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LES TROIS MOUSQUETAIRES 45 page

 

– Il n’y a pas de désert où un oiseau ne puisse passer au-dessus de la tête, où un poisson ne puisse sauter au-dessus de l’eau, où un lapin ne puisse partir de son gîte, et je crois qu’oiseau, poisson, lapin, tout s’est fait espion du cardinal. Mieux vaut donc poursuivre notre entreprise, devant laquelle d’ailleurs nous ne pouvons plus reculer sans honte ; nous avons fait un pari, un pari qui ne pouvait être prévu, et dont je défie qui que ce soit de deviner la véritable cause : nous allons, pour le gagner, tenir une heure dans le bastion. Ou nous serons attaqués, ou nous ne le serons pas. Si nous ne le sommes pas, nous aurons tout le temps de causer et personne ne nous entendra, car je réponds que les murs de ce bastion n’ont pas d’oreilles ; si nous le sommes, nous causerons de nos affaires tout de même, et de plus, tout en nous défendant, nous nous couvrons de gloire. Vous voyez bien que tout est bénéfice.

 

– Oui, dit d’Artagnan, mais nous attraperons indubitablement une balle.

 

– Eh ! mon cher, dit Athos, vous savez bien que les balles les plus à craindre ne sont pas celles de l’ennemi.

 

– Mais il me semble que pour une pareille expédition, nous aurions dû au moins emporter nos mousquets.

 

– Vous êtes un niais, ami Porthos ; pourquoi nous charger d’un fardeau inutile ?

 

– Je ne trouve pas inutile en face de l’ennemi un bon mousquet de calibre, douze cartouches et une poire à poudre.

 

– Oh ! bien, dit Athos, n’avez-vous pas entendu ce qu’a dit d’Artagnan ?

 

– Qu’a dit d’Artagnan ? demanda Porthos.

 

– D’Artagnan a dit que dans l’attaque de cette nuit il y avait eu huit ou dix Français de tués et autant de Rochelois.

 

– Après ?

 

– On n’a pas eu le temps de les dépouiller, n’est-ce pas ? attendu qu’on avait autre chose pour le moment de plus pressé à faire.

 

– Eh bien ?

 

– Eh bien, nous allons trouver leurs mousquets, leurs poires à poudre et leurs cartouches, et au lieu de quatre mousquetons et de douze balles, nous allons avoir une quinzaine de fusils et une centaine de coups à tirer.

 

– O Athos ! dit Aramis, tu es véritablement un grand homme ! »

 

Porthos inclina la tête en signe d’adhésion.

 

D’Artagnan seul ne paraissait pas convaincu.

 

Sans doute Grimaud partageait les doutes du jeune homme ; car, voyant que l’on continuait de marcher vers le bastion, chose dont il avait douté jusqu’alors, il tira son maître par le pan de son habit.

 

« Où allons-nous ? » demanda-t-il par geste.



 

Athos lui montra le bastion.

 

« Mais, dit toujours dans le même dialecte le silencieux Grimaud, nous y laisserons notre peau. »

 

Athos leva les yeux et le doigt vers le ciel.

 

Grimaud posa son panier à terre et s’assit en secouant la tête.

 

Athos prit à sa ceinture un pistolet, regarda s’il était bien amorcé, l’arma et approcha le canon de l’oreille de Grimaud.

 

Grimaud se retrouva sur ses jambes comme par un ressort.

 

Athos alors lui fit signe de prendre le panier et de marcher devant.

 

Grimaud obéit.

 

Tout ce qu’avait gagné le pauvre garçon à cette pantomime d’un instant, c’est qu’il était passé de l’arrière-garde à l’avant-garde.

 

Arrivés au bastion, les quatre amis se retournèrent.

 

Plus de trois cents soldats de toutes armes étaient assemblés à la porte du camp, et dans un groupe séparé on pouvait distinguer M. de Busigny, le dragon, le Suisse et le quatrième parieur.

 

Athos ôta son chapeau, le mit au bout de son épée et l’agita en l’air.

 

Tous les spectateurs lui rendirent son salut, accompagnant cette politesse d’un grand hourra qui arriva jusqu’à eux.

