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Une hausse du niveau de vie

 

En 1889, lorsque Charles Booth (1889) décrit la population de Londres, il estime que 30% des habitants vivent dans la misère, dont 8,5% en état de pauvreté primaire (leurs revenus ne suffisent pas à se nourrir, s’habiller et se loger) et 22%, de pauvreté secondaire (arrivent tout juste à se nourrir, s’habiller et se loger en période de prospérité, mais non à mettre de l’argent de côté afin de se prémunir contre le chômage, le maladie ou l’accident. En 1899-1901, Seebohm Rowntree présente un tableau similaire pour York, ville du Nord de l’Angleterre.

 

La situation s’est pourtant améliorée. Entre 1851 et 1910, les salaires nominaux des ouvriers doublent. Ils s’accroissent d’un tiers entre 1880 et 1914. Quant aux salaires réels, ils augmentent de 60% de 1860 à 1900, en raison de l’effondrement des prix des matières premières et de produits manufacturés. L’alimentation des ouvriers britanniques s’améliore en quantité (doublement de la consommation de 1860 à 1910) et en qualité : vers 1870-80, les importations de viande de Nouvelle-Zélande, d’Australie et d’Amérique du Sud s’envolent grâce à l’entrée en service des premiers cargos réfrigérés ; elles profitent essentiellement aux ouvriers pour qui la viande britannique, de meilleure qualité, était jusque là hors de leur portée. La confiture, le chocolat, la margarine, le bacon entrent dans l’alimentation populaire grâce aux importations à bas prix de sucre, de cacao, de graisses, mais aussi la grande distribution et la production à grande échelle. L’augmentation des salaires ouvriers et de l’effectif des classes moyennes favorise l’essor de la consommation de produits manufacturés et les dépenses de loisirs. Le tourisme se développe à grande échelle avec la fondation de cités balnéaires plus démocratiques (Blackpool). Outre l’essor des courses de chevaux et de lévriers, apparaissent les premiers clubs de football professionnels (Wolverhampton Liverpool, Londres).

 

Dans l’espace et dans le temps, se rencontrent de fortes disparités de niveau de vie, en raison notamment du chômage. Il existe de façon endémique dans les vieux comtés industriels. Il explose avec la « Grande Dépression », atteignent 20% dans les vallées galloises. Mieux payés certes, les ouvriers craignent par-dessus tout de perdre leur emploi, la plupart ne bénéficiant pas de l’assurance chômage. Il s’ensuit, à partir du milieu des années 1870, une radicalisation des relations avec le patronat. La hausse du niveau de vie rend les cotisations syndicales accessibles au plus grand nombre d’ouvriers. Le nombre des syndiqués explose : moins d’1 million en 1885 (mais déjà 10% des ouvriers de sexe masculin, 2 millions en 1905, 4 millions en 1914. La nature du syndicalisme change aussi : aux syndicats de métiers traditionnels, modérés, apolitiques, organisés autour de sociétés de secours mutuel, succèdent de plus en plus d’autres, plus militants et radicaux, gagnés au socialisme, parfois au marxisme (syndicat des mineurs, 1888). Tous ces syndicats se ressemblent en une confédération nationale, le Trade Union Congress (TUC). Son rapprochement avec les intellectuels socialistes (Beatrice et Sydney Webb), en rupture avec le parti libéral, débouche, en 1906, sur le Labour Party, fruit de quinze ans d’activisme politique sous diverses dénominations.



 

 

Conclusion

 

L’expérience de la « Grande Dépression » a suscité, on l’a vu, un grand débat autour des facteurs économique du déclin (F. Crouzet, 1978). Trois types d’interprétation ont été mis en avant de manière générale.

1/ L’explication conjoncturelle. Selon cette thèse, la demande globale n’aurait augmenté que lentement en Grande-Bretagne à partir de années 1870 (S.B. Saul, 1985), en raison des médiocres progrès des exportations et d’un marché intérieur en moindre croissance. Elle s’appuie sur deux observations peu contestables : la baisse du taux de croissance des exportations britanniques à la fin du XIXe siècle et le fait qu’à partir de 1873, la contribution des exportations à la croissance devient plus faible. La « Grande Dépression » frappe plus durement la Grande-Bretagne parce que son économie est plus fortement engagée dans le commerce international. Paul Bairoch (1976) ajoute que la baisse des revenus agricoles a eu un effet sensible en Grande-Bretagne sur la demande d’articles manufactures.

 

Ce type d’explication, si elle comporte une part de vrai, oublie cependant que la « Grande dépression » frappe tous les pays, que l’économie britannique n’est que peu touchée par la crise agricole et qu’elle est avantagée par le choix de la cheap food. De plus, l’explication conjoncturelle omet le fait qu’au début du XXe siècle, la productivité évolue de façon inquiétante, alors même que la Grande Dépression est terminée. Joseph A. Schumpeter a fait l’hypothèse que, jusqu’en 1870, la croissance de la Grande-Bretagne se fonde sur l’application de plus en plus générale des grandes innovations technologiques de base de la révolution industrielle. Après 1870, ces grandes innovations perdraient leur effet d’entraînement et de rendement croissant. Les années 1870 à 1890 constitueraient donc une période d’« accalmie technologique ». Celle-ci n’est pas évidente : non seulement la diffusion de la machine à vapeur se poursuit, mais c’est la grande époque de la révolution de l’acier.

