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Les facteurs de l’offre : travail et capital

 

Une telle pression de la demande implique de façon nécessaire des changements profonds dans les structures économiques, en particulier sur le structure de la population active.

 

Le facteur travail

 

Selon Peter Mathias (1983), la population britannique se caractérise par sa jeunesse, mais aussi un taux élevé d’habitants en âge de travailler :

 

Tableau 5 – Répartition par âge de la population britannique (en % du total)

 

  0-14 ans 15-64 ans 65 ans et plus

Source : Peter Mathias (1983), p. 450.

 

Ce taux s’élève progressivement au cours de la période.

 

En même temps la répartition intersectorielle se modifie :

 

Tableau 6 – Répartition par secteurs de la population employée en Grande-Bretagne (en % du total)

 

 
Agriculture (a)
Industrie et mines (b)
Tertiaire, dont : -Commerce et transports -Services domestiques et personnels -Service de l’Etat, professions libérales et divers

(a) y compris forêts et pêche.

(b) y compris bâtiment.

Source : Deane et Cole, 1969, p. 142.

 

La tendance la plus marquée concerne le déclin de l’agriculture (36% des actifs en 1801 contre 15 en 1871). Il connaît cependant un ralentissement de 1831 à 1861. Ce déclin s’accompagne d’une forte progression de l’industrie (44% des effectifs en 1871 contre 30 en 1801). Sa progression repose sur l’expansion du secteur minier, ce qui ne signifie pas un arrêt de l’industrialisation dès les années 1830. Un autre fait important réside dans les débuts d’une tertiairisation, surtout nette à partir des années 1850 et axée sur les transports, alors que les services non marchands tendent à régresser. Un autre fait important tient à l’apport d’immigrants à la Grande-Bretagne. Il s’agit surtout d’Irlandais : environ 1 million de 185 à 1810), victimes notamment de la terrible famine de 1845-1848, liée à la maladie de la pomme de terre. De 1841 à 1861, la population de l’Irlande chute de 8,2 à 6,6 millions d’habitant. En 1911, elle ne sera plus que de 4,4 millions en raison de l’émigration et de la faible fécondité. Moins nombreux sont les Israélites venus plutôt fin XIXe-début XXe siècle, à Londres essentiellement.

 

En principe l’essor démographique britannique, augmente les disponibilités en main-d’œuvre, des économies d’échelle et facilite la division du travail. De ce fait il exerce un effet stimulant sur la croissance économique, contribuant ainsi à la formation d’une économie mode unifiée sous l’égide de la Grande-Bretagne. Sir H. John Habakkuk (1962) a mis en évidence une réalité plus complexe. Après 1815, la surabondance de main-d’œuvre désavantage à long terme la Grande-Bretagne par rapport aux Etats-Unis. Parce que ces derniers souffrent d’une pénurie de main-d’œuvre par rapport aux autres facteurs (capital, surtout terre), ils offrent des salaires élevés. Ceux-ci poussent à la recherche et à l’adoption rapide de machines et de méthodes permettant d’économiser cette main-d’œuvre et d’en obtenir une productivité élevée, d’où la naissance du « système américain » de manufacture, fondé sur une mécanisation systématique, avec production en série de pièces standardisées et interchangeable et même, plus tard, l’assemblage à la chaîne. En Grande-Bretagne au contraire, l’offre de main-d’œuvre est abondante et élastique. A court terme, ils s’agit d’un facteur favorable, qui encourage la baisse des coûts salariaux et l’augmentation des profits, l’accumulation du capital et l’expansion rapide de secteurs dynamiques. A long terme cependant, une telle situation décourage l’invention et l’adoption de techniques économisant la main-d’œuvre : dès la première moitié du XIXe siècle, il existe une infériorité de la Grande-Bretagne dans certaines branches.



 

Séduisante, cette thèse est aujourd’hui discutée (Samuel B. Saul, 1970, p. 134). En fait, l’infériorité technologique de la Grande-Bretagne n’apparaît qu’à une période postérieure à celle relevée par Habakkuk. Le facteur main-d’œuvre n’est pas forcément responsable. Joue aussi la différence de taille de marché. L’Allemagne en fournit un bon exemple. Elle dispose d’une main-d’œuvre moins chère que celle de la Grande-Bretagne, parce qu’elle ne connaît pas non plus de pénurie de main-d’œuvre. Pourtant, à la fin du XIXe siècle, elle suppose la Grande-Bretagne dans plusieurs domaines. Il convient donc de distinguer entre main-d’œuvre qualifiée et non qualifiée, à la différence de l’Allemagne et des Etats-Unis, où la mécanisation devient rapidement plus grande. C’est pourquoi les Britanniques négligent la production de masse.