 

Après quoi, ils disparurent tous quatre dans le bastion, où les avait déjà précédés Grimaud.

 

CHAPITRE XLVII
LE CONSEIL DES MOUSQUETAIRES

Comme l’avait prévu Athos, le bastion n’était occupé que par une douzaine de morts tant Français que Rochelois.

 

« Messieurs, dit Athos, qui avait pris le commandement de l’expédition, tandis que Grimaud va mettre la table, commençons par recueillir les fusils et les cartouches ; nous pouvons d’ailleurs causer tout en accomplissant cette besogne. Ces messieurs, ajouta-t-il en montrant les morts, ne nous écoutent pas.

 

– Mais nous pourrions toujours les jeter dans le fossé, dit Porthos, après toutefois nous être assurés qu’ils n’ont rien dans leurs poches.

 

– Oui, dit Aramis, c’est l’affaire de Grimaud.

 

– Ah ! bien alors, dit d’Artagnan, que Grimaud les fouille et les jette par-dessus les murailles.

 

– Gardons-nous-en bien, dit Athos, ils peuvent nous servir.

 

– Ces morts peuvent nous servir ? dit Porthos. Ah çà, vous devenez fou, cher ami.

 

– Ne jugez pas témérairement, disent l’évangile et M. le cardinal, répondit Athos ; combien de fusils, messieurs ?

 

– Douze, répondit Aramis.

 

– Combien de coups à tirer ?

 

– Une centaine.

 

– C’est tout autant qu’il nous en faut ; chargeons les armes. »

 

Les quatre mousquetaires se mirent à la besogne. Comme ils achevaient de charger le dernier fusil, Grimaud fit signe que le déjeuner était servi.

 

Athos répondit, toujours par geste, que c’était bien, et indiqua à Grimaud une espèce de poivrière où celui-ci comprit qu’il se devait tenir en sentinelle. Seulement, pour adoucir l’ennui de la faction, Athos lui permit d’emporter un pain, deux côtelettes et une bouteille de vin.

 

« Et maintenant, à table », dit Athos.

 

Les quatre amis s’assirent à terre, les jambes croisées, comme les Turcs ou comme les tailleurs.

 

« Ah ! maintenant, dit d’Artagnan, que tu n’as plus la crainte d’être entendu, j’espère que tu vas nous faire part de ton secret, Athos.

 

– J’espère que je vous procure à la fois de l’agrément et de la gloire, messieurs, dit Athos. Je vous ai fait faire une promenade charmante ; voici un déjeuner des plus succulents, et cinq cents personnes là-bas, comme vous pouvez les voir à travers les meurtrières, qui nous prennent pour des fous ou pour des héros, deux classes d’imbéciles qui se ressemblent assez.

 

– Mais ce secret ? demanda d’Artagnan.

 

– Le secret, dit Athos, c’est que j’ai vu Milady hier soir. »

 

D’Artagnan portait son verre à ses lèvres ; mais à ce nom de Milady, la main lui trembla si fort, qu’il le posa à terre pour ne pas en répandre le contenu.

 

« Tu as vu ta fem…

 

– Chut donc ! interrompit Athos : vous oubliez, mon cher, que ces messieurs ne sont pas initiés comme vous dans le secret de mes affaires de ménage ; j’ai vu Milady.

 

– Et où cela ? demanda d’Artagnan.

 

– À deux lieues d’ici à peu près, à l’auberge du Colombier-Rouge.

 

– En ce cas je suis perdu, dit d’Artagnan.

 

– Non, pas tout à fait encore, reprit Athos ; car, à cette heure, elle doit avoir quitté les côtes de France. »

 

D’Artagnan respira.

 

« Mais au bout du compte, demanda Porthos, qu’est-ce donc que cette Milady ?

