquoi ?... Je veux dire, pourquoi maintenant ?... Après toutes ces ann…

– … Douze ans. Ça fait douze ans.

– Bon. Et alors ?... Qu'est-ce qui se passe ? Tu te réveilles ? Qu'est-ce que tu veux ? Tu veux savoir l'âge de mes enfants ou si j'ai perdu mes cheveux ou… ou voir l'effet que tu me ferais ou… ou c'est juste comme ça, pour parler du bon vieux temps ?!

– Écoute, je ne pensais pas que tu allais le prendre comme ça, je vais raccrocher. Je suis désolée. Je…

– Comment tu as retrouvé mon numero ?

– Par ton père.

– Quoi !

– J'ai appelé ton père tout à l'heure et je lui ai demandé ton numéro, c'est tout.

– Il s'est rappelé de toi ?

– Non. Enfin… je ne lui ai pas dit qui j'étais.

 

J'ai posé mon fils par terre qui est parti rejoindre ses soeurs dans leur chambre. Ma femme n'était pas là.

– Attends, ne quitte pas… « Marie ! Est-ce que tu peux lui remettre ses chaussons, s'il te plaît ? » ... Allô? Tu es là ?

– Oui.

– Alors ?…

– Alors quoi ?…

– Tu veux qu'on se revoie ?

– Oui. Enfin pas longtemps. Juste prendre un verre ou marcher un petit moment, tu vois…

– Pourquoi. À quoi ça servirait ?

– C'est juste que j'ai envie de te revoir. De parler un petit peu avec toi.

– Hélèna ?

– Oui.

– Pourquoi tu fais ça ?

– Pourquoi ?

– Oui pourquoi tu me rappelles ? Pourquoi si tard ? Pourquoi maintenant ? Tu ne t'es même pas demandé si tu risquais pas de mettre le merdier dans ma vie… Tu fais mon numéro et tu…

– Écoute Pierre. Je vais mourir.

– ...

– Je t'appelle maintenant parce que je vais mourir. Je ne sais pas exactement quand mais dans pas très longtemps.

J'éloignais le téléphone de mon visage comme pour reprendre un peu d'air et j'essayais de me relever mais sans succès.

– C'est pas vrai.

– Si c'est vrai.

– Qu'est-ce que tu as ?

– Oh… c'est compliqué. Pour résumer on pourrait dire que c'est mon sang qui… enfin je ne sais plus trop ce qu'il a maintenant parce que les diagnostics s'embrouillent mais enfin c'est un drôle de truc quoi.

Je lui ai dit :

– Tu es sûre ?

– Attends ? Mais qu'est-ce que tu crois ? Que je te raconte des craques bien mélo pour avoir une raison de t'appeler ?!!

– Excuse-moi.

– Je t'en prie.

– Ils se trompent peut-être.

– Oui… Peut-être.

– Non ?

– Non. Je ne crois pas.

– Comment c'est possible ?

– Je ne sais pas.

– Tu souffres ?

– Couci-couca.

– Tu souffres ?

– Un petit peu en fait.

– Tu veux me revoir une dernière fois ?

– Oui. On peut dire ça comme ça.

– ...

– ...

– Tu n'as pas peur d'être déçue ? Tu ne préfères pas rester sur une… bonne image ?

– Une image de quand tu étais jeune et beau ? Je l'entendais sourire.

– Exactement. Quand j'étais jeune et beau et que je n'avais pas encore de cheveux blancs…

– Tu as des cheveux blancs ?!

– J'en ai cinq je crois.

– Ah ! ça va, tu m'as fait peur ! Tu as raison. Je ne sais pas si c'est une bonne idée mais j'y pense depuis un bout de temps… et je me disais que c'était vraiment une chose qui me ferait plaisir… Alors comme il n'y a plus beaucoup de choses qui me font plaisir ces derniers temps… je… je t'ai appelé.

– Tu y penses depuis combien de temps ?

– Douze ans ! Non… Je plaisante. J'y pense depuis quelques mois. Depuis mon dernier séjour à l'hopital pour être exacte.

– Tu veux me revoir, tu crois ?

– Oui.

– Quand ?

– Quand tu veux. Quand tu peux.

– Tu vis où ?

– Toujours pareil. À cent kilomètres de chez toi je crois.

– Hélèna ?

– Oui ?

– Non rien.

– Tu as raison. Rien. C'est comme ça. C'est la vie et je ne t'appelle pas pour détricoter le passé ou mettre Paris dans une bouteille tu sais. Je… Je t'appelle parce que j'ai envie de revoir ton visage. C'est tout. C'est comme les gens qui retournent dans le village où ils ont passé leur enfance ou dans la maison de leurs parents… ou vers n'importe quel endroit qui a marqué leur vie.

– C'est comme un pèlerinage quoi.

Je me rendais compte que je n'avais plus la même voix.

– Oui exactement. C'est comme un pèlerinage. À croire que ton visage est un endroit qui a marqué ma vie.

– C'est toujours triste les pèlerinages.

– Pourquoi tu dis ça ?! Tu en as jamais fait !?

– Non. Si. À Lourdes…

– Oh ben alors oui… alors là, Lourdes, évidemment… Elle se forçait à prendre un ton moqueur.

 

J'entendais les petits qui se chamaillaient et je n'avais plus du tout envie de parler. J'avais envie de raccrocher. J'ai fini par lâcher :

– Quand ?

– C'est toi qui me dis.

– Demain ?

– Si tu veux.

– Où ?

– À mi-chemin entre nos deux villes. À Sully par exemple…

– Tu peux conduire ?

– Oui. Je peux conduire.

– Qu'est-ce qu'il y a à Sully ?

– Ben pas grand-chose j'imagine… on verra bien. On n'a qu'à s'attendre devant la mairie…

– À l'heure du déjeuner ?

– Oh non. C'est pas très rigolo de manger avec moi tu sais… Elle se forçait à rire encore.

– … Après l'heure du déjeuner ça serait mieux.

 

Il n'a pas pu s'endormir cette nuit-là. Il a regardé le plafond en ouvrant grand ses yeux. Il voulait les garder bien secs. Ne pas pleurer.

