Home Random Page


CATEGORIES:

BiologyChemistryConstructionCultureEcologyEconomyElectronicsFinanceGeographyHistoryInformaticsLawMathematicsMechanicsMedicineOtherPedagogyPhilosophyPhysicsPolicyPsychologySociologySportTourism






Biographie du troubadour Raymond Jourdain († après 1178) rédigée au début du xiiie siècle.

Portraits d’hérétiques

Raymond Jourdain fut vicomte de Saint-Antonin, seigneur d’un riche bourg qui se trouve en Quercy ; il fut agréable, généreux, adroit aux armes, et il sut composer des chansons avec beaucoup d’imagination. Il aima la femme de Raymond Amiel de Penne d’Albigeois, lequel était un riche baron ; et la dame était belle et jeune et instruite ; ils avaient l’un pour l’autre plus d’amour que nulle autre créature du monde. Il advint que le vicomte se trouva en guerre contre ses ennemis ; il fut blessé dans une bataille et porté à Saint-Antonin comme mort. Et la nouvelle vint à la dame qu’il était mort ; elle en eut une telle douleur qu’elle entra dans l’ordre des Patarins[1]. Le vicomte guérit de sa blessure, et quand il sut que la dame avait pris le voile, il eut une telle douleur qu’il ne fit plus désormais ni poème ni chanson.

Edition : J. Boutière et A. H. Schutz,

Biographies des troubadours, Paris, 1973, p. 158-160.

 

 

 

2/ Fine de Tauriac face aux inquisiteurs (26 août 1244)

 

DAME FINE, EPOUSE D’ISARN DE TAURIAC

L’an du Seigneur 1244, le 7 des kalendes de septembre, dame Fine, épouse d’Isarn de Tauriac, ayant juré de dire la vérité en matière d’hérésie, dit :

Quand j’étais petite fille, j’ai vu ma mère Braida et ma sœur Esclarmonde parfaites. Ma mère parfaite habitait sa propre maison, et moi j’habitais avec mon frère Pelfort de Rabastens. Je n’ai jamais adoré ces parfaites, ni vu adorer, que je me rappelle. Je n’ai jamais vu ledit Pelfort adorer. A l’époque, les parfaits résidaient publiquement à Rabastens dans leurs maisons.

Il y a quarante ans ou environ.

Item je résidai à Lautrec dans le diocèse d’Albi avec mon mari Aymeric-Sicard. Je vis là la parfaite Boeria, sœur d’en[2] Frésoul de Lautrec résidant publiquement dans sa maison. Et j’ai vu là plusieurs parfaits et parfaites résidant publiquement à Lautrec. J’ai plusieurs fois rendu visite à cette Boeria avec les autres dames, mais je ne l’ai jamais adorée, pas plus qu’un autre parfait, quand j’étais à Lautrec. Et je n’ai jamais adoré depuis, ni vu Aymeric-Sicard avec des parfaits.

Il y a trente ans ou environ.

Item à Villemur dans ma maison, j’ai vu les parfaits Guillaume del Soler et Bernard de Lamothe. Et j’ai vu là Isarn de Saint-Michel, son père Vital Faure et Pierre Pague, qui amenèrent là ces parfaits, Béatrice, femme d’Isarn de Saint-Michel, Mathelio[3] de Cos et Guillemette de Pugnières. Et tous, ainsi que moi, entendirent la prédication de ces parfaits, qui faisaient leur propre éloge et disaient du mal de l’Eglise romaine et des clercs. Ils disaient que l’hostie consacrée n’est que du pain pur et simple, que le mariage et le baptême ne servent à rien, que ce que Dieu a fait ne passera pas, et que la chair de l’homme, une fois morte, ne ressuscite pas. Mais je ne croyais pas que ces erreurs fussent vraies. Et tous, ainsi que moi, adorèrent là ces parfaits trois fois, les genoux fléchis en disant: "Bénissez, bons hommes, priez Dieu pour nous", et eux disaient : "Dieu en soit prié".



Item dans la maison d’en Guinhe, j'ai vu les parfaits Pons Gilabert et son compagnon. Et j’ai vu là na Faïs, veuve de feu Arnaud Hélie, et de même ma nièce Mathelio. Et j’ai vu là na Asmus, maîtresse de la maison où étaient les parfaits. Aucune d’entre elles n’adora les parfaits ou n’entendit leur prédication. Nous étions venues dans cette maison pour rendre visite à na Asmus qui était malade.

Item une autre fois, j’ai vu dans la même maison Pierre Boué et son compagnon, parfaits. Il y avait là la susdite na Faïs, Béatrice de Saint-Michel et Malhoga qui est maintenant la femme de Bertrand de Roquemaure, ma nièce Mathelio et Guillemette de Reynières, femme d’Hugues de Pontous. Nous n’avons pas entendu leur prédication, ne les avons pas adorés, n’avons pas mangé avec eux, ne leur avons rien donné, n’avons rien reçu d'eux, ni moi ni les autres à ma connaissance.

Item à Tauriac dans la maison de Raimond Faure j’ai vu les parfaits Pierre Grailh et son compagnon. Il y avait là les chevaliers Isarn et Maffré de Paulhac, Guillemette Faure, maîtresse de maison, et Orbria, femme de Bérenger de Saint-Jean, à ce qu’il me semble. Nous n’avons ni entendu la prédication ni adoré etc...

