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L'hypothèse MacMillan 5 page

«Donc, notre mère est en train de mourir... coupa Michel, soucieux d'en venir au fait.

— Absolument! Au Cap d'Agde c'est pareil, il paraît qu'ils ont interdit au public la zone de dunes. La déci­sion a été prise sous la pression de la Société de pro­tection du littoral, qui est complètement aux mains des écologistes. Les gens ne faisaient rien de mal, ils partouzaient gentiment, mais il paraît que ça dérange les sternes. Les sternes, c'est une variété de piafs. Au cul les piafs!» s'anima Bruno. «Ils veulent nous empêcher de partouzer et de manger du fromage de brebis, c'est des vrais nazis. Les socialistes sont complices. Ils sont contre les brebis parce que les brebis sont de droite, alors que les loups sont de gauche, pourtant les loups ressemblent aux bergers allemands, qui sont d'extrême droite. À qui se fier?» Il hocha sombrement la tête.

«Tu es descendu à quel hôtel à Nice? demanda-t-il subitement.

— Au Windsor.

Pourquoi le Windsor?» Bruno recommençait à s'énerver. «Tu as des goûts de luxe, maintenant? Qu'est-ce qui te prend? Personnellement (il martelait ses phrases avec une énergie croissante), je reste fidèle
aux hôtels Mercure! Est-ce que tu as au moins pris la peine de te renseigner? Est-ce que tu savais que l'hôtel Mercure «Baie des Anges» a un système de tarifs dégressifs suivant la saison? En période bleue, la cham­bre est à 330 francs! Le prix d'un deux étoiles! Avec un confort institutionnel de type trois étoiles, une vue sur la promenade des Anglais et un room service 24 heu­res sur 24!» Bruno hurlait presque, maintenant. Mal­gré le comportement quelque peu extravagant de son client, le patron de Chez Gilou (s'appelait-il Gilou? c'était vraisemblable) écoutait avec attention. Les his­toires d'argent et de rapport qualité-prix intéressent toujours beaucoup les hommes, c'est chez eux un trait caractéristique.

 

«Ah, voilà Ducon!» fit Bruno d'un ton guilleret, tout à fait changé, en désignant un jeune homme qui venait d'entrer dans le café. Il pouvait avoir vingt-deux ans. Vêtu d'un treillis militaire et d'un tee-shirt Greenpeace, il avait le teint mat, des cheveux noirs tressés en petites nattes, bref il suivait la mode rasta. «Bonjour Ducon, fit Bruno avec entrain. Je te présente mon frère. On va voir la vieille?» L'autre acquiesça sans un mot, pour une raison ou une autre, il avait apparemment décidé de ne pas répondre aux provocations.

Le chemin quittait le village et montait en pente douce, à flanc de montagne, en direction de l'Italie. Après une colline élevée ils débouchèrent dans une val­lée très large, aux flancs boisés, la frontière n'était qu'à une dizaine de kilomètres. Vers l'Est, on distinguait quelques sommets enneigés. Le paysage, parfaitement désert, donnait une impression d'ampleur et de séré­nité.



«Le médecin est repassé, expliqua Hippie-le-Noir. Elle n'est pas transportable, et de toute façon il n'y plus rien à faire. C'est la loi de la nature... dit-il avec sérieux.

- T'entends ça? railla Bruno. T'as entendu ce gui­gnol? La «nature», ils ont que ce mot-là à la bouche. Maintenant qu'elle est malade ils sont pressés qu'elle crève, comme un animal dans son trou. C'est ma mère, Ducon! fit-il avec grandiloquence. Et t'as vu son look? reprit-il. Les autres sont pareils, même pires. Ils sont complètement à chier.

- Le paysage est très joli, par ici...» répondit dis­traitement Michel.

 

La maison était vaste et basse, en pierres grossières, recouverte d'un toit de lauzes, elle était située près d'une source. Avant d'entrer, Michel sortit de sa poche un appareil photo Canon Prima Mini (zoom rétractable 38-105 mm, 1 290 F à la FNAC). Il fit un tour entier sur lui-même, visa très longuement avant de déclencher, puis il rejoignit les autres.

