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Deuxième Partie 15 page

 

 

Maintenant Georges était agenouillé à côté de sa femme dans le chœur, en face de l’autel illuminé. Le nouvel évêque de Tanger, crosse en main, mitre en tête, apparut, sortant de la sacristie, pour les unir au nom de l’Éternel.

 

 

Il posa les questions d’usage, échangea les anneaux, prononça les paroles qui lient comme des chaînes, et il adressa aux nouveaux époux une allocution chrétienne. Il parla de fidélité, longuement, en termes pompeux. C’était un gros homme de grande taille, un de ces beaux prélats chez qui le ventre est une majesté.

 

 

Un bruit de sanglots fit retourner quelques têtes. Mme Walter pleurait, la figure dans ses mains.

 

 

Elle avait dû céder. Qu’aurait-elle fait ? Mais depuis le jour où elle avait chassé de sa chambre sa fille revenue, en refusant de l’embrasser, depuis le jour où elle avait dit à voix très basse à Du Roy, qui la saluait avec cérémonie en reparaissant devant elle :

« Vous êtes l’être le plus vil que je connaisse, ne me parlez jamais plus, car je ne vous répondrai point ! » elle souffrait une intolérable et inapaisable torture. Elle haïssait Suzanne d’une haine aiguë, faite de passion exaspérée et de jalousie déchirante, étrange jalousie de mère et de maîtresse, inavouable, féroce, brûlante comme une plaie vive.


 

Et voilà qu’un évêque les mariait, sa fille et son amant, dans une église, en face de deux mille personnes, et devant elle ! Et elle ne pouvait rien dire ? Elle ne pouvait pas empêcher cela ? Elle ne pouvait pas crier : « Mais il est à moi, cet homme, c’est mon amant. Cette union que vous bénissez est infâme. »

 

 

Plusieurs femmes, attendries, murmurèrent : « Comme la pauvre mère est émue. »

 

 

L’évêque déclamait : « Vous êtes parmi les heureux de la terre, parmi les plus riches et les plus respectés. Vous, monsieur, que votre talent élève au-dessus des autres, vous qui écrivez, qui enseignez, qui conseillez, qui dirigez le peuple, vous avez une belle mission à remplir, un bel exemple à donner… »

 

 

Du Roy l’écoutait, ivre d’orgueil. Un prélat de l’Église romaine lui parlait ainsi, à lui. Et il sentait, derrière son dos, une foule, une foule illustre venue pour lui. Il lui semblait qu’une force le poussait, le soulevait. Il devenait un des maîtres de la terre, lui, lui, le fils des deux pauvres paysans de Canteleu.

 

 

Il les vit tout à coup dans leur humble cabaret, au sommet de la côte, au-dessus de la grande vallée de Rouen, son père et sa mère, donnant à boire aux campagnards du pays. Il leur avait envoyé cinq mille francs en héritant du comte de Vaudrec. Il allait maintenant leur en envoyer cinquante mille ; et ils achèteraient un petit bien. Ils seraient contents, heureux.



 

 

L’évêque avait terminé sa harangue. Un prêtre vêtu d’une étole dorée montait à l’autel. Et les orgues recommencèrent à célébrer la gloire des nouveaux époux.

 

 

Tantôt elles jetaient des clameurs prolongées, énormes, enflées comme des vagues, si sonores et si puissantes, qu’il semblait qu’elles dussent soulever et faire sauter le toit pour se répandre dans le ciel bleu. Leur bruit vibrant emplissait toute


l’église, faisait frissonner la chair et les âmes. Puis tout à coup elles se calmaient ; et des notes fines, alertes, couraient dans l’air, effleuraient l’oreille comme des souffles légers ; c’étaient de petits chants gracieux, menus, sautillants, qui voletaient ainsi que des oiseaux ; et soudain, cette coquette musique s’élargissait de nouveau, redevenant effrayante de force et d’ampleur, comme si un grain de sable se métamorphosait en un monde.

 

 

Puis des voix humaines s’élevèrent, passèrent au-dessus des têtes inclinées. Vauri et Landeck, de l’Opéra, chantaient. L’encens répandait une odeur fine de benjoin, et sur l’autel le sacrifice divin s’accomplissait ; l’Homme-Dieu, à l’appel de son prêtre, descendait sur la terre pour consacrer le triomphe du baron Georges Du Roy.