 

– Une femme charmante, dit Athos en dégustant un verre de vin mousseux. Canaille d’hôtelier ! s’écria-t-il, qui nous donne du vin d’Anjou pour du vin de Champagne, et qui croit que nous nous y laisserons prendre ! Oui, continua-t-il, une femme charmante qui a eu des bontés pour notre ami d’Artagnan, qui lui a fait je ne sais quelle noirceur dont elle a essayé de se venger, il y a un mois en voulant le faire tuer à coups de mousquet, il y a huit jours en essayant de l’empoisonner, et hier en demandant sa tête au cardinal.

 

– Comment ! en demandant ma tête au cardinal ? s’écria d’Artagnan, pâle de terreur.

 

– Ça, dit Porthos, c’est vrai comme l’évangile ; je l’ai entendu de mes deux oreilles.

 

– Moi aussi, dit Aramis.

 

– Alors, dit d’Artagnan en laissant tomber son bras avec découragement, il est inutile de lutter plus longtemps ; autant que je me brûle la cervelle et que tout soit fini !

 

– C’est la dernière sottise qu’il faut faire, dit Athos, attendu que c’est la seule à laquelle il n’y ait pas de remède.

 

– Mais je n’en réchapperai jamais, dit d’Artagnan, avec des ennemis pareils. D’abord mon inconnu de Meung ; ensuite de Wardes, à qui j’ai donné trois coups d’épée ; puis Milady, dont j’ai surpris le secret ; enfin, le cardinal, dont j’ai fait échouer la vengeance.

 

– Eh bien, dit Athos, tout cela ne fait que quatre, et nous sommes quatre, un contre un. Pardieu ! si nous en croyons les signes que nous fait Grimaud, nous allons avoir affaire à un bien plus grand nombre de gens. Qu’y a-t-il, Grimaud ? Considérant la gravité de la circonstance, je vous permets de parler, mon ami, mais soyez laconique je vous prie. Que voyez-vous ?

 

– Une troupe.

 

– De combien de personnes ?

 

– De vingt hommes.

 

– Quels hommes ?

 

– Seize pionniers, quatre soldats.

 

– À combien de pas sont-ils ?

 

– À cinq cents pas ;

 

– Bon, nous avons encore le temps d’achever cette volaille et de boire un verre de vin à ta santé, d’Artagnan !

 

– À ta santé ! répétèrent Porthos et Aramis.

 

– Eh bien donc, à ma santé ! quoique je ne croie pas que vos souhaits me servent à grand-chose.

 

– Bah ! dit Athos, Dieu est grand, comme disent les sectateurs de Mahomet, et l’avenir est dans ses mains. »

 

Puis, avalant le contenu de son verre, qu’il posa près de lui, Athos se leva nonchalamment, prit le premier fusil venu et s’approcha d’une meurtrière.

 

Porthos, Aramis et d’Artagnan en firent autant. Quant à Grimaud, il reçut l’ordre de se placer derrière les quatre amis afin de recharger les armes.

 

Au bout d’un instant on vit paraître la troupe ; elle suivait une espèce de boyau de tranchée qui établissait une communication entre le bastion et la ville.

 

« Pardieu ! dit Athos, c’est bien la peine de nous déranger pour une vingtaine de drôles armés de pioches, de hoyaux et de pelles ! Grimaud n’aurait eu qu’à leur faire signe de s’en aller, et je suis convaincu qu’ils nous eussent laissés tranquilles.

 

– J’en doute, observa d’Artagnan, car ils avancent fort résolument de ce côté. D’ailleurs, il y a avec les travailleurs quatre soldats et un brigadier armés de mousquets.

 

– C’est qu’ils ne nous ont pas vus, reprit Athos.

 

– Ma foi ! dit Aramis, j’avoue que j’ai répugnance à tirer sur ces pauvres diables de bourgeois.

 

– Mauvais prêtre, répondit Porthos, qui a pitié des hérétiques !

 

– En vérité, dit Athos, Aramis a raison, je vais les prévenir.