Mis à part Hippie-le-Noir, la pièce principale était occupée par une créature indistincte et blondasse, vrai­semblablement hollandaise, qui tricotait un poncho près de la cheminée, et par un hippie plus âgé, aux longs cheveux gris, à la barbiche également grise, au fin visage de chèvre intelligente. «Elle est là...» dit Hip­pie-le-Noir, il tira un pan de tissu cloué au mur et les introduisit dans la chambre attenante.

Certes, c'est avec intérêt que Michel observa la créa­ture brunâtre, tassée au fond de son lit, qui les suivit du regard alors qu'ils pénétraient dans la pièce. Après tout ce n'était que la deuxième fois qu'il voyait sa mère, et tout portait à croire que ce serait la dernière. Ce qui le frappa d'emblée fut son extrême maigreur, qui lui faisait des pommettes saillantes, des bras distordus. Le teint était terreux, très foncé, elle respirait difficilement, elle était visiblement à la dernière extrémité, mais au-dessus du nez qui paraissait crochu les yeux brillaient, immenses et blancs, dans la pénombre. Il s'approcha avec précaution de la silhouette étendue. «T'en fais pas, dit Bruno, elle peut plus parler.» Elle ne pouvait peut-être plus parler, mais elle était visiblement consciente. Le reconnaissait-elle? Sans doute pas. Peut-être est-ce qu'elle le confondait avec son père, ça, c'était possible, Michel savait qu'il ressemblait énormément à son père au même âge. Et malgré tout certains êtres, quoi qu'on en dise, jouent un rôle fondamental dans votre vie, lui impriment bel et bien un nouveau tour, ils la coupent positivement en deux. Et pour Janine, qui s'était fait rebaptiser Jane, il y avait eu un avant et un après le père de Michel. Avant de le rencontrer elle n'était au fond qu'une bourgeoise libertine et friquée, après la rencon­tre elle devait devenir quelque chose d'autre, de nette­ment plus catastrophique. Le mot de «rencontre» n'est d'ailleurs qu'une manière de parler, car de rencontre, il n'y en avait réellement pas eu. Ils s'étaient croisés, ils avaient procréé, et c'est tout. Le mystère qui était au fond de Marc Djerzinski, elle n'avait pas réussi à le comprendre, elle n'avait même pas réussi à s'en appro­cher. Y pensait-elle en cette heure où prenait fin sa vie calamiteuse? Ce n'était nullement invraisemblable. Bruno s'abattit lourdement sur une chaise à côté de son lit. «Tu n'es qu'une vieille pute... émit-il sur un ton didactique. Tu mérites de crever.» Michel s'assit en face de lui, à la tête du lit, et alluma une cigarette. «T'as voulu être incinérée? poursuivit Bruno avec verve. À la bonne heure, tu seras incinérée. Je mettrai ce qui restera de toi dans un pot, et tous les matins, au réveil, je pisserai sur tes cendres.» II hocha la tête avec satis­faction, Jane émit un bruit de gorge éraillé. À ce moment, Hippie-le-Noir refit son apparition. «Vous voulez boire quelque chose? proféra-t-il d'un ton gla­cial. - Évidemment, mon bonhomme! hurla Bruno. Est-ce que c'est une question qui se pose? Fais péter une poire, Ducon!» Le jeune homme ressortit et revint avec une bouteille de whisky et deux verres. Bruno se servit largement, avala une première rasade. «Excusez-le, il est troublé... fit Michel d'une voix presque inaudi­ble. - C'est ça, confirma son demi-frère. Laisse-nous à notre chagrin, Ducon.» II vida son verre avec un cla­quement de langue, se resservit. «Ils ont intérêt à se tenir à carreau, ces pédés... observa-t-il. Elle leur a légué tout ce qu'elle avait, et ils savent très bien que les enfants ont des droits inaliénables sur l'héritage. Si on voulait contester le testament, on serait sûrs de gagner.» Michel se tut, il n'avait pas envie de discuter de la question. Il s'ensuivit un moment de silence assez net. À côté non plus, personne ne parlait, on entendait la respiration rauque et affaiblie de l'agonisante.

