Vingt-six ans qu'il transporte des Parisiens de 5 h 25 du matin à 12 h 15. Presque toujours sur la ligne de métro numéro 8 Balard-Créteil. Jean-Michel Grandjean, 50 ans, ne se plaint pas de son affectation principale : cette ligne a «toujours bonne réputation », contrairement à la numéro 4, Porte-de-Clignancourt - Porte d'Orléans, « touchée par la délinquance », et permet de voir le ciel « pendant un petit quart d'heure ». Quand il se trouve sur la 9, Pont-de-Sèvres - Mairie-de-Montreuil, Jean-Michel voit défiler sur les quais « les femmes en vison du 16e arrondissement et les usagers plus populaires, passée la station République. Avec le métro, les frontières sociales se dessinent parfaitement. »
Ayant parcouru près de 900 000 kilomètres sous Paris, Jean-Michel a largement eu le temps de se livrer à ses petites observations, de s'attacher à la station Madeleine qui lui «rappelle Jacques Brel » ou de déprimer quand il arrive à Porte-de-Charenton, «un endroit tout noir», mais pas de se lasser. Et pourtant: « Au bout de six mois, la routine s'installe. Alors je suis un peu une exception », raconte-t-il. Dans sa cabine, le chanteur de Service Public, groupe composé d'agents de la RATP qui vient de sortir un album pour le centenaire du métro, trompe la monotonie en révisant ses textes. Tout de suite, il s'empresse de préciser que ses distractions ne nuisent pas à la sécurité des voyageurs. L'obsession de Jean-Michel.
«Au moindre excès de vitesse, les sanctions tombent »
La généralisation du pilotage automatique a limité le risque d'erreurs des conducteurs. Les Sprague-Thomson, qui ont disparu de la circulation en 1983, n'avaient pas de compteur. «On apprenait à évaluer la vitesse. Par exemple, quand on pouvait compter les traverses, on savait que l'on ne dépassait pas les six kilomètres heure.» C'était l'époque du «pas vu, pas pris», plaisante Jean-Michel. Mais les inspecteurs effectuaient «des contrôles draconiens. Ils se cachaient dans les niches avec leur chronomètre.» Désormais, la boîte noire enregistre toutes les données et passe au contrôle tous les soirs. « Au moindre excès de vitesse ou non-respect des signalisations en conduite manuelle, les sanctions tombent. »
Pilotage automatique ou pas, il faut toujours guetter une présence sur les voies: un pickpocket qui s'enfuit par un tunnel, un inconscient qui descend du quai pour rattraper son sac, les gamins qui provoquent des haut-le-cœur quand ils font mine de se pousser... Et puis, il y a les suicides. « Leur nombre n'a pas augmenté. J'ai de la chance, cela ne m'est jamais arrivé. Mais il n'y a pas de règle dans ce domaine. Un de mes collègues en a eu neuf! Pour d'autres, le traumatisme a été tel qu'ils n'ont jamais pu reconduire. »
Au temps des Sprague-Thomson, l'électrocution menaçait également les conducteurs. «Les interrupteurs alimentés par du 750 volts étaient très peu protégés. Il ne fallait surtout pas les actionner avec la main gauche, à cause de l'alliance. Un jour, un de mes collègues a reçu une décharge : il a eu l'épaule cassée et un pied brûlé.» Malgré les dangers et le vacarme des moteurs, l'évocation de ces vieilles machines avec ses sièges en bois inconfortables, ses quatre voitures vertes de deuxième classe, et la première en rouge, ne va pas sans un brin de nostalgie. À lui seul, le freinage constituait une aventure. « Il n'y avait pas intérêt à rater son arrêt et à laisser une porte sous le tunnel.»
«6 h 30 d'affilée sans parler à personne c'est parfois difficile»
La solitude du conducteur refait surface: les chefs de train ont été supprimés avec l'automatisation des portes. «Maintenant on est seul. Quand aucun agent ne nous tient compagnie durant quelques stations, 6 h 30 d'affilée sans parler à personne, c'est parfois difficile.» Avec la disparition des chefs de train, reste les conducteurs, pour l'instant. «Météor est notre pire ennemi.» Selon lui, à moyen terme, la profession n'est pas en danger «car les investissements pour automatiser toutes les rames seraient faramineux. Ensuite... Le choix sera politique. » Alors, Jean-Michel ne cède jamais à la tentation du pilotage automatique. Il conduit toujours manuellement car « c'est la raison d'être de sa profession ».
Laure MARCHAND
La Croix, 20 juillet 2000
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Les Sprague-Thomson = les premiers métros aux banquettes de bois.
Météor = le nouveau métro au pilotage totalement automatique, sans conducteur.
Après la lecture.
Exercice 1.
Expliquez les expressions suivantes :
1) Cette ligne a une bonne réputation.
2) Le RATP vient de sortir un album pour le centenaire du métro.
3) Désormais la boîte noire enregistre toutes les données.
4) A lui seul le freinage constituait une aventure.
Exercice 2.
Avec les mots spécifiques que vous trouverez dans le texte, établissez un champ lexical des transports en métro.