Ce n'était pas à cause de sa femme. Il avait peur de se tromper, de pleurer sur la mort de sa vie intérieure à lui plutôt que sur sa mort à elle. Il savait que s'il commençait, il ne pourrait plus s'arrêter.

Ne pas ouvrir les vannes. Surtout pas. Parce que depuis tant d'années maintenant qu'il paradait et qu'il grognait sur la faiblesse des gens. Des autres. De ceux qui ne savent pas ce qu'ils veulent et qui traînent toute leur médiocrité après eux.

Tant d'années qu'il regardait avec une tendresse de merde le temps de sa jeunesse. Toujours, quand il pensait à elle, il relativisait, il faisait semblant d'en sourire ou d'y comprendre quelque chose. Alors qu'il n'avait jamais rien compris.

Il sait parfaitement qu'il n'a aime qu'elle et qu'il n'a jamais été aimé que par elle. Qu'elle a été son seul amour et que rien ne pourra changer tout ça. Qu'elle l'a laissé tomber comme un truc encombrant et inutile. Qu'elle ne lui a jamais tendu la main ou écrit un petit mot pour lui dire de se relever. Pour lui avouer qu'elle n'était pas si bien que ça. Qu'il se trompait. Qu'il valait mieux qu'elle. Ou bien qu'elle avait fait l'erreur de sa vie et qu'elle l'avait regretté en secret. Il savait combien elle était orgueilleuse. Lui dire que pendant douze ans elle avait morflé elle aussi et que maintenant elle allait mourir.

 

Il ne voulait pas pleurer et pour s'en empêcher, il se racontait n'importe quoi. Oui, c'est ça. N'importe quoi. Sa femme en se retournant, a posé sa main sur son ventre et aussitôt il a regretté tous ces délires. Bien sûr qu'il a aimé et été aimé par une autre, bien sûr. Il regarde ce visage près de lui et il prend sa main pour l'embrasser. Elle sourit dans son sommeil.

Non il n'a pas à gémir. Il n'a pas à se mentir. La passion romantique, hé ho, ça va un moment. Mais maintenant basta, hein. En plus demain après-midi ça ne l'arrange pas trop à cause de son rendez-vous avec les gars de Sygma II. Il va être obligé de mettre Marcheron sur le coup et ça vraiment, ça ne l'arrange pas parce qu'avec Marcheron…

Il n'a pas pu s'endormir cette nuit-là. Il a pensé à plein de choses.

C'est comme ça qu'il pourrait expliquer son insomnie, sauf que sa lampe éclaire mal et qu'il n'y voit rien et que, comme au temps des gros chagrins, il se cogne partout.

 

Elle n'a pas pu s'endormir cette nuit-là mais elle a l'habitude. Elle ne dort presque plus. C'est parce qu'elle ne se fatigue plus assez dans la journée. C'est la théorie du médecin. Ses fils sont chez leur père et elle ne fait que pleurer.

Pleurer. Pleurer. Pleurer.

Elle se brise, elle lâche du lest, elle se laisse déborder. Elle s'en fout, elle pense que maintenant ça va bien, qu'il faudrait passer à autre chose et dégager la piste parce que l'autre a beau dire qu'elle ne se fatigue pas, il n'y comprend rien avec sa blouse proprette et ses mots compliqués. En vérité elle est épuisée. Épuisée.

Elle pleure parce que, enfin, elle a rappelé Pierre. Elle s'est toujours débrouillée pour connaître son numéro de téléphone et plusieurs fois, ça lui est arrivé de composer les dix chiffres qui la séparaient de lui, d'entendre sa voix et de raccrocher précipitamment. Une fois même, elle l'a suivi pendant toute une journée parce qu'elle voulait savoir où il vivait et quelle était sa voiture, où il travaillait, comment il s'habillait et s'il avait l'air soucieux. Elle a suivi sa femme aussi. Elle avait été obligée de reconnaître qu'elle était jolie et gaie et qu'elle avait des enfants de lui.

 

Elle pleure parce que son coeur s'est remis à battre aujourd'hui alors qu'elle n'y croyait plus depuis longtemps: Elle a eu une vie plus dure que ce qu'elle aurait imaginé. Elle a surtout connu la solitude. Elle croyait que c'était trop tard maintenant pour sentir quelque chose, qu'elle avait mangé tout son pain blanc. Surtout depuis qu'Ils se sont excités un jour sur une prise de sang, un examen de routine passé par hasard parce qu'elle se sentait patraque. Tous, les petits docteurs et les grands professeurs, avaient un avis sur ce truc-là mais plus grand chose à dire quand il s'était agi de l'en sortir.

 

Elle pleure pour tellement de raisons qu'elle n'a pas envie d'y penser. C'est toute sa vie qui lui revient dans la figure. Alors, pour se protéger un peu, elle se dit qu'elle pleure pour le plaisir de pleurer et c'est tout.

 

Elle était déjà là quand je suis arrivé et elle m'a souri. Elle m'a dit c'est sûrement la première fois que je ne te fais pas attendre, tu vois il ne fallait pas désespérer et moi je lui ai repondu que je n'avais pas désespéré.

Nous ne nous sommes pas embrassés. Je lui ai dit tu n'as pas changé. C'est idiot comme remarque mais c'était ce que je pensais sauf que je la trouvais encore plus belle. Elle était très pâle et on voyait toutes ses petites veines bleues autour de ses yeux, sur ses paupières et sur ses tempes. Elle avait maigri et son visage était plus creux qu'avant. Elle avait l'air plus résignée alors que je me souviens de l'impression de vif-argent qu'elle donnait avant. Elle ne cessait de me regarder. Elle voulait que je lui parle, elle voulait que je me taise. Elle me souriait toujours. Elle voulait me revoir et moi je ne savais pas comment bouger mes mains ni si je pouvais fumer ou toucher son bras.

 

C'était une ville sinistre. Nous avons marché jusqu'au jardin public un peu plus loin.

