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L’industrie : moteur de la croissance ?

 

Vers 1860, l’industrie britannique domine le monde :

 

Tableau 10 – Part du Royaume-Uni dans la production industrielle mondiale en 1860 (en %)

 

Fer
Houille, lignite
Coton brut

Source : Paul Bairoch (1976), François Crouzet (1978).

 

Elle a réalisé sa percée durant les années 1815 et 1830, ensuite, sa croissance se ralentit. Mais l’industrie conserve son rôle moteur. En effet, les estimations des spécialistes apparaissent plutôt convergentes pour la période mid-victorienne :

 

Tableau 11 – Taux de croissance annuels moyens de la production industrielle durant la période mid-victorienne

 

Rostow (1948) 1847-1873   + 3,2
Deane et Cole (1968) 1840-49 à 1850-59 1850-59 à 1860-1869 1860-69 à 1870-1879   + 3,4 + 2,5 + 2,9
Lomax (1969) 1839-1860 1860-1877   + 3,2 + 3,0
Floud & McCloskey (1995) 1850-1870   + 2,9

 

Le ralentissement, s’il s’amorce vers 1860, se manifeste, pour l’essentiel, à partir de la Grande dépression (voir chapitre 9) : en effet, en longue période, de 1800 à 1913, le taux de croissance annuel moyen de l’industrie n’est que 2,5% (F. Crouzet, 1978).

 

Elle bénéficie d’un élargissement continu du progrès technologique (développement du factory system autour de la machine à vapeur, apparition de nouvelles fabrications, transformation des produits existants), mais aussi de sa concentration sur un petit nombre de branches dominantes. Les trois plus grandes (mines, métaux, textiles) représentent à elles seules 49%. Deux autres représentent chacun un peu plus de 10% chacune : le bâtiment et les industries agricoles et alimentaires. Au total ces cinq branches emploient donc plus des deux tiers des travailleurs de l’industrie, proportion demeurée stable jusqu’en 1911 au mois.

 

Tableau 12 – Répartition de la main-d’œuvre industrielle en Grande-Bretagne (en % du total)

 

 
Mines et carrières 7,4 8,7 9,9
Bâtiment et travaux publics 12,8 11,0 14,2
Production et transformation des métaux 12,9 12,7 16,5
Industries textiles 28,9 28,7 21,1
Habillement 18,2 20,2 17,0
Industries alimentaires 10,1 8,0 9,6
Autres industries 9,7 9,8 11,8

Source : François Crouzet (1978).

 

L’industrie textile reste de loin le secteur prépondérant : en 1850, elle représente 25% de la valeur industrielle (Walter Hoffmann, 1956) contre 14 à la métallurgie et 9 aux mines. Bénéficiant d’une puissante et vénérable industrie lainière, la Grande-Bretagne a été le premier pays à passer du domestic au factory system. Sa croissance, forte de 1841 à 1860, est brisée par la Guerre de Sécession ; elle reprend, à partir de 1865, à un rythme (Ch. Feinstein, 1972). L’industrie textile a été la branche motrice de l’industrie britannique au moins jusqu’aux années 1840. Ensuite, elle est progressivement rattrapée, puis dépassée par l’industrie métallurgique. En outre, il n’existe pas une, mais des industries textiles, au sein desquelles l’industrialisation s’effectue de manière inégale et à des dates variables. En outre, la modernisation de l’industrie britannique s’est faite de l’amont vers l’aval, c’est-à-dire de la filature vers le tissage.



 

L’industrie cotonnière est la plus importante de toutes :

 

Tableau 13 – Effectif de la main-d’œuvre employée par les différentes industries textiles

 

Coton 527000 personnes
Laine 284000 personnes
Lin et chanvre 103000 personnes
Soie 133000 personnes
Bonneterie et dentelle 129000 personnes

Source : P. Mathias, 1983.

 

Son rôle dans le démarrage économique a été discuté, mais non son importance stratégique. Elle a constitué un leading sector pour l’ensemble de l’industrie textile en Grande-Bretagne et à l’étranger (mécanisation), mais aussi pour les exportations britanniques, même si sa croissance s’infléchit à partir du milieu du siècle. Elle bénéficie d’une demande en augmentation rapide. Deux facteurs y contribuent : le bas prix des cotonnades par rapport aux autres fibres et l’élasticité forte de la demande. En effet, lorsque le prix des cotonnades diminue, elles se substituent à d’autres fibres.

