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L'hermétisme.

Proche d'un certain Romantisme, le Symbolisme s'en éloigne en tout cas par sa volonté de s'élever au-dessus des masses. Convaincu que le poème se mérite et exige donc du lecteur une activité de déchiffrement, il manifeste en outre un rejet définitif des mots d'ordre qui mobilisent les foules. Ces choix se révèlent clairement dans le culte du mot rare, de la syntaxe disloquée, et plus généralement dans l'intellectualisme de l'inspiration, tous aspects contre lesquels réagira le Surréalisme.

Paul Valéry (1871-1945)

Je disais à Stéphane Mallarmé... (1936)

[Profondément influencé par Mallarmé, Valéry entreprend ici de justifier le caractère énigmatique de sa poésie. La critique littéraire s'est montrée selon lui particulièrement incompétente, puisque, «sous les noms offensifs de préciosité, de stérilité, d'obscurité, (elle) n'a fait que représenter comme elle le pouvait les effets d'une lutte intérieure sublime sur des esprits très médiocres et malveillants par essence ».]

Mallarmé a sans doute tenté de conserver ces beautés de la matière littéraire, tout en relevant son art vers la construction. Plus il avance dans ses réflexions, plus s'accusent, dans ce qu'il produit, la présence et le ferme dessein de la pensée abstraite.

Davantage : - offrir aux gens ces énigmes de cristal; introduire, dans l'art de plaire ou de toucher par le langage, de telles compositions de gênes et de grâces donnait à concevoir chez celui qui l'osait une force, une foi, un ascétisme, un mépris du sentiment général, sans exemple dans les Lettres, qui en ravalaient toutes les œuvres moins superbes et toutes les intentions moins rigoureusement pures, - c'est-à-dire, presque tout.

L'action de cette poésie toute voulue et réfléchie, aussi élaborée que la condition absolue d'être chantante peut le permettre, était prodigieuse sur le petit nombre.

Le petit nombre ne hait pas d'être petit nombre. Le grand nombre se réjouit d'être grand : ceux-ci se trouvent bien d'être indistinctement du même avis, de se sentir semblables, rassurés l'un par l'autre; confirmés, augmentés dans leur « vérité », comme des corps vivants qui se resserrent, se font chaud l'un à l'autre, par ce rapport étroit de leurs tiédeurs égales.

Mais le petit nombre est fait de personnes suffisamment divisées. Elles abhorrent la similitude, qui semble leur ôter toute raison d'être. A quoi bon ce Moi-même (songent-elles sans le savoir), s'il en peut exister une infinité d'exemplaires ?



Elles désirent d'être comme les Essences ou les Idées, dont chacune nécessairement n'a point de seconde. Elles entendent, du moins, remplir dans un certain monde qu'elles se forgent une place que nulle autre ne puisse tenir.

L'œuvre de Mallarmé, exigeant de chacun une interprétation assez personnelle, n'appelait, n'attachait à soi que des intelligences séparées, conquises une à une, et de celles qui fuient vivement l'unanimité.

Tout ce qui plaît à la plupart était expurgé de cette œuvre. Point d'éloquence; point de récits; point de maximes, ou profondes; point de recours direct aux passions communes; nul abandon aux formes familières; rien de ce « trop humain » qui avilit tant de poèmes; une façon de dire toujours inattendue; une parole jamais entraînée aux redites et au délire vain du lyrisme naturel, pure de toutes les locutions de moindre effort; perpétuellement soumise à la condition musicale, et d'ailleurs aux lois de convention dont l'objet est de contrarier régulièrement toute chute vers la prose, - voilà une quantité de caractères négatifs par quoi de tels ouvrages nous rendaient peu à peu trop sensibles aux expédients connus, aux défaillances, aux niaiseries, à l'enflure qui abondent, hélas, dans tous les poètes, - car n'étant pas d'entreprise plus téméraire, ni peut-être de plus insensée que la leur, ils y entrent comme des dieux et achèvent en pauvres hommes.