Nous nous sommes raconté nos vies. C'était assez décousu. Nous gardions nos secrets. Elle cherchait ses mots. À un moment, elle m'a demandé la différence entre désarroi et désoeuvrement. Je ne savais plus. Elle a fait un geste pour me signifier que, de toute façon, c'était sans importance. Elle disait que tout cela l'avait rendue trop amère ou trop dure en tout cas trop différente de ce qu'elle était vraiment à l'origine.

 

Nous n'avons presque pas évoqué sa maladie sauf au moment où elle a parlé de ses enfants en disant que ce n'était pas une vie pour eux. Peu de temps avant, elle avait voulu leur faire cuire des nouilles et même ça, elle n'y etait pas arrivée à cause de la casserole d'eau qui était trop lourde à soulever et que non vraiment, ça n'etait plus une vie. Ils avaient eu plus que leur temps de chagrin à présent.

Elle m'a fait parler de ma femme et de mes enfants et de mon travail. Et même de Marcheron. Elle voulait tout savoir mais je voyais bien que la plupart du temps, elle ne m'écoutait pas.

Nous étions assis sur un banc écaillé en face d'une fontaine qui n'avait rien dû cracher depuis le jour de son inauguration. Tout était laid. Triste et laid. L'humidité commençait à tomber et nous nous tassions un peu sur nous-mêmes pour nous réchauffer.

 

Enfin elle s'est levée, il était temps pour elle d'y aller.

 

Elle m'a dit j'ai une faveur à te demander, juste une. Je voudrais te sentir. Et comme je ne répondais pas, elle m'a avoué que pendant toutes ces années elle avait eu envie de me sentir et de respirer mon odeur. Je gardais mes mains bien au fond des poches de mon manteau parce que sinon je…

Elle est allée derrière mon dos et elle s'est penchée sur mes cheveux. Elle est restée comme ça un long moment et je me sentais terriblement mal. Ensuite avec son nez, elle est allée au creux de ma nuque et tout autour de ma tête, elle a pris son temps et puis elle est descendue le long de mon cou vers le col de ma chemise. Elle inspirait et gardait, elle aussi, ses mains dans son dos. Ensuite elle a desserré ma cravate et ouvert les deux premiers boutons de ma chemise et j'ai senti le bout de ses narines toute froides contre la naissance de mes clavicules, je… je…

J'ai eu un mouvement un peu brusque. Elle s'est relevée dans mon dos et elle a posé ses deux mains bien à plat sur mes épaules. Elle m'a dit je vais m'en aller. Je voudrais que tu ne bouges pas et que tu ne te retournes pas. Je t'en supplie. Je t'en supplie.

Je n'ai pas bougé. De toute façon je n'en avais pas envie parce que je ne voulais pas qu'elle me voie avec mes yeux gonflés et ma gueule toute tordue.

J'ai attendu assez longtemps et je suis reparti vers ma voiture.

 

 

Clic-Clac

Cinq mois et demi que j'ai envie de Sarah Briot, la responsable des ventes.

Est-ce que je ne devrais pas plutôt dire : cinq mois et demi que je suis amoureux de Sarah Briot, la responsable des ventes ? Je ne sais pas.

 

Depuis tout ce temps, je ne peux pas penser à elle sans avoir une érection magnifique et comme c'est la première fois que ça m'arrive, je ne sais pas comment appeler ce sentiment.

Sarah Briot s'en doute. Non, elle n'a pas eu l'occasion de toucher mon pantalon ni de sentir quelque chose mais elle s'en doute.

Évidemment, elle ne sait pas que ça fera cinq mois et demi mardi parce qu'elle est moins attentive que moi aux chiffres (je suis expert-comptable, alors forcément…). Mais je sais qu'elle sait parce que c'est une maligne.

Elle parle aux hommes d'une façon qui me choquait avant et qui maintenant me désespère. Elle leur parle comme si elle avait des lunettes spéciales (du genre le rayon X de Superman) et qui lui permettent de voir exactement la taille du sexe de son interlocuteur.

 

La taille au repos j'entends. Alors évidemment, ça fait des drôles de rapports dans la boîte… Vous pouvez imaginer.

 

Elle vous serre la main, elle répond à vos questions, elle vous sourit, elle prend même un café avec vous dans un gobelet en plastique à la cafétéria et vous, comme un con, vous ne pensez qu'à serrer vos genoux ou à croiser vos jambes. C'est vraiment infernal.

Le pire, c'est qu'elle n'arrête pas de vous regarder dans les yeux pendant ce temps-là. Et dans les yeux uniquement.

 

Sarah Briot n'est pas belle. Elle est mignonne et ce n'est pas pareil.

Elle n'est pas très grande, elle est blonde mais pas besoin d'être un grand manitou pour voir que ce n'est pas sa vraie couleur, ce sont des mèches.

Comme toutes les filles, elle est souvent en pantalon et encore plus souvent en jeans. Ce qui est dommage.

Sarah Briot est un tout petit poil potelée. Je l'entends souvent parler de régime avec ses copines au téléphone (comme elle parle fort et que je suis dans le bureau d'à côté, j'entends tout).

Elle dit qu'elle a 4 kilos à perdre pour atteindre les 50. J'y pense tous les jours parce que je l'avais marqué sur mon sous-main pendant qu'elle parlait: « 54 !!! »

J'ai appris comme ça qu'elle avait deja essayé la méthode Montignac et « …qu'(elle) regrettait ses cent balles », qu'elle avait détaché le cahier central du Biba du mois d'avril avec toutes les recettes spécial minceur d'Estelle Hallyday, qu'elle avait un poster géant dans sa cuisine minuscule qui indiquait toutes les calories de tous les aliments et qu'elle avait même acheté une petite balance de cuisine pour tout peser façon Weight Watchers…

Elle en parle souvent avec sa copine Marie qui est grande et maigre à ce que j'ai pu comprendre. (Entre nous c'est idiot parce que je vois pas ce que sa copine peut lui répondre…)

À ce niveau-là de ma description, les abrutis pourraient se demander : mais qu'est-ce qu'il trouve à cette fille ?

Ah, ah… je les arrête !!!