 

Le facteur capital

 

Avec le facteur travail, le capital productif constitue la clef de la croissance. Ce capital en bien physique inclut les stocks de marchandises (ou stock-outil), mais non les valeurs mobilières. Son élément le plus important est la formation nette de capital fixe (FNCF) qui mesure l’amélioration apportée au stock de capital par les investissements d’extension ou de renouvellement. Elle intègre la construction de logements et de bâtiment productif, mais non les dépenses d’entretien et de réparation. Si l’on y ajoute les dépenses de remplacement de l’équipement, ou investissements de renouvellement, l’on passe à la formation brute de capital fixe (FBCF). Augmentée des accroissements de stocks, elle devient formation intérieure de capital (FIC). Si l’on y agrège les investissements nets à l’étranger, l’on détermine la formation totale de capital. La formation de capital joue un rôle essentiel dans la processus de croissance, parce que l’investissement (ou formation de capital) incorpore le progrès technique.

 

La formation de capital constitue même le phénomène central de la révolution industrielle, d’où le débat autour du take-off : face à Rostow, pour qui cette révolution résulte d’une accélération soudaine du taux de FBCF, Deane (1968) défend l’idée d’un processus lent et progressifs, les changements techniques et structurels rendant l’industrie plus « intensive » en capital. Le débat s’est déplacé vers la question de l’importance de la FBCF. Des estimations, les plus sérieuses paraissent être celle de Feinstein :

 

Tableau 7 – La formation brute de capital au Royaume-Uni (taux moyens par décennies en % du PNB)

 

  D’après Deane (1968) D’après Feinstein (1972)
Formation brute de capital fixe (1) % Investissements nets à l’étranger (2) % Total (1)+(2) Formation brute de capital fixe (1) % Investissements nets à l’étranger (2) % Total (1)+(2) (a)
1840-1849 6,0 0,7 6,7      
1850-1859 (b) 5,4 2,2 7,6      
1860-1869 5,8 2,9 8,7 7,5    
1870-1879 6,5 3,9 10,4 7,6 4,1 11,7

(a) Ces chiffres n’englobent pas l’augmentation des stocks de matières premières et de marchandises en cours de fabrication (entre 0,3 et 1,3% du PNB). Si l’on inclut cette augmentation, le taux de formation totale de capital, plus large que la FBCF, atteint 13% de 1870 à 1879 selon Feinstein.

 

En 1965, Sydney Pollard avait proposé des ordres de grandeur nettement supérieurs à ceux de Deane, mais les travaux de Feinstein corroborent plutôt les conclusions de Deane.

 

Si des discussions subsistent aussi autour des fluctuations du taux de FBCF (ou de FBC) et du cycle long de croissance du stock de capital, le débat le plus vigoureux tourne autour de la part du PNB consacrée aux investissements, laquelle apparaît étonnement basse. Beaucoup d’auteurs à l’instar de Deane, y voient l’une des causes essentielles de la faiblesse de la croissance britannique. Toutefois, aux investissements internes s’ajoutent ceux effectués à l’étranger. Insignifiants jusqu’au milieu du XIXe siècle (en pas négliger cependant ceux immobilisés en France dans les années 1840), ils s’élèvent ensuite jusqu’à dépasser la FICF. Toutefois, la croissance victorienne s’est réalisée à un niveau modeste et stable d’épargne et d’investissement, avec une croissance lente du stock de capital.

 

La période mid-victorienne voit des transferts intersectoriels non négligeables, à savoir une diminution des investissements et marchandises en cours de fabrication (accélération de la rotation des stocks) et une forte augmentation, quoiqu’irrégulière, de la part des investissements étrangers. La structure de la formation de capital a alimenté une controverse entre Deane (1968) et Feinstein (1972). Le premier estime que les investissements dans les transports et les télécommunications ont constamment dominé à partir des années 1840. Comme les logements ont constitué l’essentiel de la formation de capital non productive, il en déduit que plus des trois quarts des dépenses de formation de capital ont été absorbées par la réalisation des infrastructures de base. Feinstein conteste cette analyse : pour lui Deane sous-estime beaucoup les dépenses de machines et d’outillage et, donc, exagère celle affectées aux transports et aux télécommunications.