 

«Elle a voulu rester jeune, c'est tout... dit Michel d'une voix lasse et tolérante. Elle a eu envie de fréquen­ter des jeunes, et surtout pas ses enfants, qui lui rappe­laient qu'elle appartenait à une ancienne génération. Ce n'est pas très difficile à expliquer, ni à comprendre. J'ai envie de m'en aller, maintenant. Tu crois qu'elle va mourir bientôt?»

Bruno haussa les épaules en signe d'ignorance. Michel se leva et repassa dans l'autre pièce, Hippie-le-Gris était maintenant seul, occupé à éplucher des carottes biologiques. Il tenta de l'interroger, de savoir ce que le médecin avait dit au juste, mais le vieux mar­ginal ne put fournir que des informations floues et hors sujet. «C'était une femme lumineuse... souligna-t-il, sa carotte à la main. Nous pensons qu'elle est prête à mou­rir, car elle a atteint un niveau de réalisation spirituelle suffisamment avancé.» Qu'est-ce qu'il voulait dire par là? Inutile de rentrer dans les détails. À l'évidence, le vieux benêt ne prononçait pas réellement des paroles, il se contentait de faire du bruit avec sa bouche. Michel tourna les talons avec impatience et rejoignit Bruno. «Ces cons de hippies... fit-il en se rasseyant, restent persuadés que la religion est une démarche individuelle basée sur la méditation, la recherche spirituelle, etc. Ils sont incapables de se rendre compte que c'est au contraire une activité purement sociale, basée sur la fixation, de rites, de règles et de cérémonies. Selon Auguste Comte, la religion a pour seul rôle d'amener l'humanité à un état d'unité parfaite.

- Auguste Comte toi-même! intervint Bruno avec rage. À partir du moment où on ne croit plus à la vie éternelle, il n'y a plus de religion possible. Et si la société est impossible sans religion, comme tu as l'air de le penser, il n'y a plus de société possible non plus. Tu me fais penser à ces sociologues qui s'imaginent que le culte de la jeunesse est une mode passagère née dans les années cinquante, ayant connu son apogée au cours des années quatre-vingt, etc. En réalité l'homme a tou­jours été terrorisé par la mort, il n'a jamais pu envisager sans terreur la perspective de sa propre disparition, ni même de son propre déclin. De tous les biens terrestres, la jeunesse physique est à l'évidence le plus précieux, et nous ne croyons plus aujourd'hui qu'aux biens ter­restres. "Si Christ n'est pas ressuscité", dit saint Paul avec franchise, "alors noire foi est vaine." Christ n'est pas ressuscité, il a perdu son combat contre la mort. J'ai écrit un scénario de film paradisiaque sur le thème de la Jérusalem nouvelle. Le film se passe dans une île entièrement peuplée par des femmes nues et des chiens de petite taille. A la suite d'une catastrophe biologique les hommes ont disparu, ainsi que la quasi-totalité des espèces animales. Le temps s'est arrêté, le climat est égal et doux, les arbres portent des fruits toute l'année. Les femmes sont éternellement nubiles et fraîches, les petits chiens éternellement vifs et joyeux. Les femmes se baignent et se caressent, les petits chiens jouent et folâtrent autour d'elles. Ils sont de toutes couleurs et de toutes espèces: il y a des caniches, des fox-terriers, des griffons bruxellois, des Shi-Tzu, des Cavalier King Charles, des yorkshires, des bichons frisés, des westies et des harrier beagles. Le seul gros chien est un labra­dor, sage et doux, qui joue un rôle de conseil auprès des autres. La seule trace de l'existence masculine est une cassette vidéo présentant un choix d'interventions télévisées d'Edouard Balladur; cette cassette a un effet calmant sur certaines femmes, et aussi sur la plupart des chiens. Il y a également une cassette de La Vie des animaux, présentée par Claude Darget; on ne la regarde jamais, mais elle sert de mémoire, et de témoi­gnage de la barbarie des époques antérieures.

- Donc, ils te laissent écrire...» dit doucement Michel. Il n'en était pas surpris. La plupart des psychia­tres voient d'un bon œil les griffonnages de leurs patients. Non qu'ils leur attribuent une quelconque valeur thérapeutique, mais c'est toujours une occupa­tion, pensent-ils, ça vaut toujours mieux que de se lacé­rer les avant-bras à coups de rasoir.