Que voulons-nous, - si ce n'est de produire l'impression puissante, et pendant quelque temps continue, qu'il existe entre la forme sensible d'un discours et sa valeur d'échange en idées, je ne sais quelle union mystique, quelle harmonie, grâce auxquelles nous participons d'un tout autre monde que le monde où les paroles et les actes se répondent ? [...]

Peu à peu dans le Poète, le Langage et le Moi en viennent à se correspondre tout autrement qu'ils ne font dans les autres hommes. [...] Le langage donné acquis dès notre enfance, étant d'origine statistique et commune, est généralement peu propre à exprimer les états d'une pensée éloignée de la pratique : il ne se prête guère à des fins plus profondes ou plus précises que celles qui déterminent les actes de la vie ordinaire. De là naissent les langages techniques, - et parmi eux, la langue littéraire. On voit dans toutes les littératures apparaître, plus ou moins tard, une langue mandarine, parfois très éloignée de la langue usuelle; mais, en général, cette langue littéraire est déduite de l'autre, dont elle tire les mots, les figures, les tours les plus propices aux effets que recherche l'artiste en belles-lettres. Il arrive aussi que des écrivains se fassent un langage singulier. Un poète use à la fois de la langue vulgaire, - qui ne satisfait qu'à la condition de compréhension et qui est donc purement transitive, - et du langage qui s'oppose à celui-ci, - comme s'oppose un jardin soigneusement peuplé d'espèces bien choisies à la campagne tout inculte où toute plante vient, et d'où l'homme prélève ce qu'il y trouve de plus beau pour le remettre et le choyer dans une terre exquise. Peut-être pourrait-on caractériser un poète par la proportion qu'on y trouve de ces deux langages : l'un, naturel; l'autre, purifié et spécialement cultivé pour l'usage somptuaire ? Voici un bon exemple de deux poètes du même temps et du même milieu : Verlaine, qui ose associer dans ses vers les formes les plus familières et les termes les plus communs à la poétique assez artificieuse du Parnasse, et qui finit par écrire en pleine et même cynique impureté : et ceci, non sans bonheur; et Mallarmé qui se crée un langage presque entièrement sien par le choix raffiné des mots et par les tours singuliers qu'il invente ou développe, refusant à chaque instant la solution immédiate que lui souffle l'esprit de tous. Ce n'était point là autre chose que se défendre, jusque dans le détail et le fonctionnement élémentaire de la vie mentale, contre l'automatisme.

Variété III.

Questions :

- Relevez les arguments par lesquels Valéry explique et justifie l'obscurité souvent reprochée aux symbolistes.

- Comment s'expliquent ici la solitude du Poète et le caractère héroïque de sa mission ?

- Vous pourrez découvrir dans la page suivante un corpus semblable à propos du surréalisme. En quoi Valéry conteste-t-il ici la valeur de l'automatisme dont André Breton fait au contraire un matériau poétique ?

 

 

SURREALISME

"L'au-delà, tout l'au-delà est dans cette vie."

André Breton

Le mot « surréalisme » a été choisi en hommage à Apollinaire. Celui-ci venait en effet de mourir (1918) et avait signé peu auparavant avec Les Mamelles de Tirésias un « drame surréaliste ». C'est dans son premier Manifeste que Breton en propose la définition : Surréalisme, n. m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.

En fait, le surréalisme dépasse très largement cette définition de l'écriture automatique, Breton ayant pris grand soin de le distinguer d'une école littéraire. C'est dans la vie que le surréalisme devait trouver son territoire en promouvant un nouveau regard sur les objets et sur les mots, qu'il a débarrassés de leur utilitarisme. Veillant à ne laisser échapper aucune association mentale digne de contribuer à la libération de l'esprit, il a fourni aussi le modèle durable d'une insurrection générale contre tous les mots d'ordre de la société bourgeoise. Profondément marqué enfin par la personnalité d'André Breton, le surréalisme est indissociable d'une morale dont les impératifs catégoriques - la poésie, l'amour, la liberté - ont été haut tenus, malgré les vicissitudes du groupe et les tentatives de réduction.