 

2/ L’explication par les facteurs de production. Selon la thèse traditionnelle, à la fin du XIXe siècle, la Grande-Bretagne aurait souffert d’une détérioration de sa position du point de vue de ses ressources naturelles. Cette thèse n’est pas soutenable, car la Grande-Bretagne ne souffre d’aucune infériorité par rapport aux autres pays européens : elle exerce même sa prépondérance pour tous les grands marchés de matières premières (D.S. Landes, 1975). L’approche comparative, telle que celle développée par Sir John Habakkuk (1953) présente en revanche un grand intérêt (voir chapitre 6). Le fait que les industriels britanniques, entre 1873 et 1896, aient fait peu d’efforts pour accroître la productivité de leur main-d’œuvre, au contraire des Etats-Unis, constitue une explication recevable de la « Grande dépression ».

 

N’y-a-t-il pas eu insuffisance des investissements intérieurs ? Selon des auteurs comme Sydney Pollard (1989), la lenteur de la croissance et des progrès techniques en Grande-Bretagne serait due à une insuffisance des investissements intérieurs, explicable par des investissements excessifs à l’étranger (John Meynard Keynes). Cette analyse n’est pas incontestable, car le taux de formation nette de capital fixe n’a été élevé à aucun moment en Grande-Bretagne (selon Simon Kuznets, le taux de FNCF atteint 7% en 1855-74, 6,8% en 1875-1894, 7,7% en 1895-1914). C’est en fait seulement de 1905 à 1914 qu’il tombe à un pourcentage inférieur à celui des investissements à l’étranger. De plus, l’essentiel des investissements intérieurs a toujours été affecté aux transports, aux logements et autres équipements de base. Enfin, il est loin d’être démontré que la séparation de la banque et de l’industrie, comme au Royaume-Uni, ait handicapé ce pays face à l’Allemagne et à ses Grosse Banken, cumulant ces fonctions de banques de dépôt et de banques d’affaires (Peter Mathias, 1983).

 

3/ L’explication par les exportations de capitaux. De fait, entre 1873 et 1914, l’on observe deux vagues d’exportation de capitaux : la première débute dans les années 1880, s’amplifie à partir de 1886, à destination des Etats-Unis, de l’Australie et de l’Argentine. Brisée par la crise Baring (1890), elle fait place, dans les années 1890, à un net recul des investissements extérieurs, sauf en Afrique du Sud. Puis, au début du XXe siècle, s’ouvre une reprise vigoureuse (voir chapitre 12). Au total, avec plus de 2 milliards de livres investis à l’étranger en 1900, le Royaume-Uni est, de loin, le premier pays créancier du monde. Les conséquences positives pour les pays récepteurs ne font pas de doute, en particulier pour les futurs dominions, ni non plus leur effet stimulant sur l’expansion du commerce mondial.

 

Les effets pour la Grande-Bretagne elle-même font débat. Selon Eric J. Hobsbawm (1977), le pays surmonte ses difficultés économiques internes, à la fin du XIXe siècle, en réorientant de plus en plus ses exportations vers les pays coloniaux et sous-développés, en exploitant à fond sa dernière grande innovation, le navire à vapeur en fer, en développant ses fonctions d’intermédiaire, d’assureur et de banque. L’apogée financier compenserait donc le déclin industriel. Cette analyse rejoint celle d’autres historiens : William P. Kennedy (1987) estime que l’allocation de l’épargne a limité le potentiel de croissance et les changements de structure de l’économie britannique ; Philip L. Cottrell (1980) souligne que les capitaux exportés étaient en fait un surplus disponible qui aurait pu stimuler la croissance de l’économie.

 

Une telle vision paraît excessive. Certes les revenus des investissements extérieurs ont pu masquer certaines déficiences sérieuses de la structure industrielle de la Grande-Bretagne, mais il ne fait pas de doute que les exportations de capitaux ont eu des effets tout à fait positifs pour la Grande-Bretagne elle-même (François Crouzet, 1978) : stimulation des exportations britanniques de biens d’équipement (il existe une corrélation entre exportations de marchandises et exportations de capitaux) ; diminution du coût des importations et ravitaillement meilleur marché pour la Grande-Bretagne grâce aux investissements dans la construction des chemins de fer et des ports en Amérique du Nord, Argentine et Australie, qui favorisent les exportations de ces pays en direction des ports britanniques.

 

De plus, il n’existe aucune preuve que les exportations de capitaux aient privé l’industrie britannique de fonds et maintenu des taux d’intérêt intérieurs à un niveau plus élevés qu’ils n’auraient dû l’être. En fait, la concurrence entre les deux types d’investissement est marginale (Michael J. Edelstein, 1971), en raison de la spécialisation des institutions financières britanniques et de l’absence de préférence nette des investisseurs pour les grosses émissions des gouvernements. Donald N. McCloskey conforte cette analyse : les imperfections du marché financier n’ont pas provoquer qu’une très faible diminution du taux de croissance du produit national. Pour S.B. Saul, le problème des effets sur l’industrie des investissements extérieurs n’est pas capital. En revanche, le fait grave réside dans la stagnation des profits après 1873, parce que beaucoup d’industriels ne désirent pas emprunter sur le marché des capitaux (S.B. Saul, 1985).

 


Date: 2015-12-11; view: 1197


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