 

 

Bel-Ami, à genoux à côté de Suzanne, avait baissé le front. Il se sentait en ce moment presque croyant, presque religieux, plein de reconnaissance pour la divinité qui l’avait ainsi favorisé, qui le traitait avec ces égards. Et sans savoir au juste à qui il s’adressait, il la remerciait de son succès.

 

 

Lorsque l’office fut terminé, il se redressa, et donnant le bras à sa femme, il passa dans la sacristie. Alors commença l’interminable défilé des assistants. Georges, affolé de joie, se croyait un roi qu’un peuple venait acclamer. Il serrait des mains, balbutiait des mots qui ne signifiaient rien, saluait, répondait aux compliments : « Vous êtes bien aimable. »

 

 

Soudain il aperçut Mme de Marelle ; et le souvenir de tous les baisers qu’il lui avait donnés, qu’elle lui avait rendus, le souvenir de toutes leurs caresses, de ses gentillesses, du son de sa voix, du goût de ses lèvres, lui fit passer dans le sang le désir brusque de la reprendre. Elle était jolie, élégante, avec son air gamin et ses yeux vifs. Georges pensait : « Quelle charmante maîtresse, tout de même. »


Elle s’approcha un peu timide, un peu inquiète, et lui tendit la main. Il la reçut dans la sienne et la garda. Alors il sentit l’appel discret de ses doigts de femme, la douce pression qui pardonne et reprend. Et lui-même il la serrait, cette petite main, comme pour dire : « Je t’aime toujours, je suis à toi ! »

 

 

Leurs yeux se rencontrèrent, souriants, brillants, pleins d’amour. Elle murmura de sa voix gracieuse : « À bientôt, monsieur. »

 

 

Il répondit gaiement : « À bientôt, madame. » Et elle s’éloigna.

D’autres personnes se poussaient. La foule coulait devant lui comme un fleuve. Enfin elle s’éclaircit. Les derniers assistants partirent. Georges reprit le bras de Suzanne pour retraverser

l’église.

 

 

Elle était pleine de monde, car chacun avait regagné sa place, afin de les voir passer ensemble. Il allait lentement, d’un pas calme, la tête haute, les yeux fixés sur la grande baie ensoleillée de la porte. Il sentait sur sa peau courir de longs frissons, ces frissons froids que donnent les immenses bonheurs. Il ne voyait personne. Il ne pensait qu’à lui.

 

 

Lorsqu’il parvint sur le seuil, il aperçut la foule amassée, une foule noire, bruissante, venue là pour lui, pour lui Georges Du Roy. Le peuple de Paris le contemplait et l’enviait.

 

 

Puis, relevant les yeux, il découvrit là-bas, derrière la place de la Concorde, la Chambre des députés. Et il lui sembla qu’il allait faire un bond du portique de la Madeleine au portique du Palais- Bourbon.

 

 

Il descendit avec lenteur les marches du haut perron entre deux haies de spectateurs. Mais il ne les voyait point ; sa pensée


maintenant revenait en arrière, et devant ses yeux éblouis par l’éclatant soleil flottait l’image de Mme de Marelle rajustant en face de la glace les petits cheveux frisés de ses tempes, toujours défaits au sortir du lit.


Table des matières

 

 

Première Partie ........................................................................ 3

 

– I – .............................................................................................. 3

 

– II – ........................................................................................... 24

 

– III – ......................................................................................... 42

 

– IV –.......................................................................................... 67

 

– V – ........................................................................................... 88

 

– VI –......................................................................................... 137

 

– VII – ....................................................................................... 176

 

– VIII – ..................................................................................... 202

 

Deuxième Partie ................................................................... 232

 

– I – .......................................................................................... 232

 

– II – ......................................................................................... 268

 

– III – ....................................................................................... 289

 

– IV –......................................................................................... 319

 

– V – ......................................................................................... 340

 

– VI –......................................................................................... 371

 

– VII – ...................................................................................... 387

 

– VIII – ...................................................................................... 415

 

– IX –........................................................................................ 436

 

– X – ......................................................................................... 456

 

À propos de cette édition électronique ................................ 472



Date: 2015-12-18; view: 600


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