Item dans la même maison, une autre fois, j’ai vu les mêmes parfaits. Il y avait là Guillemette Faure, maîtresse de maison, ma fille Bertrande, Bernard de Paulhac et Bernard de la Tour. Nous n’avons pas adoré ni entendu leur prédication, etc... comme ci-dessus.

Item à Tauriac dans la chambre d’en Raigasse, j’ai vu les parfaits Pons Gilabert et son compagnon. Il y avait là les chevaliers Isarn de Tauriac et Bernard de Paulhac, les chevaliers Pierre de la Tour et Maffré, Arbrissa ma fille, et Mathelio, maintenant épouse de Raimond de Gaillac, Pons Faure et Guillemette Faure. Ledit Isarn sortit, et tous les autres entendirent la prédication, moi comprise, et les adorèrent.

Item une autre fois, au même endroit, j’ai vu les mêmes parfaits. Il y avait là le chevalier Bernard de Paulhac et Hugues Boué, un homme instruit que j’avais amené là pour qu’il lise les livres des parfaits et entende ce qu’ils diraient, et se rende compte s’ils disaient du bien ou du mal. Tous entendirent leur prédication, mais n’adorèrent pas et ne mangèrent pas avec eux. Par la suite je dis à cet Hugues de retourner voir ces parfaits, et il me dit qu’il n'y retournerait pas, et qu'ils parlaient mal.

Item j’ai vu une autre fois des parfaits au même endroit. Ils étaient venus là à cause de Pierre de la Tour qui y était malade. Il y eut là ma fille Arbrisa et Guillemette Faure, mais nous n’avons pas adoré ni entendu la prédication. Mais, à la demande dudit Pierre, malade, j’ai envoyé du pain et de l’eau à ces parfaits.

Item j’ai vu dans un bois les parfaits Pons Gilabert et son compagnon. Il y avait là Bernard de Paulhac, Bos, damoiseau[4], Pons de Balbec l’aîné, et, à ce qu’il me semble, ma fille Bertrande. Mais nous n’avons pas adoré ni entendu la prédication.

Item j’ai vu dans ma maison le parfait Guiraud Dalait, et je lui fis faire du feu sur la terrasse couverte. Mais il ne prêcha pas là, et je ne l’ai pas adoré. Il me dit que le Comte de Toulouse, le père de celui qui vit, était alors en Provence, et l’envoyait à Montauban. Je le fis conduire par Jean Olier une partie du chemin.

Item le parfait Pons Touelle vint chez moi, et je l’envoyai à la maison de Guillemette Faure, mais je ne savais pas que c’était un parfait et ne le connaissais pas autrement. Mais quand je voulus lui envoyer de la nourriture ordinaire, il me fit dire de ne lui envoyer que du pain et des oignons. Je compris alors que c’était un parfait, et je ne lui en envoyais pas moins du pain et des oignons. Le lendemain à son départ, je le fis escorter par Pierre de Paulhac et Pons Grailh.

Item j’ai vu près d’une maison, près d’une aire, deux parfaits dont j’ignore les noms. Il y avait là Ermengarde, femme de Pierre-Raimond de Rabastens, ma fille Bertrande, Bernard de Paulhac, Bou de Balbec et Raimond de Costeratier. Mais il n’y eut là ni prédication ni adoration. On ne fit que se voir mutuellement.

Item j’ai vu dans une aire à moi les parfaits Pons Gilabert et son compagnon. Il y avait là Maffré de Paulhac et ma fille Esclarmonde qui était toute petite fille, et ne voulut pas répondre aux parfaits quand ils l’appelaient. Il n’y eut là ni prédication, ni adoration, ni repas.

Item j’ai vu à Villebrumier deux parfaits dont je ne sais pas les noms. Il y avait avec moi Ermengarde, femme de Pierre-Raimond de Rabastens, ma fille Bertrande et Bernard de Paulhac. Mais il n’y eut pas là de prédication ni d’adoration.

(Item requise de dire si elle en a vu ailleurs, elle dit qu’elle ne se le rappelait pas ; mais il se peut qu’elle en ait vu ailleurs, et ait adoré, et si on le découvre, elle ne le nie pas).

Item elle avoue qu’elle a cru un moment que les parfaits étaient de bons hommes, et il y a bien quinze ans qu’elle ne l’a plus cru, qu’elle n’a pas entendu leur prédication, donné ou envoyé, etc... Elle a dit aussi qu’il y a trente ans qu’elle a cru pour la première fois que les parfaits étaient de bons hommes et avaient une foi bonne, et qu’elle entendit leurs erreurs comme il a été dit, et elle a cru comme ils disaient.

Et elle abjura l’hérésie et jura de se tenir aux ordres de l’Eglise.

Témoins Fontanier, archidiacre de Cornès, et monseigneur Guillaume de Concots, et Bernard et Jean, inquisiteurs.

BnF, collection Doat, vol. XXII, Registre d’Inquisition – traduction du latin

 

 


[1] Patarin doit ici être lu comme synonyme de cathare.

[2] La particule « en » permet de désigner les aristocrates masculins ; pour les femmes, on utilise « na ».

[3] Mathelio est un prénom fémini.

[4] Le titre de damoiseau (domicellus) apparaît en France vers 1210. Il désigne les hommes de l’aristocratie qui n’ont pu se faire adouber (devenir chevalier) faute de moyens.


Date: 2015-12-11; view: 1033


<== previous page | next page ==>
Donation de Rainaud de Gandalou (avant 1126) | Why VAT requires EU involvement
doclecture.net - lectures - 2014-2024 year. Copyright infringement or personal data (0.008 sec.)