 

Le financement de l’économie britannique s’effectue, dans une très large mesure, par autofinancement (D. Barjot et I. Lescent-Giles, 1999). Dans leur immense majorité, les entreprises industrielles et commerciales du XIXe siècle sont des entreprises individuelles ou des partnerships de quelques associés, souvent apparentés ou ayant des liens d’amitié. Le capital de départ est alors constitué par les apports des associés actifs, à quoi s’ajoutent souvent ceux de sleeping partners. L’expansion de ces entreprises est assurée par autofinancement, ce qui n’exclut pas des investissements externes (achat de domaines fonciers ou de valeurs mobilières, en particulier ferroviaires).

 

Au XIXe siècle, le nombre de sociétés anonymes par actions s’accroît, ce qui s’accompagne d’un appel à un très large public (F. Crouzet, 1978). Longtemps l’opinion publique et la législation y sont hostiles : ce n’est qu’en 1856 et 1862 que sont levés les derniers obstacles à la formation de ce type de sociétés. S’il ne faut pas exagérer l’importance de la législation, l’utilisation de ces formes nouvelles varie selon les secteurs de l’économie. La SA apparaît comme la forme normale de constitution des compagnies ferroviaires. A partir des années 1840, l’apparition des titres de chemin de fer élargit l’activité du Stock Exchange de Londres et suscite la création de bourses de valeurs en province. La SA prédomine dans les secteurs où elle existait déjà avant 1825, date des premières créations non soumises au Parlement : compagnies de docks et d’installations portuaires, de gaz et d’eau, de navigation, de télégraphe et d’assurances. Dans l’industrie, peu d’entre elles réussissent et durent, en dépit des créations effectuées lors des booms spéculatifs (comme en 1836).

 

Les lois de 1856 et 1862 ouvrent la voie à la corporate economy, mais surtout dans des industries en changement rapide, où se créent des public companies par transformation d’entreprises anciennes : sidérurgie, chimie, constructions navales, brasseries. Les partnerships familiales continuent à dominer dans les industries textiles, la métallurgie de transformation, la céramique, les commerces de gros et de détail. C’est pourquoi, en 1885, sont créées les limited companies : elles ne représentent que 5 à 10 % des entreprises industrielles importantes en 1914, sauf dans quelques branches. Quant à la Bourse, elle continue à s’occuper surtout des rentes et des titres des compagnies de chemin de fer, britanniques ou étrangères. Le rôle de la Bourse et du marché financier demeure marginal (Peter Mathias, 1983), d’autant plus qu’il est rare qu’une nouvelle société se constitue d’emblée en SA et obtienne son capital par émission publique d’actions au London Stock Exchange. Les émissions en Bourse sont principalement le fait de grandes entreprises bien établies et connues. De fait les actions des sociétés industrielles, considérées comme peu sûres, ne sont pas acquises par de petits épargnants, mais par des investisseurs riches et par des institutions.

 

Les dirigeants des entreprises faisant appel à des capitaux extérieurs sont décidés à se couvrir du risque de perdre le contrôle de leurs affaires par différents moyens :

- en conservant la majorité des actions. Quand ils passent de partnership à joint stock company, ils n’en écoulent à l’extérieur qu’une minorité.

- En émettant plutôt des obligations (debentures) ou des actions de priorité (preference shares). Celles-ci bénéficient d’une priorité sur les actions ordinaires en matière de dividendes et, souvent, d’une garantie d’intérêt, mais n’ont pas de droit de vote.

- En recourant à la private company.

En définitive, le développement des public companies a surtout renforcé la suprématie des grandes entreprises bien établies et des familles les contrôlant. La Bourse n’a pas contribué de façon notable aux investissements à long terme de l’industrie britannique. Quant aux banques, leur rôle fut limité, mais pas aussi négligeable qu’on l’a dit longtemps (Peter Collins et Mae Baker, 2007).

 

 

La Grande-Bretagne a tiré avantage des gains de productivité réalisés par elle. Ces gains ont été mesurés par Charles Feinstein (1972) :

 

Tableau 8 – Evolution du taux de croissance de la productivité du travail et de la productivité globale des facteurs de production en Grande-Bretagne de 1855-1857 à 1911-1913

 

Productivité horaire du travail + 1 %
Productivité globale des facteurs de production + 0,8 %

Source : Charles Feinstein (1972)

 

S’intéressant à la productivité totale des facteurs, qui mesure l’amélioration de l’efficacité combinée de l’utilisation du facteur travail (la main-d’œuvre) et de la mobilisation du capital productif (bâtiments et machines), Jean-Pierre Dormois (1994) a estimé les gains réalisés à 0,8% par au en moyenne pour l’ensemble de l’économie de 1850 à 1873, mais à 0,9% dans l’agriculture et 1% dans l’industrie. Les disparités intersectorielles doivent donc être prises en compte.

 


 


Date: 2015-12-11; view: 688


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