L'autre jour j'ai entendu Sarah Briot qui riait de bon coeur en racontant (à Marie peut-être ?) qu'elle avait fini par refiler la balance à sa mère pour qu'elle lui fasse « de bons gâteaux le dimanche » et ça la mettait vraiment de bonne humeur de raconter ça.

D'autre part, Sarah Briot n'est pas vulgaire, elle est attirante. Tout en elle n'inspire que les caresses et ce n'est pas pareil non plus.

Alors fermez-la.

 

Une semaine avant la fête des mères, je flânais dans le rayon lingerie des Galeries Lafayette pendant ma pause déjeuner. Toutes les vendeuses, une rose rouge à la boutonnière, étaient sur les dents et guettaient les papas indécis.

J'avais calé ma serviette sous mon bras et je jouais à si-j'étais-marié-à-Sarah-Briot-qu'est-ce-que-je-lui-achèterais ?…

Lou, Passionnata, Simone Pérèle, Lejaby, Aubade, la tête me tournait.

Certains trucs, je les trouvais trop coquins (c'était la fête des mères quand même), d'autres, je n'aimais pas la couleur ou pas la vendeuse (le fond de teint je veux bien mais quand même, il y a des limites).

Sans parler de tous les modèles que je ne comprenais pas.

 

Je me voyais mal en train de dégrafer ces tout petits boutons-pression microscopiques dans le feu de l'action et je n'arrivais pas à comprendre le mode d'emploi des porte-jarretelles (pour bien faire, est-ce qu'il faut les laisser ou les enlever ?).

J'avais chaud.

 

Finalement; j'ai trouvé, pour la future mère de mes enfants, un ensemble slip et soutien-gorge en soie gris très pâle de chez Christian Dior. La classe.

 

– Quelle taille de soutien-gorge fait madâme ? J'ai posé ma serviette entre mes pieds.

– À peu près ça… lui dis-je, incurvant mes mains à quinze centimètres de ma poitrine.

– Vous n'avez aucune idée ? dit la vendeuse un peu sèchement. Combien elle mesure ?

– Ben, elle m'arrive à peu près là… répondis-je en montrant mon épaule.

– Je vois (moue consternée)… Écoutez, je vais vous donner un 90 C, il est possible que ce soit trop grand mais la cliente pourra venir le changer sans problème. Vous gardez bien le ticket de caisse, hein ?

– Merci. Très bien, fis-je sur le ton du type qui emmène ses gosses en forêt tous les dimanches sans oublier les gourdes et les k-ways.

– Et pour le slip ? Je vous mets le modèle classique ou le tanga ? Notez j'ai aussi le string mais je ne crois pas que ce soit ce que vous cherchez…

De quoi tu te mèles madame Micheline des Galeries Lafayette ?

On voit que tu ne connais pas LA Sarah Briot de chez Chopard… Minont. Celle qui laisse toujours voir un bout de son nombril et qui rentre dans le bureau des autres sans frapper.

Mais quand elle m'a montré le modèle, j'ai flanché. Non, ce n'était vraiment pas possible de mettre un truc comme ça. À la limite, c'était presque un instrument de torture. J'ai pris le tanga qui « … cette année a tout du brésilien mais moins échancré sur les hanches, comme vous pouvez le voir vous-même. Je vous fais un paquet-cadeau monsieur ? »

Un tanga quoi.

 

Ouf.

J'ai fourré le petit paquet rose entre deux dossiers et mon plan de Paris et je suis retourné devant l'écran de mon ordinateur. Tu parles d'une pause.

Au moins quand il y aura les gosses, on trouvera des trucs plus faciles à choisir. Il faudra que je leur dise : « Non, les enfants, pas un gaufrier… voyons… »

 

C'est Mercier, mon collègue de l'exportation, qui m'a dit un jour :

– Elle te plaît bien, hein ?

On était chez Mario en train de compter nos tickets-restaurant et ce crétin voulait me la jouer copains de régiment et vas-y dis-moi tout que je te tape dans les côtes.

– Tu me diras, t'as bon gout hein ! Je n'avais pas envie de lui parler. Mais alors pas du tout.

– Il parait qu'elle est bonne, hein… (gros clin d'oeil)

J'en secouais la tête de désapprobation.

– C'est Dujoignot qui me l'a dit…

– Dujoignot est sorti avec elle ! J'étais perdu dans mes comptes.

– Nan mais il a appris des trucs par Movard, parce que Movard il l'a eue lui, et je peux te dire que…

Le voilà qui secoue ses doigts dans l'air comme pour les essorer en faisant le petit O de cOnnerie avec sa bouche.

– … Ouais une chaude hein…, la Briot, ça on peut dire qu'elle a pas froid aux yeux hein… Des trucs, je pourrais même pas te les raconter…

– Ne raconte pas. C'est qui ce Movard ?

– Il était au service publicité mais il est parti avant ton arrivée. On était une structure trop petite pour lui alors tu vois…

– Je vois.

Pauvre Mercier. Il ne s'en remet pas. Il doit penser à tout un tas de positions sexuelles.

Pauvre Mercier. Tu sais que mes soeurs t'appellent Merdechié et qu'elles pouffent encore en pensant à ta Ford Taurus.

Pauvre Mercier qui a essayé de baratiner Myriam alors qu'il a une chevalière en or avec ses initiales en surimpression.

Pauvre Mercier. Qui espère encore après les filles intelligentes et qui va à ses premiers rendez-vous avec son portable dans une housse en plastique accroché à la ceinture et son autoradio sous le bras.

Pauvre Mercier. Si tu savais comment mes soeurs parlent de toi… quand elles en parlent.

 

On ne peut jamais prevoir. Ni comment les choses vont se dérouler, ni pourquoi des trucs tout simples prennent soudain des proportions démentes. Là, par exemple, ma vie a changé d'un coup à cause de cent cinquante grammes de soie grise.

 

Depuis cinq ans et bientôt huit mois j'habite avec mes soeurs un appartement de 110 m2 près du métro Convention.

Au début, j'habitais juste avec ma soeur Fanny. C'elle qui a quatre ans de moins que moi et qui est étudiante en médecine à la fac de Paris V. C'était une idée de nos parents pour faire des économies et pour être sûr que la petite ne serait pas perdue dans Paris, elle qui n'a connu que Tulle, son lycée, ses cafés et ses mobylettes bricolées.