 

– Que diable faites-vous donc ? s’écria d’Artagnan, vous allez vous faire fusiller, mon cher. »

 

Mais Athos ne tint aucun compte de l’avis, et, montant sur la brèche, son fusil d’une main et son chapeau de l’autre :

 

« Messieurs, dit-il en s’adressant aux soldats et aux travailleurs, qui, étonnés de son apparition, s’arrêtaient à cinquante pas environ du bastion, et en les saluant courtoisement, messieurs, nous sommes, quelques amis et moi, en train de déjeuner dans ce bastion. Or, vous savez que rien n’est désagréable comme d’être dérangé quand on déjeune ; nous vous prions donc, si vous avez absolument affaire ici, d’attendre que nous ayons fini notre repas, ou de repasser plus tard, à moins qu’il ne vous prenne la salutaire envie de quitter le parti de la rébellion et de venir boire avec nous à la santé du roi de France.

 

– Prends garde, Athos ! s’écria d’Artagnan ; ne vois-tu pas qu’ils te mettent en joue ?

 

– Si fait, si fait, dit Athos, mais ce sont des bourgeois qui tirent fort mal, et qui n’ont garde de me toucher. »

 

En effet, au même instant quatre coups de fusil partirent, et les balles vinrent s’aplatir autour d’Athos, mais sans qu’une seule le touchât.

 

Quatre coups de fusil leur répondirent presque en même temps, mais ils étaient mieux dirigés que ceux des agresseurs, trois soldats tombèrent tués raide, et un des travailleurs fut blessé.

 

« Grimaud, un autre mousquet ! » dit Athos toujours sur la brèche.

 

Grimaud obéit aussitôt. De leur côté, les trois amis avaient chargé leurs armes ; une seconde décharge suivit la première : le brigadier et deux pionniers tombèrent morts, le reste de la troupe prit la fuite.

 

« Allons, messieurs, une sortie », dit Athos.

 

Et les quatre amis, s’élançant hors du fort, parvinrent jusqu’au champ de bataille, ramassèrent les quatre mousquets des soldats et la demi-pique du brigadier ; et, convaincus que les fuyards ne s’arrêteraient qu’à la ville, reprirent le chemin du bastion, rapportant les trophées de leur victoire.

 

« Rechargez les armes, Grimaud, dit Athos, et nous, messieurs, reprenons notre déjeuner et continuons notre conversation. Où en étions-nous ?

 

– Je me le rappelle, dit d’Artagnan, qui se préoccupait fort de l’itinéraire que devait suivre Milady.

 

– Elle va en Angleterre, répondit Athos.

 

– Et dans quel but ?

 

– Dans le but d’assassiner ou de faire assassiner Buckingham. »

 

D’Artagnan poussa une exclamation de surprise et d’indignation.

 

« Mais c’est infâme ! s’écria-t-il.

 

– Oh ! quant à cela, dit Athos, je vous prie de croire que je m’en inquiète fort peu. Maintenant que vous avez fini, Grimaud, continua Athos, prenez la demi-pique de notre brigadier, attachez-y une serviette et plantez-la au haut de notre bastion, afin que ces rebelles de Rochelois voient qu’ils ont affaire à de braves et loyaux soldats du roi. »

 

Grimaud obéit sans répondre. Un instant après le drapeau blanc flottait au-dessus de la tête des quatre amis ; un tonnerre d’applaudissements salua son apparition ; la moitié du camp était aux barrières.

 

« Comment ! reprit d’Artagnan, tu t’inquiètes fort peu qu’elle tue ou qu’elle fasse tuer Buckingham ? Mais le duc est notre ami.

 

– Le duc est Anglais, le duc combat contre nous ; qu’elle fasse du duc ce qu’elle voudra, je m’en soucie comme d’une bouteille vide. »

 

Et Athos envoya à quinze pas de lui une bouteille qu’il tenait, et dont il venait de transvaser jusqu’à la dernière goutte dans son verre.

 

« Un instant, dit d’Artagnan, je n’abandonne pas Buckingham ainsi ; il nous avait donné de fort beaux chevaux.

 

– Et surtout de fort belles selles, ajouta Porthos, qui, à ce moment même, portait à son manteau le galon de la sienne.

 

– Puis, observa Aramis, Dieu veut la conversion et non la mort du pécheur.