«II y a quand même de petits drames dans cette île, poursuivit Bruno d'une voix émue. Par exemple, un jour, un des petits chiens s'aventure trop loin en nageant dans la mer. Heureusement sa maîtresse s'aperçoit qu'il est en difficulté, saute dans une barque, file à toutes rames et parvient à le repêcher de justesse. Le pauvre petit chien a bu trop d'eau, il est évanoui et on peut croire qu'il va mourir; mais sa maîtresse par­vient à le réanimer en lui faisant de la respiration arti­ficielle, et tout se termine très bien, le petit chien est gai à nouveau.» II se tut brusquement. Il avait l'air serein, maintenant, et presque extatique. Michel regarda sa montre, puis regarda autour de lui. Sa mère ne faisait plus aucun bruit. Il était presque midi, l'am­biance était excessivement calme. Il se releva, retourna dans la pièce centrale. Hippie-le-Gris avait disparu, laissant ses carottes en plan. Il se servit une bière, mar­cha jusqu'à la fenêtre. La vue portait à des kilomètres sur les pentes recouvertes de sapins. Entre les sommets enneigés, on distinguait au loin le miroitement bleuté d'un lac. L'atmosphère était douce et chargée de sen­teurs, c'était une très belle matinée de printemps.

 

Il était là depuis un temps difficile à définir et son attention, détachée de son corps, flottait paisiblement entre les sommets lorsqu'il fut ramené à la réalité par ce qu'il prit d'abord pour un hurlement. Il lui fallut quelques secondes pour réorganiser ses perceptions auditives, puis il marcha rapidement vers la chambre. Toujours assis au pied du lit, Bruno chantait à pleins poumons:

Ils sont venus, ils sont tous là

Dès qu'ils ont entendu ce cri

Elle va mourir laâââaa Maâmmaââh...

 

Inconséquents; inconséquents, légers et clownes­ques, tels sont les hommes. Bruno se leva pour chanter encore plus fort le couplet suivant:

Ils sont venus, ils sont tous là

Même ceux, du sud de l'Italie

Y a même Giorgio le fils maudit

Avec des présents pleins les braâââas...

 

Dans le silence qui suivit cette démonstration vocale, on entendit nettement une mouche traverser l'atmo­sphère de la pièce avant de se poser sur le visage de Jane. Les diptères sont caractérisés par la présence d'une seule paire d'ailes membraneuses implantées sur le deuxième anneau du thorax, d'une paire de balan­ciers (servant à l'équilibrage en vol) implantés sur le troisième anneau du thorax, et de pièces buccales piqueuses ou suceuses. Au moment où la mouche s'aventurait sur la surface de l'œil, Michel se douta de quelque chose. Il s'approcha de Jane, sans toutefois la toucher. «Je crois qu'elle est morte» dit-il après un temps d'examen.