Parmi celles-ci, la récupération scolaire pouvait représenter la plus redoutable, mais ses exégèses n'ont pas toujours été malveillantes. Notre propos est en tout cas de présenter les traits distinctifs du surréalisme à l'aide de quatre textes qui, tous, pourraient donner lieu à des prolongements fertiles, même à l'intérieur de murs ô combien honnis par les membres du groupe.

 

Rencontre de Breton et d'Aragon. Dada à Paris Manifeste du surréalisme Adhésion au Parti Communiste Un Cadavre Affaire Aragon
Tract contre les procès de Moscou Breton rencontre Trotski au Mexique Exil de Breton en Amérique Exposition internationale du surréalisme Mort d'André Breton    
 

 

1. L'« automatisme psychique pur »

Le surréalisme a d'abord entrepris la libération des mots, refusant de les cantonner à l'utilitarisme étroit auquel on les condamne. Par ce biais, il a devancé les recherches des linguistes contemporains, attentifs à distinguer le pouvoir du signifiant de la chose signifiée. Oublieux du sens étroit indiqué par les dictionnaires, les surréalistes ont considéré les mots en soi et examiné leurs réactions les uns sur les autres. « Ce n'est qu'à ce prix, note Breton, qu'on pouvait espérer rendre au langage sa destination pleine, ce qui, pour quelques-uns dont j'étais, devait faire faire un grand pas à la connaissance, exalter d'autant la vie.» (Les Pas perdus).

André Breton (1896-1966)

Manifeste du surréalisme (1924)

 

Aux écoutes d'une « voix intérieure » qui leur dicte Les Champs magnétiques (1919), Breton et Soupault élaborent une poétique radicalement nouvelle, bâtie sur le caractère impérieux et gratuit d'un automatisme verbo-auditif. Revenant, dans son premier Manifeste, sur l'expérience, Breton ne doute pas d'avoir trouvé là la matière première de l'inspiration poétique et il assignera pour tâche au surréalisme l'exploration de l'inconscient, terreau de ce matériau inouï.

Un soir donc, avant de m'endormir, je perçus, nettement articulée au point qu'il était impossible d'y changer un mot, mais distraite cependant du bruit de toute voix, une assez bizarre phrase qui me parvenait sans porter trace des événements auxquels, de l'aveu de ma conscience, je me trouvais mêlé à cet instant-là, phrase qui me parut insistante, phrase oserai-je dire qui cognait à la vitre. J'en pris rapidement notion et me disposais à passer outre quand son caractère organique me retint. En vérité cette phrase m'étonnait; je ne l'ai malheureusement pas retenue jusqu'à ce jour, c'était quelque chose comme : « Il y a un homme coupé en deux par la fenêtre », mais elle ne pouvait souffrir d'équivoque, accompagnée qu'elle était de la faible représentation visuelle d'un homme marchant et tronçonné à mi-hauteur par une fenêtre perpendiculaire à l'axe de son corps. A n'en pas douter il s'agissait du simple redressement dans l'espace d'un homme qui se tient penché à la fenêtre. Mais cette fenêtre ayant suivi le déplacement de l'homme, je me rendis compte que j'avais affaire à une image d'un type assez rare et je n'eus vite d'autre idée que de l'incorporer à mon matériel de construction poétique. Je ne lui eus pas plus tôt accordé ce crédit que d'ailleurs elle fit place à une succession à peine intermittente de phrases qui ne me surprirent guère moins et me laissèrent sous l'impression d'une gratuité, telle que l'empire que j'avais pris jusque-là sur moi-même me parut illusoire et que je ne songeai plus qu'à mettre fin à l'interminable querelle qui a lieu en moi.

Tout occupé que j'étais encore de Freud à cette époque et familiarisé avec ses méthodes d'examen que j'avais eu quelque peu l'occasion de pratiquer sur des malades pendant la guerre, je résolus d'obtenir de moi ce qu'on cherche à obtenir d'eux, soit un monologue de débit aussi rapide que possible, sur lequel l'esprit critique du sujet ne fasse porter aucun jugement, qui ne s'embarrasse, par suite, d'aucune réticence, et qui soit aussi exactement que possible la pensée parlée. Il m'avait paru, et il me paraît encore - la manière dont m'était parvenue la phrase de l'homme coupé en deux en témoignait - que la vitesse de la pensée n'est pas supérieure à celle de la parole, et qu'elle ne défie pas forcément la langue, ni même la plume qui court. [...]