 

– Amen, dit Athos, et nous reviendrons là-dessus plus tard, si tel est votre plaisir ; mais ce qui, pour le moment, me préoccupait le plus, et je suis sûr que tu me comprendras, d’Artagnan, c’était de reprendre à cette femme une espèce de blanc-seing qu’elle avait extorqué au cardinal, et à l’aide duquel elle devait impunément se débarrasser de toi et peut-être de nous.

 

– Mais c’est donc un démon que cette créature ? dit Porthos en tendant son assiette à Aramis, qui découpait une volaille.

 

– Et ce blanc-seing, dit d’Artagnan, ce blanc-seing est-il resté entre ses mains ?

 

– Non, il est passé dans les miennes ; je ne dirai pas que ce fut sans peine, par exemple, car je mentirais.

 

– Mon cher Athos, dit d’Artagnan, je ne compte plus les fois que je vous dois la vie.

 

– Alors c’était donc pour venir près d’elle que vous nous avez quittés ? demanda Aramis.

 

– Justement. Et tu as cette lettre du cardinal ? dit d’Artagnan.

 

– La voici », dit Athos.

 

Et il tira le précieux papier de la poche de sa casaque.

 

D’Artagnan le déplia d’une main dont il n’essayait pas même de dissimuler le tremblement et lut :

 

« C’est par mon ordre et pour le bien de l’État que le porteur du présent a fait ce qu’il a fait.

 

« 5 décembre 1627

 

« Richelieu »

 

« En effet, dit Aramis, c’est une absolution dans toutes les règles.

 

– Il faut déchirer ce papier, s’écria d’Artagnan, qui semblait lire sa sentence de mort.

 

– Bien au contraire, dit Athos, il faut le conserver précieusement, et je ne donnerais pas ce papier quand on le couvrirait de pièces d’or.

 

– Et que va-t-elle faire maintenant ? demanda le jeune homme.

 

– Mais, dit négligemment Athos, elle va probablement écrire au cardinal qu’un damné mousquetaire, nommé Athos, lui a arraché son sauf-conduit ; elle lui donnera dans la même lettre le conseil de se débarrasser, en même temps que de lui, de ses deux amis, Porthos et Aramis ; le cardinal se rappellera que ce sont les mêmes hommes qu’il rencontre toujours sur son chemin ; alors, un beau matin il fera arrêter d’Artagnan, et, pour qu’il ne s’ennuie pas tout seul, il nous enverra lui tenir compagnie à la Bastille.

 

– Ah çà, mais, dit Porthos, il me semble que vous faites là de tristes plaisanteries, mon cher.

 

– Je ne plaisante pas, répondit Athos.

 

– Savez-vous, dit Porthos, que tordre le cou à cette damnée Milady serait un péché moins grand que de le tordre à ces pauvres diables de huguenots, qui n’ont jamais commis d’autres crimes que de chanter en français des psaumes que nous chantons en latin ?

 

– Qu’en dit l’abbé ? demanda tranquillement Athos.

 

– Je dis que je suis de l’avis de Porthos, répondit Aramis.

 

– Et moi donc ! fit d’Artagnan.

 

– Heureusement qu’elle est loin, observa Porthos ; car j’avoue qu’elle me gênerait fort ici.

 

– Elle me gêne en Angleterre aussi bien qu’en France, dit Athos.

 

– Elle me gêne partout, continua d’Artagnan.

 

– Mais puisque vous la teniez, dit Porthos, que ne l’avez-vous noyée, étranglée, pendue ? il n’y a que les morts qui ne reviennent pas.

 

– Vous croyez cela, Porthos ? répondit le mousquetaire avec un sombre sourire que d’Artagnan comprit seul.

 

– J’ai une idée, dit d’Artagnan.

 

– Voyons, dirent les mousquetaires.

 

– Aux armes ! » cria Grimaud.

 

Les jeunes gens se levèrent vivement et coururent aux fusils.

 

Cette fois, une petite troupe s’avançait composée de vingt ou vingt-cinq hommes ; mais ce n’étaient plus des travailleurs, c’étaient des soldats de la garnison.

 

« Si nous retournions au camp ? dit Porthos, il me semble que la partie n’est pas égale.