Je m'entends bien avec Fanny parce qu'elle ne parle pas beaucoup. Et qu'elle est toujours d'accord pour tout.

Par exemple si c'est sa semaine de cuisiner et si je rapporte, disons une sole, parce que j'en ai eu envie, elle n'est pas du genre à gémir que je lui perturbe tous ses plans. Elle s'adapte.

Ce n'est pas exactement pareil avec Myriam.

Myriam, c'est l'aînée. On a même pas un an de différence mais vous nous verrez, vous ne pourriez même pas imaginer qu'on est frère et soeur. Elle parle tout le temps. Je pense même qu'elle est un peu siphonnée mais c'est normal, c'est l'Artiste de la famille…

Après les Beaux-Arts, elle a fait de la photo, des collages avec du chanvre et de la paille de fer, des clips avec des taches de peinture sur les objectifs, des trucs avec son corps, de la création d'espace avec Loulou de La Rochette (?), des manifs, de la sculpture, de la danse et j'en oublie.

 

Pour l'instant elle peint des trucs que j'ai du mal à comprendre même en plissant vachement les yeux mais d'après Myriam, j'ai LA case artistique en moins et je ne sais pas voir ce qui est beau. Bon.

 

La dernière fois qu'on s'est engueulé c'est quand on est allé ensemble à l'exposition Boltanski (mais quelle idée aussi de m'emmener voir ça… franchement. Tu crois pas que j'avais l'air d'un con en train d'essayer de comprendre le sens de la visite ?).

 

Myriam est un vrai coeur d'artichaut, tous les six mois, depuis l'âge de quinze ans (ce qui doit faire à peu pres trente-huit fois si je ne m'abuse), elle nous ramène l'homme de sa vie. Le Bon, le Vrai, le Mariage en blanc, le Ça y Est Cette Fois C'est du Solide, le Dernier, le Sûr, le Dernier des derniers.

L'Europe à elle toute seule : Yoann était suédois, Giuseppe italien, Erick hollandais, Kiko espagnol et Laurent de Saint-Quentin-en-Yvelines. Évidemment il en reste trente-trois… Pour l'instant leur nom ne me revient pas.

 

Quand j'ai quitté mon studio pour emménager avec Fanny, Myriam était avec Kiko. Un futur réalisateur génial.

Au début, on ne la voyait pas beaucoup. De temps en temps ils s'invitaient à dîner tous les deux et Kiko apportait le vin. Toujours très bon. (Heureusement, vu qu'il n'avait que ça à foutre de la journée : choisir le vin.)

 

J'aimais bien Kiko. Il regardait ma soeur douloureusement et puis il se resservait à boire en secouant la tête. Kiko fumait de drôles de choses et le lendemain, j'étais toujours obligé de mettre du pschittpschitt au chèvrefeuille pour faire passer l'odeur.

 

Les mois ont passé, Myriam est venue de plus en plus souvent et presque toujours seule. Elle s'enfermait avec Fanny dans sa chambre et je les entendais glousser jusqu'au milieu de la nuit. Un soir où je suis entré pour leur demander si elles voulaient une tisane ou quelque chose, je les ai vues toutes les deux allongées par terre en train d'écouter leur vieille cassette de Jean-Jacques Goldman : « Puisqueueueu tu pâââârs… et gnagnagna ».

Pathétique.

Quelquefois Myriam repartait. Quelquefois non. Il y avait une brosse à dents en plus dans le verre duralex de la salle de bains et la nuit le canapé-lit était souvent déplié. Et puis un jour elle nous a dit :

– Si c'est Kiko tu dis que je suis pas là… en désignant le téléphone…

Et puis, et puis, et puis… Un matin, elle m'a demandé :

– Ça t'ennuie pas si je reste un peu avec vous ?… Bien sûr je participerai aux frais…

 

J'ai fait gaffe de ne pas casser ma biscotte parce que si y'a un truc dont j'ai horreur, c'est bien de casser mes biscottes et je lui ai dit :

– Pas de problème.

– Sympa. Merci.

– Juste un truc…

– Quoi ?

– J'aimerais mieux que tu fumes sur le balcon… Elle m'a souri, elle s'est levée et m'a fait un gros smack d'artiste.

Évidemment ma biscotte s'est cassée et je me suis dit : « ça commence… » en touillant dans mon chocolat pour récupérer des petits bouts mais j'étais content quand même.

Ça m'avait quand même tracassé toute la journée et le soir, j'ai mis les choses au point : on partage le loyer dans la mesure du possible, on s'organise pour les courses, la cuisine et le ménage, d'ailleurs les filles regardez la porte du frigidaire, il y a un calendrier avec nos semaines: toi Fanny en stabilo rose, toi Myriam en bleu et moi en jaune… Merci de prévenir quand vous dînez dehors ou quand vous ramenez des invités et à propos d'invités, si vous ramenez des hommes à la maison avec lesquels vous avez l'intention de coucher, merci de vous organiser toutes les deux pour la chambre et…

– Hé, ça va… ça va… t'excite pas… a dit Myriam.

– C'est vrai ça… a répondu sa soeur.

– Et toi ? Quand tu ramèneras une petite poule, t'es gentil de nous prévenir aussi…, hein ! Qu'on fasse disparaître nos bas-résille et nos vieilles capotes…

Et les voilà qui ricanent de plus belle. Malheur.

 

Ça se passait plutôt bien notre petite affaire. J'avoue que je n'y croyais pas trop mais j'avais tort… Quand des filles veulent que quelque chose se passe bien, ça se passe bien. Ce n'est pas plus complique que ça.

 

Quand j'y pense maintenant, je me rends compte à quel point l'arrivée de Myriam a été importante pour Fanny.

Elle, c'est tout le contraire de sa soeur, elle est romantique et fidèle. Et sensible.

Elle tombe toujours amoureuse d'un mec inaccessible qui habite à Pétaouchnok. Depuis qu'elle a quinze ans, elle guette le courrier tous les matins et sursaute à chaque sonnerie de téléphone.

