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In Ollivier-Yaniv C. et Rinn M. (dir.), Communication de l’État et gouvernement social, Presses Universitaires de Grenoble, 2009

Il n’y a pas de société sans discours propagandiste

in Ollivier-Yaniv C. et Rinn M. (dir.), Communication de l’État et gouvernement social, Presses Universitaires de Grenoble, 2009

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Étant donné la propension à notre époque, de la part des milieux journalistiques et de certains intellectuels, à traiter de questions psychologiques et sociales sans définir termes, notions et concepts, je voudrais tenter ici de catégoriser, à l’intérieur de la visée d’influence des actes de langage le phénomène du « discours propagandiste » que, pour l’instant, je distinguerai de la notion de « propagande ». Et pour cela, il me faut commencer par dire ce qui me semble utile d’éviter de faire.

Tout d’abord, éviter de partir de notions préconçues, c’est-à-dire définies de façon plus ou moins essentialisées, qui sont prises pour argent comptant, et dont on ne sait pourtant si elles sont bien distinguables. Par exemple, autour de la notion vague de manipulation circulent des termes tels que propagande, rumeur, désinformation, endoctrinement, intoxication, complot, conjuration, conspiration, et même, bien sûr, publicité comme parangon de la manipulation des esprits à des fins marchandes. Comment les distinguer ? d’autant qu’ils sont souvent employés les uns pour les autres. Parfois, il est vrai, on avance des critères de distinction. Par exemple, la propagande se distinguerait de la rumeur en ce que la première serait volontaire et non la seconde ; mais on sait que, d’une part, il y a des rumeurs qui sont lancées volontairement puis entretenues périodiquement par ce que l’on appelle « des fuites », prenant ainsi des allures de propagande, d’autre part, il y a des discours de propagande bien calculés et ciblés qui échappent à leurs auteurs, s’étendent au-delà de leur cible se convertissant en rumeur. Par exemple, on veut distinguer propagande d’endoctrinement en réservant la première au domaine politique et le second au domaine religieux ; mais l’existence des régimes totalitaires nous montre que les deux se confondent dans une sorte de « social divin » comme le suggéra Durkheim. Quant à la désinformation, n’est-elle par présente aussi bien dans la propagande et l’endoctrinement que dans la rumeur ?

A cette difficulté de distinction de ces notions s’en ajoute une autre : celle de l’a priori moral qui affecte ces différentes notions et qui empêche de les analyser dans leur fonctionnement. La manipulation est-elle toujours mal intentionnée, et n’est-elle pas toujours le fait de l’autre ? Ne peut-on considérer que séduire l’autre, c’est toujours le manipuler pour le meilleur ou pour le pire ? C’est le problème qui nous est posé par les discours « révisionnistes » : sont-ils des pures manipulations de l’opinion publique à des fins électorales, des tentatives de contre-propagande qui considèrent que c’est le discours inverse qui est propagandiste, procèdent-ils de convictions sincères qui voudraient établir une certaine vérité ? La plupart du temps, nous balayons ces questions tant il nous paraît insupportable d’accepter ces discours. Enfin, qu’en est-il des mythes et légendes qui, à certaines époques et encore actuellement dans certaines cultures, tiennent lieu, par leurs récits épiques et épidictiques de modèles de vie qu’il faudrait suivre à tout prix ?



Éviter encore, d’analyser ces notions dans la totalité du circuit de communication sociale, comme cela est fait dans certains écrits, car il est bien difficile d’y établir des rapports de causalité certains ; par exemple, si l’on prend le cas de la Vache folle, ou maintenant de la Grippe aviaire, on a vue —et on voit— s’entrecroiser : un discours spécialisé, celui de chercheurs qui analysent en laboratoire, avec leurs connaissances, le phénomène et tentent de mesurer le risque épidémiologique en termes probabilistes, et ce, sans motivation morale ; des discours qui circulent dans divers milieux, politiques, juridiques, économiques, et qui eux sont porteurs des intérêts en jeu dans chacun de ces milieux ; les discours qui sont diversement mis en scène, voire en spectacle, par les médias avec leurs effets de grossissement et d’essentialisation dramatisante ; le tout arrivant de façon fragmentée et dispersée aux yeux et aux oreilles d’un public lui-même hétérogène mais qui peut avoir des réactions collectives tantôt de résistance, tantôt de panique, selon son état d’esprit au regard du sentiment d’insécurité qui l’anime. C’est cet ensemble de connaissances plus ou moins expertisées qui se trouve à l’origine des prises de décision, et qui sont motivées par des raisons propres aux enjeux de l’action politique. On voit, qu’il est bien difficile d’établir une chronologie dans la chaîne de causalités, et de vérifier, à chaque instant la validité des discours qui circulent. Par exemple, des experts militaires prétendent que la guerre des Russes en Tchétchénie a été montée de toutes pièces par un pouvoir politique russe qui voulait à tout prix éviter le démembrement de l’empire soviétique, en provoquant et faisant circuler la rumeur de l’existence d’un groupe terroriste enraciné au Daghestan, en enclenchant une série d’attentats spectaculaires, ce qui justifia un discours de croisade contre le terrorisme et permis, par là même, une alliance de circonstance avec l’Amérique de Bush. Beau scénario de film d’espionnage comme an temps de la guerre froide, mais quelle preuve a-t-on de sa réalité ?

Enfin, éviter de confondre les points de vue d’analyse, car une chose est l’intention de sens que peut avoir un locuteur en produisant un discours, autre chose les sens possibles que peut véhiculer le discours produit, autre chose encore les effets que construit ou reconstruit le récepteur. Ces effets, il faudrait pouvoir les observer, les décrire, voire les mesurer, car c’est à travers les effets réellement produits que l’on voit si les discours visés s’avèrent effectivement manipulatoires. Or, on le sait, la question de l’étude de la réception des discours est délicate à étudier. Si, par exemple, on suit le modèle de Yale (Mc Guire) [1], on apprend que le réception d’un message dépend : (i) des possibilités d’exposition des récepteurs potentiels aux messages ; (ii) de l’exercice attentionnel des récepteurs qui dépend des catégories de populations et des circonstances contextuelles dans lesquelles sont reçus les messages (crises, intérêts, menaces, …) ; (iii) des facultés decompréhension qui correspondent à la position que le groupe occupe dans le monde du savoir ; (iv) des mouvements d’acceptation/rejet qui ne sont pas nécessairement liés à la compréhension des messages mais bien plutôt à l’état émotionnel du groupe ; (v) enfin, des facteurs de résistance au changement qui empêchent ou permettent transformation et évolution des comportements.

J’ai déjà proposé, pour clarifier méthodologiquement la posture d’analyse vis-à-vis de ces phénomènes, de distinguer trois lieux de pertinence : celui de la Production comme lieu des conditions de production des discours, celui de la Réception comme lieu des conditions d’interprétation des discours, et entre les deux, celui du Produit comme lieu de configuration des discours et des effets signifiants possibles, faisant le lien entre les effets visés du lieu de production et leseffets produits du lieu de réception [2]. C’est donc dans ce lieu des effets possibles que je me situerai.


Date: 2015-12-11; view: 792


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