 

– Impossible pour trois raisons, répondit Athos : la première, c’est que nous n’avons pas fini de déjeuner ; la seconde, c’est que nous avons encore des choses d’importance à dire ; la troisième, c’est qu’il s’en manque encore de dix minutes que l’heure ne soit écoulée.

 

– Voyons, dit Aramis, il faut cependant arrêter un plan de bataille.

 

– Il est bien simple, répondit Athos : aussitôt que l’ennemi est à portée de mousquet, nous faisons feu ; s’il continue d’avancer, nous faisons feu encore, nous faisons feu tant que nous avons des fusils chargés ; si ce qui reste de la troupe veut encore monter à l’assaut, nous laissons les assiégeants descendre jusque dans le fossé, et alors nous leur poussons sur la tête ce pan de mur qui ne tient plus que par un miracle d’équilibre.

 

– Bravo ! s’écria Porthos ; décidément, Athos, vous étiez né pour être général, et le cardinal, qui se croit un grand homme de guerre, est bien peu de chose auprès de vous.

 

– Messieurs, dit Athos, pas de double emploi, je vous prie ; visez bien chacun votre homme.

 

– Je tiens le mien, dit d’Artagnan.

 

– Et moi le mien dit Porthos.

 

– Et moi idem, dit Aramis.

 

– Alors feu ! » dit Athos.

 

Les quatre coups de fusil ne firent qu’une détonation, et quatre hommes tombèrent.

 

Aussitôt le tambour battit, et la petite troupe s’avança au pas de charge.

 

Alors les coups de fusil se succédèrent sans régularité, mais toujours envoyés avec la même justesse. Cependant, comme s’ils eussent connu la faiblesse numérique des amis, les Rochelois continuaient d’avancer au pas de course.

 

Sur trois autres coups de fusil, deux hommes tombèrent ; mais cependant la marche de ceux qui restaient debout ne se ralentissait pas.

 

Arrivés au bas du bastion, les ennemis étaient encore douze ou quinze ; une dernière décharge les accueillit, mais ne les arrêta point : ils sautèrent dans le fossé et s’apprêtèrent à escalader la brèche.

 

« Allons, mes amis, dit Athos, finissons-en d’un coup : à la muraille ! à la muraille ! »

 

Et les quatre amis, secondés par Grimaud, se mirent à pousser avec le canon de leurs fusils un énorme pan de mur, qui s’inclina comme si le vent le poussait, et, se détachant de sa base, tomba avec un bruit horrible dans le fossé : puis on entendit un grand cri, un nuage de poussière monta vers le ciel, et tout fut dit.

 

« Les aurions-nous écrasés depuis le premier jusqu’au dernier ? demanda Athos.

 

– Ma foi, cela m’en a l’air, dit d’Artagnan.

 

– Non, dit Porthos, en voilà deux ou trois qui se sauvent tout éclopés. »

 

En effet, trois ou quatre de ces malheureux, couverts de boue et de sang, fuyaient dans le chemin creux et regagnaient la ville : c’était tout ce qui restait de la petite troupe.

 

Athos regarda à sa montre.

 

« Messieurs, dit-il, il y a une heure que nous sommes ici, et maintenant le pari est gagné, mais il faut être beaux joueurs : d’ailleurs d’Artagnan ne nous a pas dit son idée. »

 

Et le mousquetaire, avec son sang-froid habituel, alla s’asseoir devant les restes du déjeuner.

 

« Mon idée ? dit d’Artagnan.

 

– Oui, vous disiez que vous aviez une idée, répliqua Athos.

 

– Ah ! j’y suis, reprit d’Artagnan : je passe en Angleterre une seconde fois, je vais trouver M. de Buckingham et je l’avertis du complot tramé contre sa vie.

 

– Vous ne ferez pas cela, d’Artagnan, dit froidement Athos.

 

– Et pourquoi cela ? ne l’ai-je pas fait déjà ?

 

– Oui, mais à cette époque nous n’étions pas en guerre ; à cette époque, M. de Buckingham était un allié et non un ennemi : ce que vous voulez faire serait taxé de trahison. »


Date: 2015-12-17; view: 569


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