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Les médias et l’éthique

Récapitulons. D’un côté, une machine médiatique qui ne peut s’empêcher de sélectionner des événements dramatiques et extraordinaires, comme si tout ce qui n’est pas « saillant », excessif, inouï, insolite ou tragique était insignifiant et n’était pas digne d’être mis sur la scène publique, dont le résultat est que nous est livrée une vision partielle et déformante du monde ; une machine médiatique qui ne peut nous fournir ses sources nous obligeant à faire crédit mais mettant en même temps le ver dans le fruit de la crédibilité ; une machine qui joue le faux-semblant de la vérité sur l’opinion à travers des sondages qui n’en sont qu’un faible reflet. D’un autre côté, un discours journalistique qui ne peut prétendre ni à un récit historique ni à des explications scientifiques, et qui, de surcroît, par sa tendance à la surdramatisation et à l’essentialisation événementielle, produit un effet deformatage des esprits qui consiste à faire croire que ce qui s’innove devient phénomène dominant : le monde serait à cheval sur son ordinateur consultant Internet 24h/24 ou communiquant par blog ; l’apparition du livre-ordinateur marquerait la fin du livre en papier (alors qu’il y a eu un doublement de la production du livre en 20 ans) ; ou bien, faire croire que le drame qui vient de se produire(émeute, viol, pédophilie, guerre, acte terroriste, etc.) ne peut que se reproduire à terme.

Alors, quelle éthique est possible dans une démocratie qui a besoin d’une opinion citoyenne raisonnablement informée ?

Hervé Brusini, directeur délégué à l’information de France 3 rappelle avec force dans un article publié par le journal Libération du 19 mars 2004 que « les médias sont consubstantiels à toute démocratie ». Évidence. Mais n’est-ce pas une évidence qui cache d’autres vérités comme un arbre cache la forêt ? Après tout, les médias sont consubstantiels à la démocratie comme l’est la politique elle-même, mais aussi comme peut l’être l’école ou la justice. Évidemment pas de la même façon. Et d’ailleurs, c’est de manière dont il s’agit : la manière dont les médias s’inscrivent et agissent dans le cadre d’une démocratie qui est partout à construire. Il ne suffit pas d’affirmer cette consubstantialité, car il y a aussi des médias et des écoles dans les régimes totalitaires. Ne faisons pas un mauvais procès. On comprend bien ce que veut dire cette affirmation : démocratie et médias sont liés de façon tellement étroite que l’une ne peut se concevoir sans les autres, et réciproquement. C’est donc bien dans la manière de concevoir cette consubstantialité que se joue la raison d’être de ces deux entités sociales.



Dans toute société, le rapport médias-démocratie implique trois instances : l’instance politique, l’instance citoyenne et, si l’on peut dire, coincée entre les deux, l’instance médiatique à proprement parler. C’est d’abord de cette réalité dont il faut prendre conscience : il n’y a pas de rapport duel entre le médiatique et le politique, pas plus qu’il n’y a de rapport duel entre le médiatique et le citoyen. Il s’agit d’une relation triadique entre le politique, le médiatique et le citoyen, chacune de ces entités se définissant à travers les autres.

Considéré du point de vue des médias, se posent deux problèmes, : le rapport entre les médias et le politique, le rapport entre les médias et le citoyen. On ne peut traiter ici ces problèmes, mais on remarquera qu’il ne peut y avoir « une relation sans ambiguïté » entre médias et politique car chacun a besoin de l’autre. Ces rapports sont tantôt de connivence, tantôt de prédation selon les intérêts de chacun. Le rapport entre médias et citoyen est encore plus difficile à traiter, parce que la finalité symbolique dont on a parlé qui est d’informer le citoyen à des fins de débat démocratique est biaisée par celle, pragmatique, de captation : d’un côté, un citoyen qui a besoin de savoir et de comprendre pour s’insérer dans les débat public, mais en même temps un citoyen gourmand des drames du monde et aimant se laisser émouvoir ; d’un autre côté, une instance d’information qui voudrait éclairer l’opinion publique, mais qui ne cesse de satisfaire aux divers désirs de dramatisation et finit par fausser le débat social.

Ce n’est qu’en agissant sur les possibles dérives de la machine médiatique et du discours journalistique que pourra s’établir un certain équilibre entre éthique de conviction et éthique de responsabilité.

Notes

[1] En l’occurrence, le religieux fait partie du culturel.
[2] Les médias et l’information. L’impossible transparence du discours, De Boeck-Ina, Louvain-la-Neuve, 2005.
[3] Idem. p.64
[4] Idem, p.71-73
[5] Voir l’entrée "Situation de communication", in Dictionnaire d’analyse du discours, Le Seuil, Paris, 2002.Dico
[6] Tout n’est donc pas joué par avance dans la situation de communication comme le suggérait P. Bourdieu dans Ce que parler veut dire, Fayard, Paris 1982.
[7] Ayant été sollicité par la revue Semen (n°22) pour écrire un article sur le positionnement énonciatif dans le discours journalistique qui constitue la base sur laquelle je m’appuie pour mettre en place la problématique de l’éthique dans les médias, je me vois contraint, à mon tour, de reprendre ici une grande partie de cet article.
[8] N’oublions pas que les conditions du contrat de communication sont à considérer comme constituant un « idéal-type ». On verra plus loin, ce qu’il en est.
[9] Pour la question de l’effacement énonciatif, voir Alain Rabatel, "L’effacement de la figure de l’auteur dans la construction événementielle d’un "journal" de campagne électoral et la question de la responsabilité, en l’absence de récit primaire".
[10] Voir Les médias et l’information, op.cit., p.111.
[11] A. Prost, Douze leçons sur l’histoire, Le Seuil, Paris 1996.
[12] Voir "Quand l’argumentation n’est que visée persuasive. L’exemple du discours politique", in Marcel Burger et Guylaine Martel ; Argumentation et communication dans les médias, Editions Nota Bene, Québec, 2005.
[13] Lire à ce propos l’excellente étude de Cyrile Lemieux, Mauvaise presse, Métailié, Paris, 2000.
[14] On se reportera à l’article "faux débats et faux-fuyants. De la responsabilité des journalistes dans l’élection du 21 avril 2002" publié dans Duclert V. Procasson C. et Simon-Nahum P. Il s’est passé quelque chose : le 21 avril 2002, Denoël, Paris 2003, pp.19-41, qui montre la responsabilité del machine médiatique dans l’élection de 2002.
[15] Interview in Télérama n°3022 du 12 décembre 2007.
[16] La télévision et la guerre. Déformation ou construction de la réalité ? Le conflit en Bosnie (1990-1994), Ina-De Boeck, Bruxelles, 2001.
[17] On se reportera à l’analyse que Manuel Fernandez (2001) a mené dans l’étude que le Centre d’Analyse du Discours a consacré au conflit en ex-Yougoslavie, pour en voir la catégorisation.
[18] Voir La télévision et la guerre, op.cit., p.148.
[19] On se reportera une fois de plus à l’article mentionné en note 12.
[20] Dits, Écrits, 1978-1988, Quatro-Gallimard, Paris, 2001, p.418.
[21] La télévison et la guerre, op.cit., p.151.
[22] Pour cette question, voir aussi notre Petit traité de politique à l’usage des citoyens, Vuibert, Paris, 2008.
[23] Le savant et le politique, La découverte/Poche, Paris, 2003.

http://rue89.nouvelobs.com/2011/12/01/quoi-reconnait-un-grand-discours-de-sarkozy-227106

 


Date: 2015-12-11; view: 789


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Une éthique des médias est-elle possible ? | B. MAKSUD DAN TUJUAN
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