Sur la foi de ces découvertes, un courant d'opinion se dessine enfin, à la faveur duquel l'explorateur humain pourra pousser plus loin ses investigations, autorisé qu'il sera à ne plus seulement tenir compte des réalités sommaires. L'imagination est peut-être sur le point de reprendre ses droits. Si les profondeurs de notre esprit recèlent d'étranges forces capables d'augmenter celles de la surface, ou de lutter victorieusement contre elles, il y a tout intérêt à les capter, à les capter d'abord, pour les soumettre ensuite, s'il y a lieu, au contrôle de notre raison.

Questions :

- Repérez dans ce texte comment la part donnée au hasard se mêle à celle de l'expérimentation quasi scientifique sur le langage (Breton précise peu après que cette entreprise «peut passer pour être aussi bien du ressort des poètes que des savants»).

- Activités surréalistes : partant du principe que «la poésie doit être faite par tous, non par un», on pourra inviter les élèves à produire des textes en écriture automatique ou leur faire pratiquer certains jeux surréalistes destinés à mettre en valeur l'activité inconsciente de l'esprit et la beauté d'images dont la gratuité est garantie par l'activité collective : le jeu bien connu du cadavre exquis; celui de « L'un dans l'autre » :

L'un des joueurs sort avec mission de s'identifier à un objet de son choix. Les autres, pendant ce temps, lui assignent également un objet et l'en informent à son retour. Il doit alors se décrire comme étant l'objet qui lui a été assigné, mais en des termes tels qu'on puisse deviner celui qu'il avait choisi. Par exemple : Toyen apprend qu'elle est un peigne. Soit. « Je suis - dira-t-elle - un peigne dépourvu de dents dont on se sert avec les pieds pour faire des raies dans une chevelure plane et très résistante.» Quelqu'un finit par lancer : patin à glace ? - Gagné !

Philippe Audoin, Les Surréalistes, Seuil, 1973.

ou encore le jeu des questions, capable de faire saisir les curieuses rencontres du « hasard objectif » :

On sépare la classe en deux groupes distincts. Un premier groupe écrit dix questions, numérotées de 1 à 10, commençant obligatoirement par : « Qu'est-ce que ...? » ; le deuxième groupe écrit, de son côté, dix réponses commençant par : « C'est...». Un meneur de jeu sollicite alors un numéro de question; le premier groupe la pose au second en précisant au hasard le numéro de la réponse qu'il souhaite obtenir, etc.

 

2. Des « spécialistes de la révolte »

Happé par le siècle, le surréalisme s'est constamment situé au cœur des événements. Mais sa position ne pouvait se satisfaire de l'appareil des partis, y compris de celui du Parti communiste, dont il a voulu un temps se sentir proche. C'est qu'aux impératifs de la Révolution sociale, les surréalistes ont toujours subordonné l'urgence majeure qui devait être la libération des modes de pensée : «"Transformer le monde" a dit Marx ; "changer la vie" a dit Rimbaud : ces deux mots d'ordre pour nous n'en font qu'un », affirme Breton (Position politique du surréalisme). Antonin Artaud formulera plus définitivement ces objections à l'égard d'une révolution qui n'aurait que l'économie pour domaine : « Je méprise trop la vie pour penser qu'un changement quel qu'il soit qui se développerait dans le cadre des apparences puisse rien changer à ma déplorable condition. » (A la grande nuit, ou le bluff surréaliste, 1927). Breton confirmera plus tard : « L'étreinte poétique comme l'étreinte de chair / Tant qu'elle dure / Défend toute échappée sur la misère du monde.» (Sur la route de San Romano, 1948).

Antonin Artaud (1896-1948)


Date: 2015-12-11; view: 737


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