 

L’industrie cotonnière bénéficie d’une transformation profonde du processus de production. L’innovation technique et la mécanisation se diffusent rapidement dans la filature : la mule jenny (broche semi-automatique) l’emporte complètement après 1830 et la self acting mule (broche automatique) se généralise à partir de 1850. Même si la mécanisation du tissage apparaît nettement plus lente que dans la filature, elle se réalise bien avant les autres industries, vers 1820. La disparition des tisserands à bras commence donc très tôt. Complète dès 1865, elle constitue un drame social, sans que pour autant ils meurent de faim vu dans les workhouses. Elle offre l’exemple le plus net de chômage technologique au XIXe siècle. Certes le développement du factory system a été beaucoup basé sur l’emploi des femmes jeunes et des enfants, moins coûteux et plus dociles, mais le règne de Victoria voit une diminution relative et absolue de l’emploi des enfants dans les usines de coton (Factory Acts de 1833, 1843, 1847, 1850).

 

En matière cotonnière, le Lancashire exerce une prépondérance. S.D. Chapman montre que le triomphe du factory system entraîne de gros investissements, d’où l’élimination de beaucoup de PME, les grandes entreprises réalisant l’intégration de la filature et du tissage mécanique. V.A.C. Gatrell, s’intéressant au cas du Lancashire, observe bien une légère tendance à la concentration et à l’augmentation de la taille des entreprises, mais souligne aussi l’absence de firmes géantes, en l’absence d’économies d’échelle avérées. Le processus de concentration est plutôt géographique, au profit du Lancashire et malgré la résistance de Glasgow : dès 1835, le Lancashire produit 90% des cotonnades. Son essor se trouve brisé par la « famine de coton ». En effet, la guerre de Sécession entraîne l’effondrement des arrivées de coton américain, d’où la recherche de nouvelles sources d’approvisionnement (Inde, Egypte, Brésil) et une spéculation sur les cours plus nuisible pour l’industrie que la pénurie et la cherté. Il s’ensuit une réduction sensible de l’activité et un grave chômage. La reprise, vigoureuse, est tardive et tourne court, avec l’entrée dans la « grande dépression ».

 

La laine connaît une croissance beaucoup moins rapide que le coton. Elle s’accélère son maximum pendant la famine de coton. Elle comporte deux grandes branches, nettement distinctes : la laine peignée et la laine cardée. Le travail de la laine peignée fournit des tissus de qualité, en concurrence avec le coton. Dès l’avènement de Victoria, la filature œuvre déjà pour l’essentiel en usine. Le peignage s’effectue encore à main, mais l’invention de la peigneuse mécanique en quatre ans, les woolcombers très qualifiés et travaillant à main, disparaissent. Quant au métier à tisser mécanique, il se répand rapidement à partir de 1830, d’où la disparition de tous les tisserands à mains dès 1856. L’industrie de la laine cardée demeure longtemps en retard : malgré l’apparition précoce de manufactures en Yorkshire, le tissage à main demeure presqu’entièrement manuel au milieu du siècle. Le contraste entre les deux branches s’étend à leur structure (le peigné suit le modèle cotonnier) et à leur localisation : la laine peignée n’est guère produite qu’en Lancashire, alors que la laine cardée survit aussi dans d’autres régions (Sud-ouest de l’Angleterre, Pays de Galles, Highlands du Sud et Iles Hébrides).

 

Le lin et la soie apparaissent comme des branches en déclin. La production de lin stagne à partir de 1830, même si cette industrie connaît une reprise éphémère à l’époque de la « famine de coton ». Elle tend à se concentrer en Irlande du Nord, tandis qu’en Ecosse (Dundee), son déclin est compensé par le jute, important surtout à partir de 1860. La soie, peu compétitive, ne se développe, entre 1830 et 1860, qu’à cause de droits protecteurs. La mécanisation ne concerne alors que le moulinage et la filature, mais non le tissage. A partir de 1864, la suppression de tout droit protecteur entraîne un boom des importations au profit de l’industrie lyonnaise. Certaines maisons s’adaptent cependant, comme l’entreprise fondée en 1828 par Samuel Courtaulds, qui prospère avec le crêpe noir, puis, plus tard, la rayonne. La bonneterie constitue le grande autorité des Midlands orientaux, où les premières usines apparaissent dans les années 1850, mais les progrès de la mécanisation sont très lents. Quant à la confection et à l’industrie de la chaussure, fortement établies à Leeds, elles sont très affectées par l’introduction de la machine à coudre américaine de Singer, mais elles résistent au factory system.

 

L’industrie métallurgique pèse nettement moins lourd que le textile durant l’époque mid-victorienne. Elle couvre une ensemble d’industries variées, avec de nombreuses exploitations minières (cuivre, étain, plomb) en voie d’épuisement. La sidérurgie connaît alors une pose entre deux révolution technologiques, dont la première s’est engagée fin XVIIIe siècle (fonte au coke, puddlage, laminage), et la seconde survient durant les années 1850, celle de l’acier. La première moitié au XIXe siècle voit une rapide expansion de cette industrie, sous l’effet de l’élargissement de la demande intérieure, mais aussi des exportations (construction des chemins de fer à l’étranger) : entre 1850 et 1859, la métallurgie représente environ 18% des exportations britanniques totales. Le marché intérieur détermine cependant les investissements, d’où une décélération à partir des années 1850 et une redistribution des localisations industrielles : la sidérurgie écossaise, longtemps en avance, est rattrapée par le Sud du Pays de Galles, lieun de grandes entreprises intégrées spécialisées dans la fabrication de rails, et le Sud-Straffordshire, où l’on trouve un grand nombre de PME à la production variées. Les trois régions fournissent les trois quarts de la production lorsque survient la révolution de l’acier.