Ce n'est pas une vie.

 

Il y a eu Fabrice qui habitait à Lille (de Tulle, tu vois le travail…) et qui l'a noyée sous un flot de lettres passionnées où il ne parlait que de lui-même. Quatre ans d'amour juvenile et contrarié.

Ensuite, il y a eu Paul qui est parti comme médecin sans frontières du côté du Burkina-Faso en lui laissant l'amorce d'une vocation, de l'énergie pour râler contre la lenteur de la Poste et toutes ses larmes pour pleurer… Cinq ans d'amour exotique et contrarié.

Et maintenant c'est le pompon : j'ai cru comprendre d'après leurs conversations nocturnes et leurs allusions à table que Fanny était amoureuse d'un médecin qui est déjà marié.

Je les ai entendues dans la salle de bains, Myriam lui a dit en se brossant les dents :

– Il a des enfanch's ?

J'imagine que Fanny était assise sur le couvercle des chiottes.

– Non.

– Jche préfèrch parche que… (elle crache)…, avec des enfants ça doit être trop galère tu vois. En tout cas, moi, je pourrais pas.

Fanny n'a pas répondu mais je suis sûr qu'elle était en train de mordiller ses cheveux en regardant le tapis de bain ou ses doigts de pied.

– Tu les cherches on dirait…

– ...

– Tu nous fatigues avec tes mecs à la mord-moi-le-noeud. En plus les médecins c'est tous des emmerdeurs. Après il se mettra au golf et il sera toujours fourré dans des congrès au Club Med à Marrakech ou je ne sais où et toi, tu seras toujours toute seule…

– ...

– En plus, je te dis ça… C'est au cas où ça marcherait mais qui te dit que ça va marcher ?… Parce que l'Autre, tu crois pas qu'elle va lâcher le morceau comme ça. C'est qu'elle y tient à son bronzage de Marrakech pour faire chier la femme du dentiste au Rotary.

Fanny doit sourire, ça s'entend dans sa voix. Elle murmure :

– Tu dois avoir raison…

– Mais bien sûr que j'ai raison !

 

Six mois d'amour adultère et contrarié. (Peut-être.)

– Viens donc avec moi à la Galerie Delaunay samedi soir, d'abord je connais le traiteur du vernissage et ça sera pas dégueulasse. Je suis sûre que Marc sera là… Il faut absolument que je te le présente ! Tu vas voir, c'est un mec super ! En plus il a un cul magnifique.

– Pffff, tu parles… C'est quoi comme expo ?

– J'm'en souviens plus. Tiens, tu me passes la serviette steu plaît ?

Myriam améliorait souvent l'ordinaire en rapportant des petits plats de chez Fauchon et des bonnes bouteilles. Il faut dire qu'elle avait encore trouvé une combine pas possible : pendant plusieurs semaines, elle avait potassé des tas de bouquins et de magazines sur Diana (impossible de traverser le salon sans marcher sur la défunte…) et s'était exercée à la dessiner. Et tous les week-ends, elle plantait son barda au-dessus du pont de l'Alma et croquait les pleureuses du monde entier à côté de leur idole.

Pour une somme d'argent invraisemblable (« la connerie ça se paye ») une japonaise made in tour operator peut demander à ma soeur de la dessiner à côté de Diana qui rit (à la fête de l'école d'Harry) ou Diana qui pleure (avec les sidatiques de Belfast) ou Diana qui compatit (avec les sidatiques de Liverpool) ou Diana qui boude (à la commémoration du cinquantenaire du Débarquement).

 

Je salue l'artiste et je m'occupe de chambrer les bouteilles.

 

Oui notre affaire tournait bien. Fanny et moi ne parlions guère plus mais nous riions davantage. Myriam ne se calmait pas du tout mais elle peignait. Pour mes soeurs, j'étais l'homme idéal mais pas celui qu elles voudraient épouser.

Je ne me suis jamais appesanti sur cette trouvaille, je me contentais de hausser les épaules en surveillant la porte du four.

 

Il aura donc fallu une poignée de lingerie pour faire un strike.

Finies les soirées assis au pied du canapé à regarder mes soeurs en soupirant. Finis les cocktails de Fanny made in salle-de-garde qui vous retournent la bidoche et vous remémorent tout un tas d'histoires salaces. Finies les engueulades :

– Mais souviens-toi merde ! C'est important ! Il s'appelait Lilian ou Tristan ???

– J'en sais rien. Il articulait mal ton gars.

– Mais t'est pas possible ça ! Tu l'fais exprès ou quoi ? Essaye de te rappeler !

– « Est-ce que je pourrais parler à Myriam, c'est Ltfrgzqan. » Ça te va ?

 

Et elle partait dans la cuisine.

– Tu seras gentille de pas claquer la porte du frigo…

VLAM.

– … Et de lui donner l'adresse d'une bonne orthophoniste…

– Chmmchmpauv'con.

– Tiens on dirait que ça te ferait pas de mal non plus.

VLAM.

 

Finies les réconciliations devant mon fameux poulet au Boursin (« alors ?… tu crois pas que t'es mieux ici avec nous plutôt qu'avec Ltfrgzqan dans un attrape-gogo sous vide ? »).

Finies les semaines au stabilo, fini le marché du samedi matin, finis les Gala qui traînent dans les toilettes ouverts aux pages de l'horoscope, finis les artistes de tout poil pour nous faire comprendre les chiffons de Boltanski, finies les nuits blanches, finis les polys qu'il fallait faire réciter à Fanny, fini le stress des jours de résultats, finis les regards noirs à la voisine du dessous, finies les chansons de Jeff Buckley, finis les dimanches à lire des BD allongés sur la moquette, finies les orgies de bonbons Haribo devant Sacrée soirée, fini le tube de dentifrice jamais rebouché qui sèche et qui me rend dingue.

Finie ma jeunesse.

 

On avait organisé un dîner pour fêter les examens de Fanny. Elle commençait à voir le bout du tunnel…

– Ouf ! plus que dix ans… disait-elle en souriant.