Le médecin confirma sans difficultés ce diagnostic. Il était accompagné d'un employé municipal, et c'est là que les problèmes commencèrent. Où souhaitait-on transférer le corps? Un caveau de famille, peut-être? Michel n'en avait pas la moindre idée, il se sentait épuisé et confus. S'ils avaient su développer des relations familiales empreintes de chaleur et d'affection, il n'en seraient pas là - à se couvrir de ridicule devant l'employé municipal, qui au demeurant restait correct. Bruno se désintéressait complètement de la situation, assis un peu à l'écart, il avait entamé une partie de Tetris sur sa console portable. «Eh bien... reprit l'em­ployé, nous pouvons vous proposer une concession au cimetière de Saorge. Ce sera un peu loin pour vous recueillir, surtout si vous n'êtes pas de la région, mais du point de vue transport c'est évidemment le plus pra­tique. L'enterrement pourrait avoir lieu dès cette après-midi, nous ne sommes pas trop bousculés en ce moment. Je suppose qu'il n'y aura pas de problèmes pour le permis d'inhumer... - Aucun problème! lança le médecin avec une chaleur un peu excessive. J'ai amené les formulaires...» II brandit un petit paquet de feuilles avec un sourire guilleret. «Putain, j'ai cla­qué...» fit Bruno à mi-voix. En effet, sa console de jeux émit une petite musique joyeuse. «D'accord également pour l'inhumation, monsieur Clément? fit l'employé en forçant sa voix. - Absolument pas! Bruno se redressa d'un bond. Ma mère souhaitait être incinérée, elle y attachait une importance extrême!» L'employé se rembrunit. La commune de Saorge n'était pas équipée pour une incinération, c'était un matériel tout à fait spécifi­que, qui ne se justifiait pas eu égard au volume des demandes. Vraiment, non, ça paraissait difficile. «Ce sont les dernières volontés de ma mère...» fit Bruno avec importance. Le silence se fit. L'employé municipal réfléchissait à toute allure. «II y a bien un crématorium à Nice... dit-il timidement. On pourrait envisager un transport aller-retour, si vous êtes toujours d'accord pour une inhumation dans la commune. Naturellement, les frais seraient à votre charge...» Personne ne répon­dit. «Je vais téléphoner... poursuivit-il, il faut déjà se renseigner sur les créneaux horaires pour une inciné­ration.» II consulta son agenda, sortit un téléphone por­table et commençait à composer le numéro quand Bruno intervint à nouveau. «On laisse tomber... fit-il d'un geste large. On va l'enterrer ici. Ses dernières volontés, on s'en fout. Tu payes!» poursuivit-il avec autorité en s'adressant à Michel. Sans discuter, celui-ci sortit son chéquier et s'enquit du prix d'une concession de trente ans. «C'est un bon choix, confirma l'employé municipal. Avec une concession de trente ans, on a le temps de voir venir.»

 

Le cimetière était situé une centaine de mètres au-dessus du village. Deux hommes en bleu de travail por­taient le cercueil. Ils avaient choisi le modèle de base, en sapin blanc, stocké dans une salle municipale, les services funéraires semblaient remarquablement orga­nisés, à Saorge. C'était la fin de l'après-midi, mais le soleil était encore chaud. Bruno et Michel marchaient côte à côte, deux pas derrière les hommes, Hippie-le-Gris était à leurs côtés, il avait tenu à accompagner Jane jusqu'à sa dernière demeure. Le chemin était caillouteux, aride, et tout cela devait avoir un sens. Un rapace - probablement une buse - planait lentement, à mi-hauteur, dans l'atmosphère. «Ça doit être un coin à serpents...» inféra Bruno. Il ramassa une pierre blan­che très aiguisée. Juste avant de tourner vers l'enclos funéraire, comme pour confirmer ses propos, une vipère apparut entre deux buissons longeant le mur d'enceinte, Bruno visa et tira de toutes ses forces. La pierre éclata sur le mur, manquant de peu la tête du reptile.

«Les serpents ont leur place dans la nature... fit observer Hippie-le-Gris avec une certaine sévérité.

- La nature je lui pisse à la raie, mon bonhomme! Je lui chie sur la gueule!» Bruno était à nouveau hors de lui. «Nature de merde... nature mon cul!» mar­monna-t-il avec violence pendant encore quelques minutes. Cependant il se tint correctement lors de la descente du corps, se contentant d'émettre différents gloussements et hochements de tête, comme si l'événe­ment lui suggérait des réflexions inédites, mais encore trop floues pour être exprimées de manière explicite. Après la cérémonie, Michel remit un bon pourboire aux deux hommes - il supposa que c'était l'usage. Il lui restait un quart d'heure pour attraper le train, Bruno décida de partir en même temps.

 

Ils se quittèrent sur le quai de la gare de Nice. Ils ne le savaient pas encore, mais ils ne devaient jamais se revoir.

«Ça va bien, à ta clinique? demanda Michel. - Ouais ouais, tranquille peinard j'ai mon lithium.» Bruno sourit d'un air rusé. «Je vais pas rentrer tout de suite à la clinique, j'ai une nuit de battement. Je vais aller dans un bar à putes, il y en a plein à Nice.» Il plissa le front, se rembrunit. «Avec le lithium je bande plus du tout, mais ça fait rien, j'aime bien quand même.»

Michel acquiesça distraitement, monta dans le wagon: il avait réservé une couchette.

 

 

TROISIÈME PARTIE

 


Date: 2015-12-11; view: 862


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