 

La métallurgie de transformation réunit une nébuleuse d’industries très variées, en croissance plus rapide que celle du textile. L’un des facteurs essentiel de leur essor réside dans le perfectionnement de la construction des machines (surtout les machines-outils). Dans les années 1820 à 1840, les constructeurs se sont multipliés. Il s’agit surtout de PME, même si apparaissent quelques grands entrepreneurs (W. Fairbairn à Manchester). Après 1840, un très grand nombre de progrès de détail, mais cumulatifs, rendent les machines plus puissantes, plus rapides et plus précises, et exercent un effet multiplicateur sur toute l’économie. En dépit de leur dispersion, ces industries se regroupent néanmoins en six constellations régionales : Glasgow (locomotives, construction navales), côte du Nord-Est (constructions navales), Manchester et sa région (machines textiles), Sheffield (armements), Birmingham et Londres. Dans l’ensemble, les petites entreprises dominent, comme dans la coutellerie (Sheffield), mais pas toujours (machines-outils).

 

Les constructions mécaniques constituent l’un des piliers de la puissance britannique. Dans les machines textiles, la Grande-Bretagne préserve son avance jusqu’en 1914, grâce à son ancienneté et à niveau de concentration sans égal. Plus complexe est la situation de la construction ferroviaire, car la production se divise entre les ateliers des compagnies de chemin de fer, apparus dès les années 1840, et les constructeurs privés, en déclin. Ces derniers ne sont qu’une dizaine vers 1870, dont l’activité dépend de plus de l’exportation (Inde, Amérique latine, Afrique du Sud), mais sont soumis à une concurrence croissante (Allemagne, France). Dans la construction des machines à vapeur, la Grande-Bretagne conserve une excellente compétitivité, avec la mise au point, surtout dans les années 1860, des machines marines compound à double ou triple expansion. Les constructions navales montent également en puissance. Elles sont loin d’avoir achevé leur mutation technologique : jusque vers 1850, la Grande-Bretagne fabrique du vapeurs surtout en bois, puis, à partir de 1868, des voiliers neufs surtout en fer. Les années 1865-1874 voient le fer l’emporter sur le bois, tandis qu’à partir de 1870, la vapeur commence à supplanter la voile.

 

Le charbon constitue la dernière des grandes industries motrices. Durant les années 1846-1873 la houille jouit d’une situation de quasi-monopole en tant que source d’énergie. En effet, la Grande-Bretagne bénéficie de réserves énormes et d’un charbon de très bonne qualité et facile à exploiter. Durant la période mid-victorienne, la production s’accroît à un rythme soutenu, sous l’effet de la demande de la grande industrie, du chemin de fer, de la navigation à vapeur et du développement de la consommation de gaz. C’est aussi une grande industrie d’exportation. Les ventes à l’étranger s’accroissent à un rythme très soutenu de 1830 à 1860, puis ralenti, mais supérieur a celui de la demande intérieure. L’essor des exportations découle de l’industrialisation de l’Europe, mais résulte aussi de bases géographiques favorables : plusieurs bassins britanniques (Nord-Est, Sud du Pays de Galles) sont tout près de la mer. Mais cette importance des exportations expose l’industrie charbonnière britannique aux fluctuations cycliques.

 

L’industrie chimique a connu un développement précoce, en grande partie pour répondre aux besoins de l’industrie textile, mais aussi pour le compte d’autres (verre, savon, cuir). Son essor s’appuie sur une série d’innovations : le remplacement des matières premières animales puis végétales, par des matières minérales, l’introduction de nouveaux équipements et la recherche d’économies d’échelle. La chimie minérale repose sur deux productions majeures : celle d’acide sulfurique, à grande échelle, grâce au procédé des chambres du plomb, notamment dans l’usine de Rollex, fondée par Charles Tenant, près de Glasgow, la plus grande du monde en 1841 ; celle de soude, afin de produire des détergents textiles, selon le procédé français Leblanc. Concentrée à Glasgow, sur l’estuaire de la Mersey et celui de la Tyne, le centre le plus puissant, elle apparaît comme une industrie très polluante, suscitant l’intervention de l’Etat. Jusque vers 1880, elle demeure la première du monde, malgré l’irruption, dès 1861, du procédé Solvay, de fabrication de la soude.

 


Date: 2015-12-11; view: 938


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