Autour de la table basse, il y avait son interne (sans alliance, le lâche), (futur golfeur à Marrakech, je maintiens), ses copines de l'hôpital dont la fameuse Laura avec laquelle mes soeurs m'avaient monté un nombre incalculable de plans plus foireux les uns que les autres sous prétexte qu'elle avait parlé de moi un jour avec des trémolos dans la voix (ah !... le coup où elles m'avaient donné rendez-vous chez la fameuse Laura pour un anniversaire surprise et que je me suis retrouvé seul toute une soirée avec cette furie à chercher ses lentilles dans sa moquette en poil de chèvre en garant mes fesses…).

Il y avait Marc (j'en profitais pour voir ce qu'était « un beau cul »… mouaif…).

Il y avait des amis de Myriam que je n'avais jamais vus.

Je me demandais où elle dénichait des étrangetés pareilles, des mecs tatoués de bas en haut et des filles montées sur des échasses pas croyables qui riaient pour n'importe quoi en secouant ce qui leur tenait lieu de chevelure.

Elles m'avaient dit :

– Amène des collègues si tu veux… C'est vrai, tu nous présentes jamais personne…

Et pour cause les filles… pensais-je plus tard en admirant la faune et la flore qui mangeaient mes cacahouètes vautrées sur le canapé Cinna que maman m'avait offert pour mon diplôme de comptable, et pour cause…

 

Il était déjà assez tard et nous étions tous bien cassés quand Myriam, partie chercher une bougie parfumée dans ma chambre, est revenue en glougloutant comme une dinde en chaleur avec le soutien-gorge de Sarah Briot entre le pouce et l'index.

 

Mes aïeux.

On peut dire que ça a été ma fête.

– Hé mais qu'est-ce que c'est que ça ?! Attends Olivier, t'es au courant que y'a des accessoires de sex-shop dans ta chambre ? De quoi donner la gaule à tous les mecs de Paris ! Nous dis pas que t'es pas au courant !?

La voilà partie dans un show d'enfer, incontrôlable. Elle se dandine, mime un strip-tease, renifle la culotte, se retient à l'halogène et tombe à la renverse.

Incontrôlable.

Tous les autres sont morts de rire. Même le champion de golf.

– C'est bon. Ça suffit j'ai dit. Donne-moi ça.

– C'est pour qui ? D'abord tu nous dis pour qui c'est… pas vrai les autres ?

Et voilà tous ces connards en train de siffler avec leurs doigts, de se cogner les dents contre leurs verres et de dégueulasser mon salon surtout !

– En plus t'as vu les lolos qu'elle a !!! Attends mais c'est au moins du 95 !!! hurle cette abrutie de Laura.

– On s'embête pas hein… m'a soufflé Fanny en faisant des trucs tordus avec sa bouche.

 

Je me suis levé. J'ai pris mes clefs et mon blouson et j'ai claqué la porte.

VLAM.

J'ai dormi à l'hotel Ibis de la porte de Versailles. Non, je n'ai pas dormi. J'ai réfléchi.

J'ai passé une bonne partie de la nuit debout, le front appuyé contre la fenêtre à regarder le Parc des Expositions. Qu'est-ce que c'est moche.

 

Au matin, ma décision était prise. Je n'avais même pas la gueule de bois et je me suis tapé un petit-dejeuner grandiose.

 

Je suis allé aux Puces.

C'est très rare que je prenne du temps pour moi. J'étais comme un touriste à Paris. J'avais les mains dans les poches et je sentais bon l'after-shave Nina Ricci for Men distribué dans tous les hôtels Ibis du monde. J'aurais bien aimé que ma collègue de travail me surprenne au détour d'une allée :

– Oh Olivier !

– Oh Sarah !

– Oh Olivier, qu'est-ce que tu sens bon…

– Oh Sarah…

 

Je buvais le soleil devant une bière pression à la terrasse du Café des amis.

On était le 16 juin aux alentours de midi, il faisait beau et ma vie était belle.

J'ai acheté une cage à oiseaux tarabiscotée et pleine de chichis en fer.

Le gars qui m'a vendu ça m'a assuré qu'elle datait du XIXe siècle et qu'elle avait appartenu à une famille très cotée puisqu'on l'avait retrouvée dans un hôtel particulier, intacte et patati et patata et vous réglez comment ?

J'avais envie de lui dire : te fatigue pas mon vieux, je m'en fous.

 

Quand je suis rentré, ça sentait le Monsieur Propre depuis le rez-de-chaussée.

 

L'appartement était nickel. Pas un grain de poussière. Avec même un bouquet sur la table de la cuisine et un petit mot : « On est au Jardin des Plantes, à ce soir. Bisous. »

J'ai défait ma montre et je l'ai posée sur ma table de nuit. Le paquet Christian Dior était posé à côté comme si de rien n'était.

 

Aaahhh !!! mes chéries…

 

Pour le dîner, je vais vous faire un poulet au Boursin i-nou-bli-able !

Bon, d'abord choisir le vin… et mettre un tablier bien sûr.

Et pour le dessert, un gâteau de semoule avec beaucoup de rhum. Fanny adore ça.

 

Je ne dis pas qu'on s'est pris dans les bras en se serrant très fort, et en secouant la tête comme le font les Américains. Elles m'ont juste un peu souri en franchissant le seuil et j'ai vu dans leur visage toutes les petites fleurs du Jardin des Plantes.

Pour une fois, on n'était pas tellement pressé de débarrasser. Après la débauche de la veille personne n'avait l'intention de sortir et Mimi nous à servi un thé à la menthe sur la table de la cuisine.

 

– C'est quoi cette cage ? a demande Fanny.

– Je l'ai achetée aux Puces ce matin à un gars qui ne vend que des cages anciennes… Elle te plaît ?

– Oui.

– Eh bien c'est pour vous.

 

– Ah bon ! Merci. Mais en quel honneur ? Parce qu'on est pleines de tact et de délicatesse a plaisanté Myriam en se dirigeant vers le balcon avec son paquet de Craven.

– En souvenir de moi. Vous n'aurez qu'à dire que l'oiseau s'est envolé…

 

– Pourquoi tu dis ça !?

– Je m'en vais les filles.

– Tu t'en vas où ???

– Je vais aller habiter ailleurs.

– Avec qui ???

– Seul.

– Mais pourquoi ? C'est à cause d'hier soir… Écoute je te demande pardon, tu sais j'avais trop bu et…

– Non, non t'inquiète pas. Ça n'a rien à voir avec toi.

 

Fanny avait l'air vraiment sonnée et j'avais du mal à la regarder en face.

– T'en as marre de nous ?

– Nan c'est pas ça.

– Ben pourquoi alors ? On sentait que les larmes lui montaient aux yeux.

Myriam était plantée là entre la table et la fenêtre avec sa clope au bec qui pendait tristement.

– Olivier, hé, qu'est-ce qui se passe ?

– Je suis amoureux.

Tu pouvais pas le dire tout de suite espèce de crétin. Et pourquoi tu nous l'as pas présentée ? Quoi ! T'as peur qu'on la fasse fuir. Tu nous connais bien mal… Si ? Tu nous connais bien… Ah ?

Elle s'appelle comment ? Elle est mignonne ? Oui ? Ah merde…

Quoi ? Tu ne lui as presque pas parlé ! Mais t'es con ou quoi ? Oui t'es con ?

Mais non t'es pas con.

Tu ne lui as presque jamais parlé et tu déménages à cause d'elle ? Tu crois pas que tu mets la charrue avant les boeufs ? Tu mets la charrue où tu peux… vu comme ça, évidemment…

Tu vas lui parler quand ? Un jour. D'accord je vois le travail… Elle a de l'humour ? Ah, tant mieux, tant mieux.

Tu l'aimes vraiment ? Tu veux pas répondre ? On t'emmerde ?

T'as qu'à le dire tout de suite.

Tu nous inviteras à ton mariage ? Seulement si on promet d'être sage ?

Qui va me consoler quand j'aurais le coeur en compote ?

Et moi ? Oui va me faire réviser mes cours d'anat ?

Qui va nous chouchouter maintenant ?

Elle est mignonne comment tu disais ?

Tu lui feras du poulet au Boursin ?

Tu vas nous manquer tu sais.

 

J'ai été étonné d'emmener si peu de choses. J'avais loué une fourgonnette chez Kiloutou et un voyage a suffi.

Je ne savais pas si je devais le prendre bien, genre voilà la preuve que tu n'es pas trop attaché aux biens de ce monde mon ami, ou carrément mal, genre regarde mon ami : bientôt trente ans et onze cartons pour tout contenir… Ça ne fait pas bien lourd hein ?

Avant de partir je me suis assis une dernière fois dans la cuisine.

 

Les premières semaines, j'ai dormi sur un matelas à même le sol. J'avais lu dans un magazine que c'était très bon pour le dos.

Au bout de dix-sept jours, j'ai été chez Ikea : j'avais trop mal au dos.

Dieu sait que j'ai retourné le problème dans tous les sens. J'ai même dessiné des plans sur du papier à petits carreaux.

La vendeuse aussi pensait comme moi : dans un logement aussi « modeste » et aussi mal fichu (on aurait dit que j'avais loué trois petits couloirs…), le mieux, c'était un canapé-lit.

Et le moins cher, c'est un clic-clac.

Va pour le clic-clac.

 

J'ai aussi acheté un set-cuisine (soixante-cinq pièces pour 399 francs, essoreuse et râpe à fromage comprises), des bougies (on ne sait jamais…), un plaid (je ne sais pas, je trouvais que ça faisait chic d'acheter un plaid), une lampe (bof), un paillasson (prévoyant), des étagères (forcément), une plante verte (on verra bien…) et mille autres bricoles (c'est le magasin qui veut ça).

 

Myriam et Fanny me laissaient régulièrement des messages sur le répondeur du genre : Tuuuuut « Comment on allume le four ? » tuuuuuut « On a allumé le four mais maintenant on se demande comment on change un plomb parce que tout a sauté… » tuuuuuuut « On veut bien faire ce que t'as dit mais où t'as rangé la lampe de poche ?… » tuuuuuut « Hé c'est quoi le numéro des pompiers ? » tuuuut…

 

Je crois qu'elles en rajoutaient un peu, mais comme tous les gens qui vivent seuls, j'ai appris à guetter et même à espérer le petit clignotant rouge des messages en rentrant le soir.

Personne n'y échappe je crois.

 

Et soudain, votre vie s'accélère drôlement.

Et quand je perds le contrôle de la situation, j'ai tendance à paniquer, c'est bête.

Qu'est-ce que c'est « perdre le contrôle de la situation » ?

Perdre le contrôle de la situation, c'est tout simple. C'est Sarah Briot qui s'amène un matin dans la pièce où vous gagnez votre vie à la sueur de votre front et qui s'assoit sur le bord de votre bureau en tirant sur sa jupe.

Et qui vous dit :

– Elles sont sales tes lunettes non ?

Et qui sort un petit bout de liquette rose de dessous sa jupe et qui essuie vos lunettes avec comme si de rien n'était.

Là, vous bandez si bien que vous pouvez soulever la table (avec un peu d'entraînement évidemment).

– Alors, il parait que t'as déménagé ?

– Oui, il y a une quinzaine de jours.

(Ffffff respire… tout va bien…)

– T'es où maintenant ?

– Dans le dixième.

– Ah ! c'est marrant moi aussi.

– Ah bon ?!

– C'est bien on prendra le métro ensemble comme ça…

(C'est toujours un début.)

– Tu ne vas pas faire une pendaison de la crémaillère ou un truc dans ce goût-là ?

– Si si ! Bien sûr !

(Première nouvelle.)

– Quand ?

– Eh bien, je ne sais pas encore… Tu sais, on m'a livré mes derniers meubles ce matin alors…

– Pourquoi pas ce soir ?

– Ce soir ? Ah non, ce soir, ce n'est pas possible. Avec tout le bazar et… Et puis je n'ai prévenu personne et…

– Tu n'as qu'à inviter que moi. Parce que moi, tu


Date: 2015-12-18; view: 765


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